jeudi 10 juin 2010

La flottille de la paix et la machine médiatique israélienne

publié le jeudi 10 juin 2010

Mohamed Salmawy

 
Israël excelle dans la manière de détourner de lui les yeux des médias.
Il est important de noter, dans la couverture médiatique internationale de l’agression terroriste déclenchée par les forces israéliennes contre la flottille de la paix arrivant avec des aides humanitaires pour les Gazaouis, cette condamnation évidente par les médias occidentaux. Mais également, ils se sont laissés entraîner, comme ils le font d’habitude, par la machine de propagande israélienne, connue pour sa puissante influence au sein de ces médias.
Ces derniers ont alors consacré un espace important aux allégations israéliennes officielles avançant que cette opération atroce, même si elle s’est déroulée dans les eaux internationales, faisant 20 morts [1], constituait un acte de défense contre une offensive à l’arme blanche menée par les militants internationaux de la paix contre les soldats. Ainsi, ces appareils sont tombés dans le piège de la propagande israélienne inversant les faits de fond en comble. Ils ont fait des soldats agresseurs, qui ont manipulé fusils et mitraillettes, des victimes et des activistes de la paix, venus pour des objectifs purement humanitaires, des agresseurs. Le résultat étant que les enquêtes, que ce soit dans la presse ou la télévision, s’étaient préoccupées de savoir si les passagers de la flottille, et surtout le navire turc agressé, étaient armés, et s’ils avaient effectivement mené une attaque contre les soldats israéliens.
La machine de propagande israélienne a bougé selon un plan bien ajusté et a arrêté ceux qui se sont trouvés à bord de la flottille et les ont incarcérés dans la prison de Bersheba. Cette machine a rompu tout contact entre les médias mondiaux et les défenseurs de la paix, incarcérés, jusqu’à ce qu’elle fasse prévaloir son point de vue, et afin d’acquérir une crédibilité sur la scène mondiale. Et ce, avant de les libérer et de les extrader. En même temps, elle a diffusé et distribué des photos d’armes blanches qui ont été, pour reprendre leurs termes, confisquées par les forces israéliennes. D’ailleurs, ces armes blanches sont, dans la plupart du temps, des outils ordinaires que l’on retrouve un peu partout, tels que les ciseaux, les couteaux et autres.
Ainsi Israël a-t-il gagné du terrain servant ses intérêts, afin de répondre aux besoins des médias, dans l’objectif de fournir une nouvelle matière fertile renfermant non seulement des déclarations, mais illustrée d’images et de films.
Je ne désire pas, en faisant l’inventaire de la méthode de propagande adoptée par Israël, insinuer qu’Israël a gagné la bataille de l’opinion publique dans cet accident criminel injustifié. C’est plutôt le contraire qui s’avère vrai, d’autant que les atrocités de l’opération ont non seulement contribué à mobiliser l’opinion publique mondiale, mais ont aussi suscité un sentiment de colère à tel point de toucher les appareils officiels qui avaient coutume de faire preuve de réserve de par le passé à chaque fois qu’il était question d’une agression israélienne. Ces dits médias tentaient à chaque fois d’édulcorer leur position d’une certaine dose de fausse objectivité en blâmant à la fois les deux parties, israélienne et palestinienne.
Mais face à ce sentiment de colère qui a dominé le monde entier, Israël a eu recours à ses armes traditionnelles vis-à-vis de la presse occidentale. Il a alors réduit beaucoup la dose de mécontentement qu’il a dû affronter de par le monde. Il a détourné les yeux des médias occidentaux de la réalité qui les a longtemps préoccupés et s’est attelé à prouver que ses soldats n’ont eu recours au meurtre et à l’assassinat que pour se défendre. Au lieu de focaliser sur la cause qui mérite le plus l’attention, celle de se demander ce qui a amené les soldats israéliens à se diriger vers la flottille qui n’avait pas navigué pour mener une offensive militaire sur Israël, et qui se trouvait dans les eaux internationales et donc sur lesquelles Tel-Aviv n’avait aucune autorité.
Il vaudrait mieux se poser la question suivante : ces soldats avaient-ils à l’origine le droit de se trouver dans cette flottille, indépendamment du fait qu’ils se défendaient contre des civils, activistes de la paix [2] ?
Celui qui suit de près la méthode adoptée par la machine de propagande israélienne au fil des ans se rendra compte que ce qui est arrivé avec la flottille dans les eaux internationales est une méthode israélienne habituelle dont nous avons auparavant témoigné. Comme par exemple dans les événements de Gaza en janvier dernier, lorsque la machine de propagande israélienne a inversé les réalités et a préoccupé l’opinion publique mondiale par une cause secondaire qu’elle a poussée au devant de la scène. Selon laquelle l’agression contre le peuple palestinien, sous blocus à Gaza, n’était que des mesures de rétorsion aux frappes palestiniennes de roquettes contre des sites israéliens. Et ce, au lieu d’essayer d’expliquer comment s’arrogent-ils le droit d’imposer le blocus à Gaza et ce qui leur donne le droit de frapper des civils d’un peuple sans armes, faisant des milliers de victimes parmi les femmes, les enfants, les jeunes et les vieillards.
C’est ainsi qu’Israël excelle dans la manière de détourner de lui les yeux des médias. L’intérêt devenant les affres qu’endure Israël dans les territoires occupés suite aux attaques terroristes menaçant sa sécurité et ôtant la vie à ses ressortissants. Personne alors ne s’est soucié de se demander que fait Israël dans ces territoires occupés.
J’ai suivi la couverture du crime israélien atroce contre la flottille dans les médias arabes depuis le jour où il a eu lieu, le 31 mai. Je n’y ai pas trouvé d’allusion à une stratégie médiatique contraire visant à tourner l’attention des médias internationaux vers la cause principale. Celle de savoir ce qui a poussé les soldats israéliens vers le navire turc qu’ils ont encerclé par les bateaux et sur lequel ils ont atterri, armés, avec les hélicoptères, faisant des dizaines de morts et de blessés.
Il est temps que s’arrête ce refrain démodé qu’Israël ne cesse de répéter jour et nuit sur l’autodéfense.
Israël continuera à chanter ce refrain tant qu’il demeurera l’unique acteur sur la scène des médias mondiaux. Et tant qu’il continuera à jouer en solitaire, il contrôlera l’arène et tous ceux qui y travaillent. Si Israël persiste dans son jeu, cela voudrait dire qu’il réalise très bien que l’intérêt des médias mondiaux, tourné vers les causes essentielles, ne sera pas à son bénéfice. Les gens, au lieu de se demander si Israël était dans un état d’autodéfense devant les passagers du bateau turc, se demanderont : qu’est-ce qui a entraîné ces soldats vers le navire ? Au lieu de se demander si Israël affrontait le terrorisme palestinien, ils se demanderont qu’est-ce qui a amené l’Etat hébreu dans les territoires occupés.
Probablement, c’est Israël qui continuera à gérer le cours des choses qui sont le point de mire des médias mondiaux, tant qu’il reste encore aujourd’hui l’unique acteur.
[1] 9 officiellement
[2] ici je crains que le chroniqueur ce cède lui même inconsciemment à la désinformation en utilisant le terme "se défendre" ! Voir d’ailleurs la suite de son texte qui dément cet égarement momentané. Voir aussi le billet d’humeur/humour noir de sébastien Fontenelle dans Politis le 3 juin :

