dimanche 14 février 2010

Israël ; Quand les faucons attaquent les colombes

publié le samedi 13 février 2010
Anne Guion

 
Victimes d’une campagne de dénigrement systématique, les ONG du pays dénoncent un climat d’intimidation. Leur crime ? Défendre les droits de l’homme...
Elles sont d’habitude plutôt discrètes. Treize ONG israéliennes de défense des droits de l’homme ont pourtant tapé du poing sur la table en envoyant, le 31 janvier dernier, une lettre ouverte à Shimon Peres, le président israélien, pour dénoncer une « campagne systématique » du gouvernement et de certaines person­nalités contre elles. Parmi celles-ci, Rabbis for Human Rights (RHR), B’Tselem (le centre d’information israélien pour les droits de l’homme dans les Territoires occupés), ou encore l’Acri (l’Association pour les droits civils en Israël).
En toile de fond, le rapport Goldstone, mené par le juge sud-africain Richard Goldstone et commissionné par l’Onu. Publié en septembre dernier, ce document accuse Israël et le Hamas de « crimes de guerre », voire de « crimes contre l’humanité », durant la guerre de Gaza, en janvier 2009.
Ces incriminations ont provoqué la colère du gouvernement de Benyamin Netanyahou, qui depuis fustige le « parti pris anti-israélien » du rapport. Et désigne les ONG de défense des droits de l’homme qui auraient « collaboré » avec le juge. L’offensive est menée notamment par une organisation proche du gouvernement, et qui s’est autoproclamée vigie des ONG israéliennes. NGO Monitor distille ainsi le soupçon sur son site Internet, en listant leurs prétendus donateurs. B’Tselem y est, par exemple, accusée de "minimiser régulièrement la problématique de la sécurité d’Israël". "Bien sûr que nous avons besoin d’organisme de contrôle. Mais qui surveille NGO Monitor ?", s’interroge Arik Ascherman, président des Rabbis for Human Rights, des rabbins qui se rendent régulièrement en Cisjordanie pour aider les Palestiniens harcelés par les colons. "Quels sont leurs critères pour dire qu’une organisation est radicale ? De plus, NGO Monitor n’enquête pas sur les organisations qui financent les colons", renchérit-il.
Un degré de plus a été atteint avec la publication par Im Tirtzu, un groupuscule d’étudiants d’extrême droite, d’un rapport listant 16 ONG, dont RHR et B’Tselem, qui auraient procuré "92 % des informations critiques utilisées par le juge sud-africain Richard Goldstone". Im Tirtzu est également partie en campagne contre le New Israel Fund (NIF), un fonds qui finance la plupart de ces ONG. Avec, en ligne de mire, sa présidente, Naomi Hazan, professeure de sciences politiques et ancien membre de la Knesset.
Tous les moyens sont bons : attaques personnelles affichées sur les bannières des grands sites internet du pays, manifestations devant le domicile de l’intéressée... La semaine dernière, Im Tirtzu s’est même offert une publicité dans le Jerusalem Post, l’un des principaux quotidiens israéliens. On pouvait y voir un portrait de Naomi Hazan portant une corne et affublé de l’inscription New Israel Fund – jeu de mots : "fond" en hébreu se dit keren, qui signifie aussi "corne". D’autant plus que cette publication intervient après plusieurs mois de petites phrases assassines provenant du sommet de l’État. Ainsi, le ministre de l’Intérieur, Eli Yishai, a affirmé il y a quelques mois que les ONG de défense des droits de l’homme "sapaient l’entreprise sioniste".
Les anti-ONG ont déjà remporté quelques succès. L’État hébreu a demandé à l’Union européenne d’arrêter de financer l’ONG Breaking the Silence. "Israël commence à se rendre compte de ce qui s’est passé à Gaza. Au lieu de se remettre en question, le pays préfère blâmer ceux qui révèlent la vérité, les messagers", estime Arik Ascherman. Michel Warshavsky, l’écrivain pacifiste israélien, pionnier de la lutte contre l’occupation israélienne, dénonce « une campagne de dénigrement qui fait partie d’une offensive généralisée venant de la droite au pouvoir. De plus en plus de défenseurs des droits de l’homme et de militants sont désormais arrêtés lors de manifestations non violentes." Comme à Bil’In, le village palestinien devenu le symbole de la lutte contre le mur. Ou encore à Sheikh Jarrah, un quartier de Jérusalem-Est, où chaque vendredi, depuis quelques semaines, des militants pro­palestiniens, israéliens et étrangers manifestent pour exprimer leur opposition à l’expulsion de familles palestiniennes et à l’occupation de leurs maisons par des colons.
"Nous nous sommes battus, il y a 30 ans, pour obtenir le droit de manifester à Jérusalem, fulmine Michel Warshavsky, et, aujourd’hui, ce droit est remis en question." Un "dan­gereux retour en arrière", selon Arik Ascherman : "La caricature de Naomi Hazan m’a fait froid dans le dos. Cela m’a rappelé les portraits de Yitzhak Rabin habillé en SS, que les manifestants brandissaient à Jérusalem, quelque temps avant son assassinat."