dimanche 29 août 2010

Et l’Etat, est-il fidèle ?

publié le samedi 28 août 2010
Neve Gordon

 
Je refuse d’être loyal envers une politique d’humiliation, de racisme et de discrimination.
Il y plusieurs semaines, des centaines d’étudiants manifestaient devant le bâtiment administratif de l’université Ben Gourion (à Beer-Sheva). Environ un tiers des manifestants exprimaient leur opposition à la décision du gouvernement d’attaquer la flottille humanitaire, quand les deux tiers restant soutenaient le gouvernement. A un moment donné, les pro-gouvernement ont commencé à scander : « Pas de citoyenneté sans loyauté ! ».
Même si la loyauté est, sans aucun doute, une forme majeure de relation tant avec les sphères privées que publiques, déballer sa signification précise dans le contexte israélien révèle un processus inquiétant où l’entendement démocratique de la politique se trouve inversé.
En tant que citoyens israéliens, le Premier ministre, Benjamin Netanyahu, et le ministre des Affaires étrangères, Avigdor Lieberman, veulent que nous prouvions notre loyauté au drapeau en soutenant une politique d’oppression et d’humiliation.
Nous devons nous faire les champions de la clôture de séparation à Bil’in et ailleurs dans toute la Cisjordanie. Nous devons défendre les destructions brutales des villages bédouins non reconnus, et le vol permanent des terres tant à l’intérieur d’Israël que dans les Territoires palestiniens occupés. Nous devons soutenir les check-points et le transfert silencieux à Jérusalem-Est. On attend de nous également que nous courbions la tête et gardions le silence à chaque fois que les ministres du gouvernement, les députés de la Knesset et les personnalités publiques font des déclarations racistes contre les citoyens arabes. Nous devons encore soutenir la politique néolibérale qui opprime les pauvres en Israël, et nous sommes obligés de donner notre bénédiction à l’emprisonnement des un million cinq cent mille habitants de la bande de Gaza.
En entendant les chants scandés lors de la dernière manifestation, j’ai compris que je ne serai jamais capable d’accepter cette forme désastreuse de loyauté aveugle. Je refuse d’être loyal envers une politique d’humiliation, de racisme et de discrimination. Et pourtant, la loyauté est une question importante qui a un besoin urgent d’être débattue, parce que finalement, il y a un lien solide entre Etat et loyauté. Les questions urgentes qu’il nous faut aborder sont : quelle est la signification de la loyauté ? Et, qui est supposé être loyal et envers qui ?
Chose surprenante, la réponse à ces questions n’est pas particulièrement complexe. Selon la tradition républicaine, l’Etat a, d’abord et avant tout, l’obligation d’être loyal envers ses citoyens et il doit être tenu pour responsable des inégalités et des injustices. Et pourtant, nous assistons actuellement à un renversement complet de la relation républicaine entre Etat et loyauté et, au contraire, à l’adoption d’une démarche proto-fasciste.
Peut-être que la caractéristique la plus inquiétante de cette tendance est qu’elle évolue à tous les niveaux de la société israélienne. Des agressions en cours contre les organisations israéliennes de défense des droits de l’homme, agressions impulsées par ONG Monitor et Im Tirzu, aux réponses policières aux manifestations non violentes à Sheik Jarrah, et à tout ce qui conduit à l’atmosphère maccarthyste dans la commission Enseignement de la Knesset, on voit comment des éléments au sein de la société civile, les organes exécutifs et législatifs, agissent en fonction d’une logique identique à celle qui guida l’Italie de Mussolini. Tous ces éléments attendent des citoyens qu’ils jurent loyauté envers l’Etat, quelle que soit la politique du gouvernement.
Cependant, parce que la loyauté est un composant essentiel de la politique, nous devons nous efforcer de garantir que l’appel à la loyauté réponde à des exigences de logique démocratique, et non fasciste. Nous devons exiger que l’Etat soit loyal envers tous ses citoyens, sans distinction de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique, d’origine nationale ou sociale, de fortune, ou de la qualité de leur naissance.
Un Etat qui est loyal envers ses citoyens n’exerce pas de discrimination entre les juifs et les Arabes, n’expulse pas de leurs terres les musulmans et les chrétiens, n’humilie pas et ne piétine pas les classes inférieures, et n’opprime pas brutalement les Palestiniens dans les Territoires occupés. Un Etat de cette sorte protège les droits de tous les citoyens sans exception et, par conséquent, il ne lui est pas nécessaire d’exiger la loyauté à son égard, parce que cette loyauté lui est servie sur un plateau d’argent.
Oui, moi aussi je comprends l’importance de la loyauté. Mais le slogan qui convient n’est pas, « Pas de citoyenneté sans loyauté ! », mais, « Loyauté envers chaque citoyen ! ».
Neve Gordon est l’auteur de « L’Occupation d’Israël » (université de Californie 2008). Il a rédigé cet article pour PalestineChronicle.com. Pour le contacter par son site : http://www.israelsoccupation.info/
traduction : JPP pour l’AFPS