dimanche 16 mai 2010

Ligne rouge en Israël, le Shin Bet arrête le dirigeant de la campagne de boycott

publié le samedi 15 mai 2010
Jonathan Cook

 
La poursuite de Makhoul et Sayid par le Shin Bet doit être comprise dans le cadre de la conviction qu’a l’establishment israélien que la minorité arabe présente une menace politique pour la survie d’un Etat juif.
L’arrestation récente de deux personnalités respectées de la minorité arabe des Palestiniens d’Israël lors de descentes nocturnes chez eux de la police secrète du Shin Bet -mise en lumière cette semaine quand l’ordre de censure a été partiellement levé- a provoqué une onde de choc dans toute la communauté.
Ces arrestations ne sont pas les premières du genre. Le Shin Bet a traqué et emprisonné les intellectuels et hommes politiques appartenant à la minorité palestinienne, soit un cinquième de la population du pays, depuis la naissance de l’Etat juif il y a plus de 60 ans. Actuellement deux députés de partis politiques arabes, de même que le dirigeant du Mouvement populaire islamique, sont en procès.
Mais la détention par les forces des services de renseignement israéliens de Amir Makhoul et Omar Sayid est perçue différemment- comme l’accumulation de nuages d’orage politiques dans un climat déjà farouchement hostile aux citoyens palestiniens.
Mohammed Zeidan, responsable de l’Association pour les droits humains ( Human Rights Association) à Nazareth a déclaré :“Nous avons l’habitude que nos dirigeants politiques soient persécutés mais maintenant c’est contre les dirigeants de la société civile palestinienne en Israël que le Shin Bet se tourne et c’est un développement très dangereux.”
Makhoul et Sayid ne sont pas accusés des habituelles atteintes à l’ordre public, et ils n’ont pas non plus violé les lois racistes qui criminalisent les visites que rendent des citoyens palestiniens à des pays arabes. Tous les deux tombent sous le coup de l’accusation bien plus grave d’espionnage au profit du Hezbollah libanais.
Makhoul, qui semble attirer plus particulièrement l’intérêt du Shin Bet, est le responsable d’Ittijah, une plateforme qui coordonne les activités des groupes palestiniens de défense des droits humains en Israël. Plus particulièrement, il est devenu la voix principale qui en Israël soutient la campagne internationale pour le boycott, les sanctions contre Israël et le désinvestissement, campagne qui prend de l’ampleur.
Mercredi (12 mai) les tribunaux ont approuvé la prolongation de la garde à vue de Makhoul. Sa présence au tribunal a été interdite et il s’est vu refuser le droit d’avoir un avocat, ce jusqu’à lundi prochain au moins, soit 12 jours après son arrestation. Il est, dit-on, interrogé 24 heures sur 24.
Sayid, militant du parti Tajamu, est un scientifique spécialisé dans le développement de nouveaux médicaments à partir de plantes proche-orientales. Il est aux mains du Shin Bet depuis le 24 avril.
Amnesty International a menacé de déclarer Makhoul “prisonnier de conscience,” affirmant que son arrestation relève du harcèlement pur et simple, afin d’empêcher « son travail pour les droits humains ».
Des observateurs de la minorité palestinienne tiennent aussi pour ridicules ces accusations, basées sur des preuves tenues secrètes, selon lesquelles les deux hommes auraient « des contacts avec des agents ennemis ».
Ils font observer que dans les conditions d’urgence draconiennes qui sont à l’oeuvre dans cette affaire, la preuve la plus minime et la plus indirecte suffit au Shin Bet pour émettre une telle accusation.
Selon Zeidan c’est une atteinte à la sécurité bien facile et « à taille unique » qu’il est difficile de contrer mais qui convaincante pour la majorité juive. “Il suffit qu’à une conférence tu rencontres sans le vouloir le parent d’un parent de quelqu’un qui est au Hezbollah et le Shin Bet considère qu’il a des éléments pour t’arrêter.”
La minorité palestinienne n’est pas seule à croire que Makhoul et Sayid ne sont pas des espions, dans le sens usuel de la communication à l’ennemi d’informations top secret ou sensibles. Dans leur majorité les correspondants militaires israéliens rejettent aussi les accusations d’espionnage. Dans le quotidien israélien Haaretz, les journalistes Amos Harel et Avi Issacharoff font remarquer que ni l’un ni l’autre de ces citoyens palestiniens n’est au courant de secrets qui pourraient intéresser le Hezbollah.
Les journalistes pensent au contraire que d’autres motifs se cachent derrière ces arrestations. D’après eux, les contacts entre les ennemis d’Israël comme le Hezbollah et les militants qui défendent les droits des Palestiniens en Israël sont une menace parce que les dirigeants palestiniens en Israël pourraient offrir leur aide pour « coordonner les positions politiques » ou lancer des « mouvements de protestation ou des émeutes pendant les périodes sensibles ». Voici qui étend radicalement la définition traditionnelle de « l’espionnage ».
