vendredi 30 juillet 2010

L’Autorité palestinienne : un langage redondant et dangereux

Cisjordanie - 29-07-2010
Par Ramzy Baroud

Ramzy Baroud (www.ramzybaroud.net) est un éditorialiste international et rédacteur en chef de PalestineChronicle.com. Son dernier livre, My Father Was a Freedom Fighter: Gaza's Untold Story
(Mon père était un combattant de la liberté : L’histoire non dite de Gaza) (Pluto Press, Londres), est maintenant disponible sur Amazon.com. 
Chaque fois qu’Israël ne tient pas ses engagements, l’Autorité Palestinienne répond en usant du même langage redondant. Le cycle est devenu tellement prévisible que l’on se demande pourquoi les responsables de l’AP prennent même la peine de protester contre l’action israélienne. Ils doivent pourtant être très au fait que leurs plaintes, authentiques ou autres, tomberont dans l’oreille de sourds. Ils savent que leurs récriminations ne contribueront pas à un changement de paradigme de la conduite d’Israël, ni de celle des Etats-Unis.
Jetons un regard sur le contexte linguistique des plaintes de l’Autorité Palestinienne. Dans un discours de début juin, le Président palestinien Mahmoud Abbas a qualifié tout pourparler direct avec Israël de « futile ». Des milliers de journaux et de sites d’information l’ont mis en une, soulignant le mot « futile » par des guillemets – comme s’il constituait une sorte de révélation fracassante. Mais quiconque s’intéresse au Moyen-Orient, et au conflit israélo-palestinien en particulier, sait déjà que de telles négociations seront « futiles ». Plus, Israël n’a jamais caché son peu de désir d’un règlement pacifique et juste.
M. Abbas s’est toutefois arrangé pour s’insérer comme « joueur » pertinent dans le conflit, en utilisant un mot intelligemment inventé. Un mot qui a eu un énorme impact tant en Arabe qu’en anglais.
Bien sûr, rien de ceci ne signifie qu’Abbas ait réellement adopté un changement sérieux. Il faut plonger dans les archives pour se souvenir que le président de l’AP a ressenti la même chose sur les soi-disant « pourparlers de proximité » avec Israël en mai dernier.
Avant qu’ils ne débutent, il a aussi exprimé qu’il pensait que les discussions seraient futiles. Il a de plus insisté sur le fait qu’aucune négociation, directe ou autre, ne reprendrait sans un arrêt complet de la construction de colonies israéliennes à Jérusalem Est occupée. Après cette déclaration grandiose, Abbas a repris le simulacre de discussions de proximité, pendant les familles palestiniennes continuaient d’être déracinées de leurs maisons dans leur ville historique. Seule une barrière a été levée avant de s’embarquer dans les pourparlers de proximité : Abbas et ses hommes ont cessé de geindre.
Près de deux mois plus tard, alors qu’il est évident pour tous que les pourparlers de proximité furent bien sûr « futiles » - en particulier lorsque le Premier Ministre israélien Benjamin Netanyahu a triomphé du Président des Etats-Unis Barack Obama lors de la dernière visite à Washington – M. Abbas s’est retrouvé dans un besoin désespéré d’une autre ligne de défense. Ainsi la nouvelle campagne attaquant les discussions directes inévitablement « futiles » avec Israël.
M. Abbas n’est pas le seul acteur de ce drame. D’autres ont aussi fait leur travail, aussi efficacement et aussi fidèles à la forme que jamais. Yasser Abed Rabbo, qui a changé plusieurs fois de casquettes par le passé et qui est maintenant un des conseillers de M. Abbas, a affirmé que l’AP « n’entrerait pas dans de nouvelles négociations qui pourraient durer plus de 10 ans. » Cette promesse – que la direction palestinienne ne se laissera pas duper dans des discussions pour le plaisir de discuter et sans échéancier – n’est pas la première de ce type de la part d’Abed Rabbo, et elle n’est certainement pas la dernière. Le conseiller d’Abbas continuera vraisemblablement à partager le même point de vue usé jusqu’à la corde encore et encore, parce que c’est le rôle que tout responsable palestinien « modéré » doit répéter pour rester pertinent. Comment pourraient-ils autrement donner l’impression que l’AP joue toujours le rôle de rempart contre l’usurpation territoriale illégale et l’occupation militaire israéliennes ?
