jeudi 11 mars 2010

« Le blocus de Gaza est très dangereux pour la stabilité de la région »

Nouveau commissaire général de l’Unrwa (Agence de l’Onu pour l’aide aux réfugiés palestiniens), Philipo Grandi évoque les conséquences de la poursuite du blocus de la bande de Gaza et les restrictions imposées par l’Etat hébreu aux habitants de la Cisjordanie.
Al-ahram hebdo : Vous avez accédé à la direction de l’Unrwa en janvier, à un moment l’Agence fait face à de nombreux défis. Quelles sont vos priorités dans la période à venir et quelle est la stratégie avec laquelle vous comptez les aborder ?
Philipo Grandi : C’est vrai que c’est un moment difficile pour assumer le poste de commissaire général de l’Unrwa. Mais il faut aussi dire que cela a été le cas pour tous mes prédécesseurs. Il a toujours été très difficile de travailler sur le dossier sur lequel on travaille. Car l’Unrwa se penche sur l’un des problèmes centraux dans le débat politique du Moyen-Orient, à savoir la question des réfugiés palestiniens. Bien sûr, au cours des dernières soixante années, le baromètre politique a changé plusieurs fois, surtout au cours des vingt dernières années. Il y a eu des moments plus favorables, l’on s’approchait plus d’une solution politique. Malheureusement, nous témoignons aujourd’hui d’une situation de stagnation qui ne rend pas les choses faciles dans notre travail. Je fais allusion de manière plus précise au blocus imposé à la bande de Gaza, aux violations des droits des réfugiés en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Et une absence totale de l’horizon politique pour le problème des réfugiés.
— Comment fonctionne donc l’Agence dans ce contexte de blocage d’horizon politique et situation d’émergence sur plusieurs fronts ?
— Il faut dire, tout d’abord, que l’Unrwa a été créée pour fournir certains services aux réfugiés en attendant une solution politique. Celui-ci est notre contexte de travail. Donc, un contexte politique plutôt bloqué. L’Unrwa a évidemment devant elle encore, malheureusement, une longue période de travail. Et cela est notre priorité : la fourniture des services essentiels à la population palestinienne réfugiée. Ceci comprend l’éducation, la santé, l’aide aux plus pauvres à travers différents moyens et, surtout, dans les situations de conflit, une aide humanitaire. Notre priorité est de nous assurer que ces services soient maintenus au niveau requis par la situation et que la qualité de ces services soit adéquate aux besoins des réfugiés.
— Comment arrivez-vous à assurer ces services dans le contexte du blocus israélien imposé à Gaza ?
— Il y a un problème de contexte comme celui de l’impossibilité, par exemple, à Gaza, d’apporter des matériaux de construction pour pouvoir soutenir la reconstruction des maisons et des infrastructures qui ont été détruites pendant les derniers conflits de Gaza. Cela est un contexte qui a une raison politique. Et donc, l’UNRWA toute seule ne peut pas résoudre ce problème. Nous faisons appel à toutes les instances politiques, aux autorités israéliennes, qui ont la responsabilité première en tant que force occupante, pour assurer le flux des matériaux nécessaires. Mais nous faisons également appel à tous les pays amis d’Israël pour qu’ils demandent à celui-ci d’honorer les engagements qui ont été pris par le passé et de ne pas pénaliser la population civile de Gaza. Donc, notre problème principal est le blocage par Israël de beaucoup de produits et de plusieurs types de matériaux destinés à la reconstruction de la bande de Gaza. Il ne faut pas oublier une chose importante. Une année après la tenue de la Conférence de Charm Al-Cheikh, dans laquelle les Etats donateurs avaient promis des sommes importantes pour la reconstruction de Gaza, seulement une partie minime de ces montants a pu être utilisée car la majorité de cette aide était destinée à la reconstruction. Or, on ne peut pas reconstruire sans matériaux et sans équipements.
— Comment évolue la situation humanitaire dans la bande de Gaza face à la poursuite du blocus ?
— La situation reste très difficile. Elle n’est pas simplement une situation humanitaire, comme elle est souvent décrite. Mais c’est une crise beaucoup plus vaste. C’est une crise de l’économie, des institutions, c’est une crise qui touche surtout, très profondément, la psychologie des personnes. Lorsqu’on est obligé de vivre avec un million et demi d’autres personnes dans un territoire qui mesure 40 km de long et 10 km de large et vous ne pouvez ni sortir ni rentrer, cela vous affecte non seulement économiquement, mais surtout psychologiquement. Donc, c’est une crise globale qui a des conséquences, à notre avis, très dangereuses pour la stabilité de Gaza. Mais aussi pour la stabilité de la région toute entière. Donc, c’est beaucoup plus qu’une crise humanitaire et c’est pour cela que nous devons ouvrir les passages de Gaza.
Voyez-vous une possible amélioration de la situation à Gaza ?
— On entend souvent parler de la possibilité qu’Israël allège la pression sur Gaza. On souhaite que cela se passe, mais jusqu’à présent nous n’avons rien vu. Mais nous disons toujours à Israël que la stabilité de Gaza est dans leur intérêt. De plus, nous leur garantissons que tous les matériaux que nous recevons serons utilisés uniquement pour la reconstruction de Gaza et rien d’autre.
