dimanche 14 février 2010

Les ténors du pacifisme israélien se font entendre de nouveau

publié le samedi 13 février 2010
Joël David

 
Ils protestent tous les vendredis contre l’installation de familles juives au cœur de Cheikh Jarrah, prestigieux quartier arabe de Jérusalem-Est
« J e n’ai pas participé à une manifestation depuis des dizaines d’années », reconnaît Avraham Burg. Cet ancien président de la Chambre des députés israéliens (Knesset), travailliste (gauche) et militant de la première heure du mouvement « La paix maintenant », est désormais aux côtés des centaines de militants en grande majorité israéliens qui protestent tous les vendredis contre l’installation de familles juives au cœur de Cheikh Jarrah, prestigieux quartier arabe de Jérusalem-Est.
« Les colons dehors », « Halte à l’occupation », clament les manifestants mobilisés par une pléiade d’ONG. Ils brandissent des drapeaux palestiniens face à une poignée de militants d’extrême droite et un écran de policiers antiémeute.
Le conflit procède d’une dramatique alchimie. À l’origine, en 1881, deux lotissements juifs, Nahalat Shimon et Shimon Hatsadik, sont construits en hommage à Simon le Juste, un grand prêtre dont le tombeau vénéré depuis le IIIe siècle avant J.-C. se trouve ici. Puis les grandes familles arabes, notamment les Husseini, érigent des villas sur les collines environnantes et créent Cheikh Jarrah, vivant en bonne intelligence avec leurs voisins juifs.
Après la création de l’État hébreu en 1948 et la guerre qui s’ensuit [1], la Jordanie occupe Jérusalem-Est, et l’UNWRA (office de l’ONU pour l’aide aux réfugiés) remet en 1956 des maisons juives de Cheikh Jarrah à des Palestiniens. Mais, en juin 1967, l’Histoire bascule à nouveau quand Israël impose sa loi sur toute la Ville sainte à la suite de la guerre des Six Jours.
Au terme d’une longue procédure, la Cour suprême reconnaît les titres de propriété juive sur deux corps de bâtiments. Les 53 Palestiniens qui y résidaient sont expulsés manu militari. Ces 28 logements sont devenus le symbole de la lutte pour Jérusalem-Est, où les Palestiniens veulent établir leur future capitale. 270 000 y vivent aux côtés de 200 000 Israéliens installés dans une douzaine de quartiers juifs.
« La Cour suprême a commis une grave erreur. Jérusalem est un baril de poudre, souligne Avraham Burg. D’autant que si la justice décide qu’il faut restituer les propriétés juives à Jérusalem-Est, alors elle doit aussi donner suite aux demandes arabes à Taïbé, Katamon (quartiers juifs à Jérusalem-Ouest) ou même à Tel-Aviv. »
« Les colons font obstacle à la paix et hypothèquent notre avenir. »
« Si les colons établissent leur propriété sur 28 logis, les Palestiniens peuvent le faire pour 28 000 logements », renchérit Ilan Ghilon, un des trois députés du Meretz, également venu épauler les manifestants [2]. « Les colons sont soutenus par le gouvernement, l’appareil juridico-légal et les puissances d’argent. Ils font obstacle à la paix et hypothèquent notre avenir », souligne pour sa part l’écrivain David Grossman.
De fait, un an après la victoire électorale du Likoud (droite) de Benyamin Netanyahou, le processus de règlement politique est bloqué. Le parti centriste d’opposition Kadima de Tzipi Livni est tombé dans l’oubli. Et les travaillistes (13 élus seulement) du ministre de la défense, Ehoud Barak, sont en perdition. Écœuré, Ofir Pinès, « conscience » du parti, a préféré claquer la porte.
Bref, les grandes voix pacifistes d’Israël n’ont plus que la rue et les colonnes des journaux pour s’exprimer. « Le surplace est très dangereux, car les Palestiniens ont prouvé depuis la première Intifada (1987) qu’ils peuvent provoquer le chaos » [3], avertit Yossi Beilin, un des architectes des accords d’Oslo (1993). Ex chef de file des « colombes » et du Meretz, il est encore omniprésent dans les médias, mais a lui aussi abandonné la vie politique.
[1] guerre commencée dès 47, avant que la direction sioniste ne décide unilatéralement de déclarer l’Etat d’Israël en mai 48. Voir notre rubrique "60 ans de dépossession" et la chronologie : http://www.france-palestine.org/rub...
[2] et que dire des habitants palestiniens des quelque 500 villages rasés, détruits, où l’histoire et la présence palestinienne ont été annihilées par la volonté sioniste ?
[3] si la défense des droits humains, politiques et nationaux d’un peuple sous occupation militaire est le chaos, alors, vive le chaos !
publié par la Croix du 12 février
Notes : C. Léostic, Afps