Palestine -                               29-05-2010                                                                                                          
                                                                           
Par                          ISM 
                         Le 13 mars 2009, lors d’une manifestation de la  résistance populaire palestinienne à Ni’lin, près de Ramallah, Tristan  Anderson, activiste californien en Palestine occupée avec ISM, a été  grièvement blessé par le tir d’une grenade lacrymogène à haute vélocité  en plein front, la même munition qui a tué Bassem Abu Rahme à  Bil’in le 17 avril 2009. Anderson est toujours à l’hôpital Tel Hashomer,  dans la banlieue de la colonie sioniste de Tel Aviv, depuis le 13 mars  2009. Ses parents et sa compagne Gabrielle sont auprès de lui depuis  cette date, et ils ont accepté de répondre à nos questions sur  l’évolution de l’état de santé de notre camarade.                         
Tristan Anderson et Gabrielle Silverman lors d'une manifestation  en Californie 
1- Peux-t-il parler ?
 Oui, Tristan a commencé à parler début décembre 2009, après qu’on lui  ait retiré son tube de trachéotomie.
2- Que dit-il ? Sait-il qui il est ?
Oui, il sait qui il est et il se souvient de sa vie d’avant la blessure.  Il a conservé toutes ses connaissances spécialisées, il raconte des  histoires, il reconnaît les gens sur les photos, il chante ses chansons  préférés, etc. Sa mémoire à long terme de la vie d’avant la blessure est  globalement excellente.
3- Comment est le son de sa voix ? Est-elle empâtée ? A-t-il du mal à  formuler le langage ?
 Tristan parle clairement mais doucement. Nous communiquons très bien  avec lui, mais il peut être difficile à entendre s’il y a du bruit  autour. Alors que d’autres fonctions cognitives ont été touchées, ses  capacités linguistiques sont plus ou moins intactes. Il a conservé la  grammaire et le vocabulaire des adultes et n’a pas besoin de réapprendre  la langue.
4- Comment Tristan a-t-il communiqué pendant les mois où il ne  pouvait pas parler ?
Avant qu’il ne reparle, Tristan communiquait principalement par gestes  et aussi en écrivant et en épelant des mots sur un tableau de  communication (bien que son écriture soit très difficile à déchiffrer,  ce fut bien pire avant). 
 Dans les premiers temps (et pendant une longue période), la  communication avec Tristan était très limitée et quelquefois  incohérente, faite de signes oui/non avec la main. Outre les signes  manuels, on a communiqué en lui présentant des objets ou des choix  écrits sur un tableau, et en lui demandant de montrer celui qui était  correct, ou celui qu’il voulait. Dans ces très mauvais jours, Tristan ne  pouvait traiter que deux options à la fois.
5- On a dit qu’il avait été dans le coma.
 Non, Tristan n’a jamais été dans le coma, mais il est resté dans un état  de conscience minimale pendant les six/sept premiers mois après avoir  été blessé. Pendant cette période, sa vie était complètement dominée par  des complications médicales et il ne pouvait se maintenir éveillé que  quelques minutes. Ce fut une période épouvantable, avec beaucoup  d’incertitudes sur les possibilités d’amélioration, mais il l’a  traversée et surmontée.
6- Qu’est-ce qui s’est passé ? 
En août, Tristan a eu deux opérations, une cranioplastie (une chirurgie  reconstructrice du crâne) suivie d’une dérivation ventriculo-péritonéale  (pour soulager la pression à l’intérieur du crâne due à l’excès de  liquide céphalo-rachidien dans le cerveau). Il a ensuite commencé à se «  réveiller » de façon notable, puis il a eu une septicémie.  On lui a  administré de très fortes doses d’antibiotiques par voie intraveineuse  pendant une longue période. Quelques semaines après, la fièvre a reculé  et il a commencé sa lente remontée des abysses.
7- A-t-il changé ? Ses capacités cognitives ont-elles été affectées ?