Pensez-vous que l’Egypte pourrait aider à atténuer le blocus de Gaza en ouvrant plus souvent le passage de Rafah, à la frontière commune ?
J’ai discuté avec le ministre égyptien des Affaires étrangères, Ahmad Aboul-Gheit, de ce sujet. L’Egypte a honoré ses obligations conformément aux accords de 2005 sur le passage des biens et des personnes à Rafah. Nous connaissons les préoccupations sécuritaires de l’Egypte et ce n’est pas à nous de les discuter. Mais le seul point que j’ai soulevé avec beaucoup de clarté, c’est que toute mesure de limitation au passage des biens et des personnes constitue un fardeau supplémentaire pour la population de Gaza. Donc, mon appel au gouvernement égyptien, comme à tous les gouvernements, c’est de ne pas oublier la souffrance humaine dont nous sommes témoins à Gaza. Et je pense que cet appel a rencontré la plus grande compréhension de la part des autorités égyptiennes.
— En Cisjordanie, comment vous travaillez ? Quelles sont les principales difficultés auxquelles vous êtes confrontés sur le terrain ?
— En Cisjordanie, nous avons des difficultés qui sont moins sous la loupe des médias mais qui sont très graves. Les restrictions imposées au mouvement des Palestiniens ont un impact aussi sur notre travail. Premièrement sur tous les aspects de vie des Palestiniens. Si vous cultivez des tomates, par exemple, et voulez vendre ces tomates sur un marché d’une ville voisine, vous ne pouvez pas le faire. On a beaucoup de cas les enseignants ne peuvent pas aller à leur école. En Cisjordanie, il n’y a pas de blocus comme celui de Gaza, car il ne se fait pas autour de la Cisjordanie, c’est plutôt un bouclage imposé à l’intérieur, dans le tissu même de la société. Et ceci est particulièrement grave dans certaines localités de la Cisjordanie, notamment à Jérusalem-Est. Même pour nous, il devient très difficile de transporter le personnel qui travaille à Jérusalem entre la Cisjordanie et cette ville. Et pour les gens qui ont une carte d’identité de la Cisjordanie et pas de Jérusalem, les difficultés sont encore plus importantes. Nous parvenons tout de même à servir la population, dans les écoles, les hôpitauxIl faut quand même dire qu’il y a des zones, des poches en Cisjordanie, la situation s’est légèrement améliorée. Ce sont des endroits la sécurité s’est un peu améliorée et il y a eu quelques allégements dans les clôtures et les obstacles imposés par l’occupation.
Cette légère amélioration est-elle due aux efforts du gouvernement palestinien pour construire les institutions d’un futur Etat palestinien ?
Bien sûr et surtout avec la préoccupation de reconstruire des institutions de sécurité. Mais cela n’est pas uniforme et ne s’applique pas à toute la Cisjordanie. Puisque les clôtures restent et imposent un fardeau immense sur la population palestinienne. Ces clôtures, qui sont largement établies pour protéger les colonies (israéliennes), font que les plus défavorisés le deviennent encore plus. Pour cette raison, beaucoup de réfugiés palestiniens deviennent encore plus pauvres et vulnérables.
Vous avez aussi une situation extrêmement grave dans les camps des réfugiés palestiniens au Liban, 420 000 personnes vivent dans des conditions inhumaines
Certainement, la situation au Liban pour les réfugiés est très difficile. Mais il faut dire que les raisons de cette situation sont complètement différentes. Elles sont produites par la fragilité de l’équilibre politique au Liban et malheureusement, les réfugiés palestiniens sont un élément dans cet équilibre interne du Liban et donc souffrent des conséquences de cette situation.
Mais une situation humanitaire acceptable dans les camps des réfugiés palestiniens du Liban ne devrait pas affecter l’équilibre politique interne de ce pays …
Ceci est tout à fait vrai. Et les derniers gouvernements libanais ont tous compris cette question très bien. Ceci s’est passé avec le dernier gouvernent, celui de Fouad Siniora, et le présent, celui de Saad Al-Hariri. Ils ont très bien compris qu’il ne faut pas pénaliser les réfugiés et donc, ils ont accepté tout d’abord en 2006/2007 d’entamer toute une série de projets pour l’amélioration des conditions physiques des camps. Il est vrai que jusqu’à la moitié de cette décennie, on ne pouvait rien faire. Il était tabou au Liban même de parler de ce sujet. Donc, les conditions dans les camps se sont détériorées de manière effroyable. Mais depuis deux ou trois ans, nous pouvons faire des interventions qui sont très utiles et nous les faisons. L’autre problème au Liban, c’est l’accès au marché du travail. Parce que les réfugiés palestiniens au Liban ont des droits très très limités. Je viens de rentrer du Liban j’ai rencontré le premier ministre qui s’est montré très ouvert et a accepté de discuter des détails de cette question.
Propos recueillis par Randa Achmawi
 http://hebdo.ahram.org.eg/arab/ahram/2010/3/10/invi0.htm