Rotor Picture Show

Imaginons dix secondes, histoire de rire jaune (foncé), que des soldats iraniens donnent l’assaut, dans les eaux internationales, à un convoi (maritime) humanitaire et massacrent un peu tout ce qui bouge (neuf morts, trente-six blessés, tous civils, il va de soi), puis qu’Ahmadinejad, en guise de justification, déclare comme ça que ces victimes étaient liées au terrorisme international, et que d’ailleurs il y avait des gens, sur ces bateaux, qui avaient des couteaux, et aussi des lance-pierres, alors qu’on venait en paix avec nos hélicos d’assaut – des lance-pierres, nom de Dieu, allait-on laisser sans réagir décimer nos sections d’élite ? Foutre non : alors blam, blam, bla-a-a-am, t’aurais dû voir c’qu’on leur a mis, aux croisiéristes. (Entre nous, Jean-Pierre : le lance-pierre, ça fait sans doute vachement bien dans la Guerre des boutons, mais pour ce qui serait d’une confrontation un peu sérieuse avec les chevaliers du ciel, laisse-moi te dire que ça reste léger.) Imaginons, donc.
Et demandons-nous ce que serait la réaction du monde libre – lequel s’étend, je te rappelle, de Tuscumbia (Alabama) à Olomouc (République tchèque), avec un détour par Anglards-de-Salers (Cantal, France) – et de ses plus fameux penseurs, si le Persan allait à de telles extrémités ? L’Union européenne (UE) se contenterait-elle de lui donner un petit coup de règle en bubble-gum sur les doigts ? Bernard-Henri Lévy (BHL) lui recommanderait-il de trouver de moins sots modes d’expression, avant de l’assurer, nonobstant, de sa pleine et entière sympathie ? Je ne crois pas, non.
Mais ce lundi, et dans la vraie vie : c’est une soldatesque israélienne qui a fait un affreux carnage dans un convoi humanitaire – et BHL, après avoir rendu « un hommage appuyé à l’armée israélienne » [1], a considéré que c’était, je cite, « stupide ». Pas monstrueux du tout, hein ? Mais vachement ballot, parce que bon, y a « d’autres moyens d’empêcher une provocation »… (Puis BHL, hissant haut le dépassement des pudeurs, a exhorté Israël à « se libérer » des territoires palestiniens [2].) Et l’UE ? L’UE a réagi selon ses traditions : elle a demandé à Israël d’enquêter sur le massacre. (Genre : on sait que c’est toi qui as fait le coup, Buddy, alors ça serait bien que tu relèves tes empreintes, et que tu nous les envoies avec des aveux signés.) Sinon ? Sinon, rien, comme d’hab : le terrifiant rapport Goldstone n’a aucunement dissuadé l’UE de continuer à supporter le gouvernement israélien. War on terror, d’accord, mais faut pas non plus en abuser.
Je serais ledit gouvernement, je rirais, à gorge déployée, de me voir si impuni en ce miroir, et je commencerais à faire chauffer les rotors pour la prochaine stupidité : et reconnaissons qu’à partir du moment où la communauté internationale lui fait un prix d’ami sur la tuerie de groupe, il aurait tort de ne pas lui en commander quelques-unes d’avance. Notes
[1] Je te jure que je n’invente rien.
publié par al Ahram hebdo en français
(Ajout de) notes : C. Léostic, Afps