 Tristan a conservé beaucoup de ses connaissances et valeurs en tant  qu’activiste et comme la personne que nous connaissions, mais sa  blessure au cerveau l’a profondément affecté. Il a par exemple des  difficultés de contrôle nerveux et de mémoire à court terme, ce qui   retentit sur tout ce qu’il fait, tout le temps. 
 Je ne voudrais pas, en répondant à cette question, donner aux lecteurs  une idée trop optimiste ou trop pessimiste de sa situation. A plusieurs  moments, quand je parlais avec des amis j’ai eu l’impression de faire  les deux. La réalité est plus compliquée.
Une lésion cérébrale peut rendre une personne énigmatique.
Par exemple, Tristan peut jouer a des jeux de société pour adultes plus  difficile que je ne le peux moi-même, et en même temps il n’arrive pas à  jouer à Force Quatre ou à d’autres jeux similaires pour enfant parce  qu’il est trop occupé à manipuler les pièces et il ne peut pas attendre  son tour.
Tristan oscille en permanence entre un état où il est perspicace et  compétent et un état dans lequel il est enfantin et irresponsable. Il  n’y a jamais un moment où je ne suis pas consciente de sa lésion.
 Tristan à Bil'in, le 13 mars 2009
Tristan à Bil'in, le 13 mars 2009.
7- Quelles parties de son corps et de son cerveau ont été affectées  lorsqu’il a été blessé le 13 mars 2009 ?
 On lui a tiré dans le front, au dessus de l’œil droit, et c’est le lobe  frontal droit du cerveau qui a touché en premier lieu. Ensuite, durant  la première semaine en soins intensifs, il a frôlé la mort de très près à  cause de l’hémorragie et du gonflement résultant de la blessure. Ces  lésions secondaires ont affecté de manière significative son lobe  temporal droit ainsi que d’autres parties de son cerveau.
Il est aussi devenu aveugle de l’œil droit et son orbite droite (la  partie osseuse entourant l’œil) a été brisée en plusieurs morceaux. Sa  blessure est classifiée comme une lésion cérébrale traumatique sévère.
8- Comment est-il touché, physiquement ?
Tristan est hémiplégique. Il n’est pas complètement paralysé mais il est  presque totalement incapable de bouger son bras et sa jambe gauches.  C’est particulièrement  difficile pour lui car il est gaucher.
Tristan est encore en train de récupérer des dégâts causés à son  organisme par des mois d’alitement et d’immobilité.
9- Est-ce qu’il remarchera ?
 Tristan est dans un fauteuil roulant. Récemment il a été capable de  bouger un petit peu sa hanche gauche. Sa kinésithérapeute est optimiste  et pense qu’avec un traitement adéquat il pourra être capable de se  déplacer par lui même. Cependant elle a prévenu que cela pourrait  prendre des années de travail.
10- Comment se passe la vie de tous les jours pour vous au centre de  rééducation ?
Les journées bien remplies, les matins sont occupés à toutes sortes  d’activités où se succèdent les séances de kiné, de thérapie pour la  parole et d’ergothérapie. On glisse dans la matinée deux repas, et si  tout va bien nous avons du temps en plus pour les exercices de tenue en  position debout, qui se font à l’aide d’une sorte de planche dans la  salle de kiné afin que le corps de Tristan s’habitue à nouveau à la  station debout. Quelquefois, nous faisons aussi des exercices de  bicyclette fixe qu’on pratique dans la position allongée et qui  permettent à Tristan de pédaler activement avec sa jambe droite, et  passivement avec la gauche. 
 En début d’après-midi, Tristan retourne se coucher pour se reposer  pendant environ deux heures.
 Il se relève vers 16h-16h30 et va faire une longue promenade avec son  père puis il revient dîner. Il mange des plats variés principalement à  base de riz, de haricots et de légumes et beaucoup de soupes de  différentes sortes.
 Après le diner on décide de ce qu’on va faire le reste de la soirée.  Parfois Tristan travaille sur ordinateur. D’autre fois, on joue aux  cartes, à des jeux de sociétés, des choses comme ça. On essaye de  l’habituer à manœuvrer son fauteuil roulant tout seul. Parfois on le  fait travailler dur et d’autres fois, on flâne juste. On se lit beaucoup  de textes entres nous, y compris des textes que Tristan avait écrit  avant.
