jeudi 11 mars 2010

Comment Israël a conquis l’Afrique

publié le mercredi 10 mars 2010

Aliaa Al-Korachi

 
Une politique arabe faible et indifférente, notamment au cours de la dernière décennie, a permis à l’Etat hébreu d’étendre son influence dans le continent et d’en bénéficier économiquement et politiquement.
« Un pays ami », c’est ainsi qu’Israël se présente aux pays africains. Personne ne peut nier que les relations entre l’Etat hébreu et le continent noir sont aujourd’hui florissantes. Une coopération qui se déroule sur tous les plans et à tous les niveaux.
L’indice le plus spectaculaire c’est le nombre de représentations diplomatiques israéliennes en Afrique. Celui-ci a bondi de 6 missions en 1960 à 23 missions en 1961, pour atteindre 32 en 1972. Ce nombre a augmenté aussi après la signature de Camp David et a atteint son comble après l’accord d’Oslo, pour devenir aujourd’hui 46 pays africains, sur un total de 53 pays, entretenant des liens diplomatiques avec Israël.
A savoir aussi que les missions diplomatiques israéliennes en Afrique représentent 48 % des missions israéliennes dans le monde entier.
La tournée récente d’Avigdor Lieberman, le vice-premier ministre israélien et ministre des Affaires étrangères, en Afrique a eu comme but de restaurer l’âge d’or de la coopération israélo-africaine des premiers temps de l’indépendance africaine. Celui-ci est accompagné d’une délégation d’hommes d’affaires, des investissements israéliens dans les domaines de l’agriculture, de l’hydraulique, de l’énergie, du tourisme et de la médecine.
En fait, le continent noir occupe, dès le début de la création de l’Etat hébreu, une place privilégiée dans son agenda politique. Certains analystes font remonter à bien avant cette préoccupation israélienne de l’Afrique. C’est Théodor Hertzl qui a parlé en 1905 de l’importance d’entretenir des relations entre les juifs et l’Afrique. Il y avait aussi parmi ces plans l’idée d’édifier un foyer national juif en Ouganda pour contrôler le Bassin du Nil.
En plus, les sionistes voulaient propager un leurre, celui de rapprocher entre la persécution des juifs et la traite négrière, idée qui a été longtemps caressée par les pères fondateurs du sionisme désireux de fonder avec les peuples africains une communauté des persécutés. Golda Meir, ancienne premier ministre israélienne, a plaidé en faveur d’un tel projet. Le mot d’ordre Back to Africa (retour en Afrique), lancé par Marcus Garvey en 1920, avait d’ailleurs été perçu, à l’époque, par bon nombre d’observateurs comme l’équivalent africain du mot d’ordre sioniste « Retour à Sion ».
Le sionisme dévoilé
Un mensonge qui n’a pas duré pour longtemps. Les pays africains ont saisi le sens véritable de l’intention sioniste. Israël s’est rangé systématiquement durant la période de la décolonisation du côté occidental. C’est-à-dire dans le camp de ceux qui étaient perçus par les Africains comme des oppresseurs coloniaux, allant même jusqu’à concevoir avec la France et le Royaume-Uni une « expédition punitive » contre l’Egypte en 1956, en vue de briser la base arrière de soutien à la Révolution algérienne. Cela a été le cas aussi avec l’Afrique du Sud, où l’Etat hébreu, au mépris de sa philosophie affichée, a été un des principaux soutiens au régime d’apartheid, engageant même avec lui une coopération nucléaire. Et c’est entre 1958 et 1973 que date la rupture collective des relations entre Israël et l’Afrique. Mais Israël n’a pas perdu l’espoir et a tout fait pour que la rupture ne soit pas totale.
Entre 1973 et 1980, le commerce africain d’Israël a été multiplié par quatre en valeur et une trentaine de pays africains commerçaient avec Israël. Les plus notables étant le Nigeria, le Kenya, l’Ethiopie, la Tanzanie et la Côte-d’Ivoire. A la place des ambassades fermées, des représentations commerciales permettaient d’entretenir les relations.
