jeudi 15 avril 2010

La chasse aux sorcières contre les ONG israéliennes

Publié le 14-04-2010
Des groupes israéliens de défense des droits de l’Homme se considèrent en état de siège, le gouvernement israélien les attaquant en les accusant de mettre en cause l’existence d’Israël et de représenter un "danger pour la nation"
Les responsables de quelques-unes des plus importantes organisations israéliennes des droits de l’Homme déclarent qu’elles travaillent dans un environnement de plus en plus hostile et qu’elles se trouvent attaquées pour des actions mettant prétendûment le pays en danger.
Selon les défenseurs des droits, les pressions sur leurs groupes se sont accrues depuis qu’Israël est accusé de crimes de guerre, et ils s’interrogent sur les limites de la liberté d’expression et de contestation dans la démocratie israélienne tant vantée.
« Au fil des ans, dans un ensemble d’arènes internationales », assure HagaI El-Ad, directeur de l’Association pour les Droits civils en Israël, « il était essentiel pour les officiels israéliens de proclamer : ̎Il est vrai que nous connaissons beaucoup de problèmes, peut-être même des abus ; néanmoins, nous avons une société civile forte et vigoureuse, avec une pléthore d’opinions, et nous en sommes très fiers ̎.
« Il est incohérent de faire ces déclarations et dans le même temps de créer une situation qui nous fait passer pour des traîtres aux yeux du public ».
Il est rare que les gouvernements et les associations de vigilance qui les mettent en garde partagent les mêmes points de vue. Mais les défenseurs des droits soulignent les responsables du gouvernement de droite israélien d’Israël, les accusations de crimes de guerre contre les militaires israéliens, subséquentes à la guerre de Gaza au cours de l’hiver 2008-2009, présentent la critique pour les droits de l’Homme comme une menace existentielle qui "déligitime" Israêl.
Le premier ministre Benjamin Nétanyahou a qualifié de "menace stratégique majeure" ce qu’il appelle l’ « effet Goldstone », c’est-à-dire la délégitimation d’Israël à l’étranger.
L’été passé, il avait attaqué comme « sélectivement anti-israélienne » une organisation de gauche, "Briser le silence", qui avait publié des accusations émanant de soldats israéliens anonymes sur les violations des droits de l’homme commises pendant la guerre.
Certains organismes internationaux de défense des droits, tel Human Rights Watch, qui se sont montré critiques à l’égard d’Israël, ont accusé le gouvernement israélien d’avoir « déclenché une propagande de guerre » pour les discréditer. Un des principaux collaborateurs de Nétanyahou a affirmé l’an dernier lors d’une interview qu’Israël « allait consacrer du temps et des effectifs pour combattre ces groupes ».
Selon les défenseurs des droits, de tels commentaires émanant de personnalités officielles ont généré une atmosphère de harcèlement. A Cheikh Jarrach, le quartier de Jérusalem-Est où plusieurs familles palestiniennes ont été expulsées de leurs maisons et remplacées par des colons israéliens, la police a arrêté au cours des derniers mois des douzaines d’Israéliens qui participaient à des manifestations pacifiques de protestation. M. El-Ad a été détenu durant 36 heures en janvier, en même temps que 16 autres militants, après qu’il eut expliqué aux policiers que leur décision de disperser une manifestation n’avait pas de fondement légal. L’un des organisateurs de la protestation a été arrêté dans la maison de ses parents à Jérusalem une nuit à la fin de mars et relâché trois jours plus tard.
Sari Bashi, directeur de Gisha, un groupe de défense qui se concentre sur la liberté de mouvement des Palestiniens, indique que son association a été harcelée l’an passé par les services fiscaux israéliens. Ils ont demandé pourquoi Gisha devrait être exemptée d’impôts alors que l’exonération était conçue pour des organismes de promotion du bien public. Les services, dit-elle, ont pourtant reculé.
Puis une ONG ultra-sioniste dénommée Im Tirtzu (en hébreu : "si vous le voulez" – au début de la célèbre maxime de Théodore Herzl) a attaqué une association importante, la New Israel Fund, laquelle avait en 2009 acheminé quelque 29 millions de dollars vers des groupes israéliens, certains d’entre eux étant non sionistes et dirigés par des Arabes. Cette fondation se définit elle-même comme pro-israélienne et reconnaît n’être pas d’accord avec toutes les positions des groupes qu’elle aide, mais elle soutient leur droit à se faire entendre. Im Tirtzu a publié en janvier un rapport affirmant que 92% des citations venant d’organismes non officiels israéliens qui avaient soutenu des accusations contre Israël dans le Rapport Goldstone émanaient de 16 ONG financées par la New Israel Fund.
Trois semaines durant, Im Tirtzu a placardé à travers tout le pays des panneaux exhibant une grossière caricature de la présidente de la New Israel Fund, Naomi Chazan. Les affiches la représentaient avec une corne fixée à son front (en hébreu, le mot qui désigne une fondation signifie aussi corne) et portaient la légende : « Naomi Goldstone Hazan ».
Il se peut que le signe le plus alarmant pour les défenseurs des droits soit un vote préliminaire au Parlement pour soutenir une décision imposant aux groupes qui bénéficient d’aides de gouvernements étrangers de s’enregistrer auprès du consignateur des partis politiques – ce qui pourrait modifier leur statut fiscal et paralyser leur capacité à collecter des fonds à l’étranger.
En février, la décision a fait l’objet d’un vote au Parlement, qui compte 120 sièges, avec 58 pour et 11 contre. Ses promoteurs affirment que la décision s’impose pour accroître la transparence. « Jusqu’ici, ces organisations ont bénéficié d’un effet de halo en tant que gardiens hautement considérés des droits de l’homme », déclare Gerald Steinberg, un spécialiste israélien en sciences politiques, président de NGO Monitor, un groupe de vigilance conservateur financé par des philanthropes juifs américains. « On ne les voyait pas comme des organisations politiques préjudiciables et portées à des déclarations fausses. Désormais, elles vont être soumises à une certaine surveillance ».
Mais les associations de défense des droits disent qu’il leur est d’ores et déjà demandé de publier les sources de leur financement.
Des organismes de droite, comme ceux qui encouragent la colonisation juive dans les zones arabes de Jérusalem-Est, reçoivent une part énorme de leur financement d’individus et d’associations philanthropiques dont les identités sont rarement révélées.
Pour l’instant, la décision a été effectivement bloquée jusqu’à ce que ses promoteurs parviennent à un accord avec les ministres travaillistes de la coalition gouvernementale, qui essaient de la diluer. Mais selon Mme Chazan, il n’y a pas d’affinement possible pour une telle décision. « Il faut que cette loi disparaisse », assure-t-elle. « C’est la plus dangereuse menace sur la société civile israélienne depuis ses origines ».
Mais pour M.Steinberg, des associations comme la New Israel Fund, avec leurs importantes ressources financières et leurs multiples recours à la Cour Suprême israélienne, ont « perverti l’échange des idées ».
Isabel Kershner, The New York Times, 5 avril 2010.
(Traduit par Anne-Marie PERRIN)
CAPJPO-EuroPalestine