 On essaie de lui tenir compagnie ici, et de faire des choses qui sont  entre le « travail » et le « jeu » pendant nos temps libres. Mike, Nancy  et moi, nous n’avons plus de vie. On est là à l’hôpital presque tout le  temps.
 Nancy et Mike Anderson, les parents de Tristan
Nancy et Mike Anderson, les parents de Tristan.
11- Lui arrive-t-il de sortir de l’hôpital ?
Pas très souvent, mais parfois. On essaye de sortir pendant les  week-ends.
12- Comment tient-il le coup émotionnellement ?
 Pour le meilleur ou pour le pire, Tristan ne s’est jamais beaucoup  appesanti sur sa blessure. Il est parfaitement au courant du préjudice  physique, mais il est moins conscient ou accepte moins les répercussions  cognitives.
Ces derniers mois, on l’a vu lentement se mettre plus à l’écoute de ses  sentiments, et je crois que cela continuera à se développer avec le  temps.
13- Continuez-vous à observer des améliorations dans ses capacités ?
Oui.
14- Est-il toujours dans un état critique ? 
 Non, à ce stade, Tristan a passé la phase aigue de sa blessure. Il vit à  l’hôpital parce qu'il y suit un programme de rééducation.  
15- Est ce qu’il est plutôt indépendant maintenant ou est-ce qu’il a  encore besoin de beaucoup d’aide ?
Il a encore besoin de beaucoup d’aide.
16- Où en est-on des poursuites judiciaires ? 
Il y a deux procédures, une procédure judiciaire pour crime et une  procédure civile.
 Pour l’instant, la police israélienne qui a enquêté sur les tirs contre  Tristan a classé le dossier sans poursuites pénales contre aucune des  personnes impliquées. L’enquête a été largement critiquée comme étant un  simulacre et nous faisons appel de cette décision.
Il y a eu un article trompeur, publié dans le quotidien 
Ha’aretz,  intitulé « 
L’état ré-enquête sur les circonstances dans lesquelles  l’activiste américain a été blessé », qui a été diffusé sur tout  l’internet et qui donnait la fausse impression que l’Etat israélien  était en train de rouvrir le cas de Tristan. En fait tout ce qui s’est  passé, c’est que nos avocats ont fait appel et que l’Etat est légalement  obligé d’accepter cette requête administrative, c’est ce qu’ils ont  fait. C’est tout.)
En plus du dossier pénal, il y a aussi le procès civil que la famille de  Tristan intente contre l’armée israélienne afin d’aider à couvrir les  dépenses médicales pour le reste de sa vie, la perte de revenus, et les  soins continus dont Tristan aura besoin. On a été avertis du fait que la  procédure civile prendra probablement plusieurs années avant d’aboutir.  (La procédure civile concernant Rachel Corrie a été lancée en 2005, et a  été pour la première fois examiné il y a seulement un mois et demi, ce  qui est scandaleux.)
17- Sur quelle base faites-vous appel pour la réouverture de  l’affaire pénale ? 
L’enquête sur les circonstances dans lesquelles on a tiré sur Tristan  est un parfait exemple qu’on ne peut pas faire confiance à l’armée et à  la police pour enquêter sur elles-mêmes.
Par exemple, les enquêteurs n’ont même pas pris la peine de se déplacer  sur les lieux où Tristan s’est fait tiré dessus. Ils n’ont jamais  recueilli la moindre preuve ou indice matériel.
En plus, les témoins oculaires ont affirmé que les tirs provenaient  d’une colline voisine.
Bien que l’armée ait confirmé qu’il y avait bien une unité de police des  frontières sur cette colline et qu’ils étaient armés de lanceurs de gaz  lacrymogène à haute vélocité, toute l’investigation repose sur la  conduite d’une autre unité de police des frontières qui n’a aucun  rapport et qui était située de l’autre côté de la ville.