Aux yeux des dirigeants de la communauté (palestinienne), la poursuite de Makhoul et Sayid par le Shin Bet doit être comprise dans le cadre de la conviction qu’a l’establishment israélien que la minorité arabe présente une menace politique pour la survie d’un Etat juif.
Les racines de cette perception remontent à la signature des accords d’Oslo. Avec le lancement de ce processus de paix avec les Palestiniens, les dirigeants politiques israéliens ont commencé à reconsidérer le statut de la large minorité palestinienne. Beaucoup pensaient que de permettre à une partie significative de la population palestinienne de rester à l’intérieur d’Israël en tant que citoyens se révèlerait un jour le talon d’Achille du pays.
Est ce que la minorité palestinienne ne pourrait pas permettre aux Palestiniens des territoires occupés d’avoir « un pied à l’intérieur », pour essayer de regagner toute la Palestine historique plutôt que d’accepter un mini-Etat en Cisjordanie et dans la bande de Gaza ?
Ces peurs ont pris une ampleur spectaculaire quand Oslo a mal tourné et que la deuxième Intifada a éclaté en 2000. Israël croyait que les Palestiniens avaient rejeté ses offres « généreuses » à Camp David dans l’espoir qu’ils pourraient utiliser la minorité palestinienne comme Cheval de Troie pour détruire l’Etat juif de l’intérieur par la démographie.
Ehud Barak, le premier ministre d’alors, a appelé la minorité palestinienne le « fer de lance » de ce qu’il pensait être une tentative de Yasser Arafat de démanteler Israël en tant qu’Etat juif. Il craignait que le programme de réforme politique qui exigeait un « Etat de tous les citoyens », devenu le cri de ralliement des citoyens palestiniens, n’ait pour intention réelle de permettre le retour de millions de réfugiés palestiniens sous couvert de lutte pour l’égalité des droits.
Israël a répondu en rendant impossible tout contact entre les Palestiniens de l’intérieur et ceux des territoires occupés, y compris en construisant un mur autour de la Cisjordanie et par une loi interdisant effectivement les mariages entre Palestiniens des deux côtés de la Ligne verte.
Faut-il s’étonner que la cible principale du Shin Bet avant ces dernières arrestations ait été Azmi Bishara, l’architecte de la campagne “l’Etat de tous ses citoyens” ? En 2007 Bishara fut accusé d’espionnage en faveur du Hezbollah et il vit en exil depuis lors.
A l’époque, Yuval Diskin, chef du Shin Bet, avait prévenu qu’il considérait que son boulot était d’ “étouffer” toute activité, y compris politique, qui menaçait la survie d’Israël en tant qu’Etat juif.
Selon Zeidan et d’autres analystes, l’implication du Shin Bet dans les dernières arrestations semble guidée par la même analyse, à savoir que la minorité palestinienne présente à nouveau une « menace existentielle » pour Israël- bien que pour des raisons différentes.
Makhoul est perçu comme la tête de file d’un mouvement qui émerge à l’intérieur d’Israël et qui, confronté au refus israélien d’engager des réformes politiques pour démocratiser le pays, élabore de nouvelles stratégies politiques.
Il n’a pas caché les nombreux contacts qu’il a développés à la fois avec les militants occidentaux de la solidarité avec la Palestine et dans le monde arabe, en insistant sur la nécessité de boycotter Israël. Il était aussi au premier plan des manifestations, à l’intérieur d’Israël, contre l’attaque menée contre Gaza l’an dernier. Il avait été convoqué et interrogé par le Shin Bet à l’époque.
“L’occupation ne fait plus la Une,” dit Zeidan. Aux yeux du Shin Bet, les grosses menaces auxquelles Israël est confronté sont la détérioration de son image en termes de droits humains et l’idée qui se répand à l’étranger que c’est un Etat d’ apartheid.
“La société civile palestinienne en Israël, encore plus que nos partis politiques, est bien placée pour défendre ces questions devant la communauté internationale, pour mettre en évidence le racisme et la discrimination qui sont inhérents à un Etat juif. C’est à cette lumière que doit être comprise l’arrestation de Amir Makhoul.
“Le Shin Bet considère que nous avons passé une ligne rouge dans la défense de nos droits au niveau international.”
Jonathan Cook, écrivain et journaliste est basé à Nazareth, Israël. Derniers livres : “Israel and the Clash of Civilisations : Iraq, Iran and the Plan to Remake the Middle East” (Pluto Press) et “Disappearing Palestine : Israel’s Experiments in Human Despair” (Zed Books).
Une version de cet article est d’abord parue dans The National (www.thenational.ae), publié à Abu Dhabi.
publié par Ma’an news
traduction : C. Léostic, Afps