Israël regagne du terrain
En plus, trois mille experts israéliens, soit les deux tiers des effectifs israéliens en mission dans le tiers-monde, étaient affectés au continent noir. Ce rapprochement entre Israël et l’Afrique a lieu au temps où la coopération arabe faisait marche arrière de plus en plus.
Les accords de Camp David en 1978 ont été accueillis avec soulagement par maintes capitales africaines, qui ont consécutivement ouvert les ambassades israéliennes fermées.
Un sentiment de déception face au monde arabe régnait en ce temps parmi les pays africains.
Il suffit de savoir que les échanges commerciaux entre les pays arabes et l’Afrique atteint seulement 5 % de leur taux d’échanges avec le monde entier. Et c’est exactement de ce point qu’Israël a commencé son jeu. Il se dresse comme un ami qui veut tendre la main aux pays africains qui souffrent de sécheresse, famine, croissance de la dette et n’ont d’autre option que celle d’améliorer le rapprochement avec Israël. « Sortir ces pays de la crise alimentaire et économique comme argument du retour des relations diplomatiques entre eux », dit Abdallah Abdel-Razeq, politologue à l’Institut des études africaines. L’Etat hébreu présente une assistance technique dans le domaine agricole. Des dizaines de centres d’entraînement israéliens se propagent partout en Afrique. A titre d’exemples : le centre Le mont du Carmen, dans la ville de Haïfa, se consacre à donner des cours aux femmes africaines dans le domaine du développement. Un autre centre nommé L’étude de colonisation offre des entraînement dans les recherches agricoles.
Mais tous ces efforts israéliens n’étaient pas du tout gratuits. En fait, les richesses africaines suscitent la convoitise israélienne.
L’Afrique est le premier exportateur mondial d’or, de platine, de diamant, de bauxite et de manganèse. Le second pour le cuivre et le pétrole brut. Elle est en outre le premier producteur mondial de cacao, de thé, de tabac, le second pour le sisal et le coton. L’échange commercial entre Israël et l’Afrique atteint 1,7 milliard de dollars. C’est le secteur privé israélien qui modèle les relations actuelles avec le continent, entre importateurs de diamants, compagnies de sécurité plus ou moins liées au pouvoir et experts en tous genres. Une dizaine de grandes sociétés israéliennes, comme Solel Bonet, Koor Industries, Meïr Brothers et Agridno sont présentes dans l’économie africaine à travers des investissements directs et des prêts consentis par la Bank Leumi et la Japhet Bank. L’Afrique du Sud est le premier partenaire commercial d’Israël sur le continent, avec des échanges en augmentation de plus de 500 % depuis la fin de l’apartheid.
Mais ce n’est pas seulement les richesses naturelles qui attirent Israël. L’Afrique est aussi un bon marché d’armement pour Israël. Ce commerce des armes, Israël le pratique toujours avec nombre de régimes africains, dont l’Ouganda, le Zaïre et, bien entendu, le régime de Pretoria avant sa chute. Israël a approvisionné aussi en armement des groupes de l’opposition. Certains rapports sur le commerce d’armes israéliennes avaient, au début des années 90, noté le chiffre de 800 000 dollars par an pour les seuls échanges avec Pretoria, tandis que d’autres parlaient de la somme de deux milliards annuellement pour l’ensemble des pays africains. Sans oublier que ces échanges ont permis aux gouvernements israéliens d’obtenir l’uranium nécessaire à la fabrication des bombes atomiques et d’autres et, aussi, un espace d’expérimentation des armes nucléaires dans le désert de Kalahari. De plus, les voix africaines représentent aussi beaucoup d’importance pour l’Etat hébreu. Le Nigeria, par exemple, qui vend beaucoup de pétrole à l’Etat hébreu et reçoit de plus en plus d’ingénieurs israéliens, n’a pas voté la résolution des Nations-Unies contre le mur de séparation en 2006.