A ce jour, l’unité de police des frontières qui étaient sur la colline  d’où sont partis les tirs n’a toujours pas été interrogée.
18- Qu’est ce que l’on peut faire pour aider à ce que la justice soit  rendue pour Tristan ? 
Nous demandons que la procédure judiciaire pour crime contre la police  des frontières impliquée dans les tirs sur Tristan soit rouverte  immédiatement et qu’une enquête sérieuse commence.
On encourage nos amis à contacter Barbara Lee, la représentante de  Tristan au Congrès (202-225-2661) ou bien d’interpeller le 
consulat israélien local pour  exiger qu’Israël assume l'entière responsabilité des tirs contre  Tristan.
 Nous savons aussi que depuis que nous sommes à l’hôpital avec Tristan,  deux autres activistes sont morts dans des manifestations contre le mur.  Ils s’appelaient Basem Abu Rahme et Yousel’Akil Tsadik Srour.  Basem a été tué alors qu’il criait aux soldats qu’il s’agissait d’une  manifestation non violente et il leur demandait d’arrêter de tirer en  direction d’une manifestante qui avait été blessée. Akil est mort alors  qu’il venait en aide à un adolescent de 16 ans qui s’était fait tirer  dans la colonne vertébrale.
A ce jour, Israël a tué 23 personnes pour construire leur mur et en a  grièvement blessé beaucoup d’autres. Comme Ehab Fadel Barghouthi (14  ans), touché par balle à la tête pendant une manifestation il y a  quelques semaines.
Alors que je mets la touche finale à ce document, j’apprends que Ahmad  Sliman Salem Dib, 19 ans, est mort par un tir israélien durant une  manifestation contre une confiscation de terre à Gaza.
Exiger la justice pour Tristan, c’est aussi exiger la justice pour eux,  et c’est reconnaitre le rôle du gouvernement américain dans la guerre et  l’occupation partout dans le monde.
19- Est-ce que Tristan pourra récupérer complètement ? Les médecins  sont-ils capables de prédire son état sur le long terme ?
Il n’y a aucune projection à long terme. Tant qu’il continue à  progresser, personne ne peut dire jusqu’où il ira. Mais le fait est  qu’on ne peut pas tirer dans la tête de quelqu’un et ensuite l’effacer.  Les tissus cérébraux qui sont morts restent morts, mais l’esprit humain  peut apprendre à compenser.
 La métaphore la plus commune que j’ai entendue pour décrire la  récupération d’une lésion cérébrale est celle-ci : Vous voyagez en  voiture et l’autoroute est bloquée. La question est : est-ce que vous  pourrez trouver une façon de rejoindre votre destination en utilisant  les routes de campagne ? Ceux qui réussissent la rééducation de leurs  lésions cérébrales forment et trouvent de nouveaux chemins.
20-Quand est-ce que vous pensez qu’il sera prêt à rentrer chez lui ?
C’est aussi la question que Tristan pose tout le temps. Nous espérons  repartir en  Californie pendant l’été 2010.
Tristan emménagera avec ses parents pour vivre avec eux dans leur petite  ville de campagne. Il continuera la rééducation en ambulatoire. On  envisage aussi d’installer un logement satellite pour lui dans le  secteur de la Baie de San Francisco pour faire des allers retours.
J’espère que les amis et la famille de Tristan l’accepteront avec ses  capacités et ses handicaps, et qu’ils trouveront une façon de  l’accueillir à la maison.
Pour toute personne motivée, il y aura beaucoup à faire. 
Nous acceptons les dons par le biais du site ISM. 
 De plus, nous avons démarré une liste mail « Welcome Tristan »  pour la coordination logistique des projets d’accessibilité et des  bonnes idées. Pour vous abonner, envoyez un mail vide à : friendsoftristan+subscribe@googlegroups.com
- Le site dédié à Tristan : « 
Solidarity  with Tristan Anderson ».
- L'article du 15 mars 2009 : "
Tristan Anderson est toujours dans état  critique".
http://www.ism-france.org/news/article.php?id=13861&type=temoignage&lesujet=Victimes%20ISM