vendredi 14 mai 2010

Le pari de l’" Intifada blanche " en Cisjordanie

publié le jeudi 13 mai 2010
Laurent Zecchini

 
Cette forme de mobilisation veut associer manifestations non violentes et boycottage des produits israéliens
L’émissaire américain pour le Proche-Orient, George Mitchell, a quitté Jérusalem, dimanche 9 mai, après le lancement formel des négociations de paix indirectes entre Israéliens et Palestiniens. Washington a prévenu les deux parties que les Etats-Unis n’hésiteront pas à stigmatiser les mesures qui " saperaient gravement la confiance ". L’entourage du premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, a démenti qu’Israël s’est engagé à geler pendant deux ans toute construction dans la colonie de Ramat Schlomo, comme l’avaient annoncé les Américains. Israéliens et Palestiniens devraient annoncer prochainement des " mesures de confiance " réciproques, alors que ces " discussions de proximité " s’engagent dans un climat de fort scepticisme. - (Corresp.)
Parce qu’ils attendent peu des négociations indirectes qui viennent officiellement de reprendre avec les Israéliens, les Palestiniens de Cisjordanie, par ailleurs convaincus que la lutte armée est vouée à l’échec, sont tentés de s’engager dans une campagne de longue haleine faite de " résistance populaire " et de guerre économique contre les colonies juives.
" J’ai le sentiment que le monde entier est avec nous, aujourd’hui ! ", s’était exclamé Salam Fayyad, premier ministre de l’Autorité palestinienne, le 21 avril, à l’ouverture d’une conférence consacrée à ce thème organisée à Bilin, un haut lieu de la lutte non violente. " La résistance populaire pacifique est le moyen essentiel de mettre fin à l’occupation. Il y a des initiatives pour nous soutenir dans de nombreux pays européens ", s’est-il félicité devant un parterre de militants et une vingtaine de diplomates, notamment européens.
Il est encore trop tôt pour savoir quelle sera la longévité de cette " Intifada blanche " et surtout son efficacité. Mais le mouvement fait tache d’huile. La lutte des habitants de Bilin, commencée en février 2005 lorsque la " clôture de sécurité " érigée par les Israéliens a coupé le village en deux, n’est plus isolée : Nilin, Nabi Saleh, Masara, Budros, Beit Jala, Iraq Burin, sans compter Cheikh Jarrah et Silwan, à Jérusalem-Est, Gaza enfin, dans la dangereuse zone tampon entre les check-points israélien et palestinien...
Combien sont-ils ces villages où se déroulent, chaque semaine, des manifestations " non violentes " même si, souvent, des jets de pierres répondent aux tirs de gaz lacrymogène et de balles en caoutchouc, ou vice versa ? Dix, quinze, voire " quarante ", comme l’affirme avec beaucoup d’optimisme Mustafa Barghouti, ancien candidat à l’élection présidentielle de 2005, venu des rangs communistes, et qui revendique un rôle pionnier dans la lutte non violente ?
" Avec le soutien de la communauté internationale, Israël doit être dénoncé comme un Etat de l’apartheid. Il faut boycotter tous les produits israéliens, pas seulement ceux provenant des colonies ", insiste-t-il. A Ramallah, on entend sur ce point deux discours : Hassan Abou Libdeh, ministre palestinien de l’économie, assure que seule la production des colonies est visée : " Nous ne prenons aucune mesure contre les autres produits israéliens ", souligne-t-il. Pour Nabil Chaath, ancien négociateur qui préside aujourd’hui la commission des affaires étrangères du Fatah, le parti qui contrôle l’Autorité palestinienne : " Les Palestiniens peuvent décider de boycotter tout ce qui est israélien. Les produits des colonies sont illégaux, parce que les colonies sont illégales ", insiste-t-il.
L’ancien ministre des affaires étrangères de Yasser Arafat explique que la résistance non violente est basée sur un constat : " Il n’y a pas de chances réelles pour un accord négocié avec les Israéliens tant que Benyamin Nétanyahou sera premier ministre. " Pour lui, la stratégie palestinienne doit comprendre quatre piliers : la résistance populaire, l’action internationale, l’unité nationale entre Palestiniens et la construction d’un Etat.
C’est une stratégie aléatoire. D’une part, parce que ceux-ci envisagent des mesures de rétorsion, comme l’interdiction des exportations palestiniennes à partir des ports israéliens ou le non-reversement des droits de douane ; d’autre part, parce que le risque de dérapages violents est latent. Vouloir contrôler des foules de jeunes palestiniens que l’on encourage à manifester contre l’" occupation " ressemble à une gageure.
Enfin, les conséquences d’un boycottage ne sont pas anodines pour l’économie palestinienne. M. Libdeh demande aux quelque 25 000 travailleurs palestiniens employés dans les colonies juives d’abandonner leur emploi, en prévenant qu’un refus d’obtempérer sera puni d’une peine de cinq ans de prison et d’une forte amende de 14 000 dollars (11 000 euros).
Quand ? La date n’est pas précisée et l’Autorité palestinienne annonce vouloir aider les intéressés avec des prêts et de la formation pour retrouver du travail, un objectif ambitieux alors que le taux de chômage dépasse 18 % en Cisjordanie... Dans la période incertaine qui s’ouvre, Mahdi Abdul Hadi, qui dirige, à Jérusalem, le centre d’études palestinien Passia, craint des provocations : " Un mouvement palestinien devenu non violent n’est pas dans l’intérêt d’Israël ", indique-t-il.
Les Israéliens, confirme M. Chaath, feront tout pour que " notre lutte dégénère dans la violence. Cela leur permettrait de répliquer plus férocement que jamais ". D’ores et déjà, le gouvernement de M. Nétanyahou réagit à deux niveaux : sur le plan sécuritaire, en multipliant les arrestations dans les territoires occupés, en employant de nouvelles techniques de contrôle des manifestants, et en refoulant les militants étrangers à leur arrivée en Israël.
Au niveau politique, une mobilisation contre l’" Intifada blanche " s’affirme tant au Parlement (la Knesset) qu’au gouvernement. Isaac Herzog, ministre israélien des affaires sociales, explique au Monde que ce sont " les Palestiniens les plus pauvres qui vont pâtir du boycottage ". " L’Autorité palestinienne devrait ouvrir son économie et ne pas considérer que le fait de commercer avec nous affaiblit ses aspirations nationalistes ", insiste-t-il. La période des négociations indirectes, ajoute ce responsable du Parti travailliste, " doit être l’occasion de détendre la situation, non de provoquer davantage de tensions ".
Les Palestiniens s’efforcent d’obtenir le soutien de la communauté internationale en faveur du boycottage, avec des résultats encore peu probants. Quant aux chances d’obtenir des concessions politiques d’Israël par la pression de l’" Intifada blanche ", tous les Palestiniens ne sont pas convaincus par une telle stratégie.
M. Hadi résume ainsi le point de vue des sceptiques : " Ce sont des initiatives éparpillées, sans consensus et sans leadership : on manifeste le vendredi et le reste de la semaine, chacun reprend ses activités. Il n’y aura jamais de Gandhi palestinien, c’est une question de culture : la non-violence n’a jamais été dans la tradition du peuple palestinien ", affirme-t-il [1].
[1] grossier mensonge, dans la lignée des falsifications historiques du mouvement sioniste et des divers gouvernements israéliens depuis 48. Voir Claude Léostic Palestine et résistance non violente et Bernard Ravenel Palestine entre non-violence et terrorisme
publié par le Monde
note : C. Léostic, Afps