Ahmed Qurei, ancien ministre des affaires étrangères de l’AP et ex-premier ministre, a donné récemment une conférence à l’Université Hébraïque, intitulée : « Les pourparlers de proximité israélo-palestiniens : leçons des négociations passées. » La conférence était organisée par l’Institut de recherche pour l'avancement de la paix Harry S. Truman (Harry S. Truman Institute for the Advancement of Peace) de l’Université Hébraïque. Le lieu et l’occasion de cette conférence ne pouvaient pas être plus significatifs. D’abord, la plus grande partie de l’Université Hébraïque a été construite sur une terre palestinienne « ethniquement nettoyée ». Ensuite, Qurei a parlé dans une Université israélienne d’une ville occupée, au moment où les activistes et les universitaires du monde entier, dont plusieurs en Israël, mènent un boycott culturel et universitaire des universités israéliennes pour protester contre le rôle terrible que ces institutions ont joué dans la violence israélienne contre les Palestiniens.
Pire encore, immédiatement avant son discours, Qurei a rencontré l’ancienne Ministre des Affaires étrangères et Premier ministre par intérim Tzipi Livni. Livni a ordonné et supervisé le meurtre et la mutilation sans précédents de milliers de Palestiniens à Gaza entre décembre 2008 et janvier 2009. Le niveau d’inhumanité qu’elle a montré pendant ces jours a provoqué l’indignation du monde entier, et de beaucoup en Israël même. Mais tout ce sang a été glissé sous le tapis, puisque « Livni et Abu Ala ont échangé des amabilités », selon le Jerusalem Post.
Essayez juste d’imaginer la fureur que tous les Palestiniens – et en particulier ceux qui sont assiégés dans Gaza détruite – ont éprouvé tandis que Qurey et Livni se serraient la main et souriaient devant les caméras. Quant aux contributions universitaires et politiques de Qurei, le Post a rapporté que « lors de la conférence, Qurei a dit que Netanyahu n’avait pas vraiment gelé la construction coloniale en Cisjordanie, et qu’il avait ajouté que les actions d’Israël empêchaient les pourparlers directs. »
Considérant les nombreux compromis faits par Qurei dans le fait même de participer à la conférence, et sa poignée de main à Livni, on peine à comprendre le pourquoi de telles déclarations.
Ces déclarations creuses n’auront aucune incidence sur la suite des événements, pas plus qu’elles n’obligeront Netanyahu et son gouvernement de droite à y songer à deux fois avant de démolir les maisons et de déraciner les arbres. Mais elles sont plus importantes que jamais pour l’AP, car des voix s’élèvent à Washington, à Londres et ailleurs, demandant que les Etats-Unis et leurs partenaires reconnaissent, sinon « s’engagent », avec le Hamas. Une telle perspective est une mauvaise nouvelle pour la direction palestinienne de Cisjordanie, qui sait que sa pertinence dans le « processus de paix » repose sur le rejet constant du Hamas. C’est pourquoi l’Autorité Palestinienne à Ramallah continuera de coller à sa méthodologie : ne critiquons pas trop durement Israël, pour ne pas perdre ses faveurs ; suivons les diktats états-uniens, pour maintenir un statut « modéré » et de nombreux privilèges ; et donnons toujours l’impression aux Palestiniens, aux Arabes et aux Musulmans, que l’AP est le seul et unique défenseur de Jérusalem.
On se demande combien de temps encore les dirigeants palestiniens de Ramallah peuvent soutenir cette posture, qui est, de fait, pour le coup, un véritable exercice de futilité.
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