samedi 20 février 2010

Le Dubaïgate du Mossad

publié le vendredi 19 février 2010
Laurent Zecchini

Des lunettes, une fausse moustache et un chapeau… Les membres du commando qui ont assassiné, le 20janvier, dans un hôtel de Dubaï, le Palestinien Mahmoud Abou Al-Mabhouh, considéré comme le principal responsable de l’approvisionnement en armes du Hamas, n’ont pas trouvé mieux comme parade aux caméras de surveillance dont l’émirat a truffé ses bâtiments publics et ses hôtels, ce qu’ils ne pouvaient ignorer.
Les onze suspects auraient donc pris un risque calculé, celui de voir leurs visages, sans doute grimés, faire le tour du monde, en tablant que cette piste ne serait pas suffisante pour remonter jusqu’à eux, pas plus que celle des identités usurpées figurant sur leurs passeports. Les images rassemblées par la police de Dubaï montrent plusieurs membres du commando déambulant dans les couloirs de l’Hôtel Al-Bustan Rotana, certains vêtus d’un short, raquette de tennis à la main, apparemment sereins…
Qui étaient-ils ? Tout en se protégeant, pour des raisons patriotiques et de censure, derrière le fameux "AFMR" (according to foreign media reports, "selon la presse étrangère"), la plupart des journaux israéliens ne doutent pas de la responsabilité du Mossad, le service israélien chargé du renseignement extérieur, mais stigmatisent l’amateurisme des agents ayant mené cette opération, voire celle de leurs chefs.
Le ministre israélien des affaires étrangères, Avigdor Lieberman, est bien le seul à oser dire qu’il n’y a "aucune raison de penser" que le Mossad est à l’origine de l’assassinat d’un homme qui figurait en tête de la liste des individus dangereux qu’Israël souhaitait éliminer. M. Lieberman tente de sauver ce qui peut encore l’être de la discrétion habituelle du "kidon", le service action de l’une des agences de renseignement réputées les plus performantes du monde.
TROIS FAUTES LOURDES
Il est probable que le chef du Mossad, Meir Dagan, en poste depuis huit ans, va endosser le rôle de bouc émissaire, tant l’opération de Dubaï s’est accompagnée de fautes lourdes. La première est sans doute d’avoir choisi d’assassiner un responsable du Hamas dans l’un des rares pays arabes avec lequel Israël entretient une relation sans nuages.
La seconde est d’avoir fourni aux membres du commando des passeports de pays européens (Royaume-Uni, Irlande, Allemagne et France), ce qui, en principe, ne se fait pas entre pays amis. A Londres comme à Dublin, l’ambassadeur d’Israël a été convoqué au ministère des affaires étrangères pour fournir des explications.
La troisième est d’avoir usurpé l’identité de sept Israéliens, dont six ont la double nationalité britannique. Les intéressés ont trouvé une forêt de micros et de caméras pour s’en plaindre. Michael Barney, James Clarke, Jonathan Graham, Stephen Hodes, Paul Keeley, Melvyn Mildine et les autres n’ont pas apprécié d’être assimilés à des meurtriers.
L’un s’est dit "profondément choqué", un autre s’est déclaré "furieux, bouleversé et effrayé", un troisième a dénoncé "un vol d’identité"… La sophistication des mesures de contrôle dans les aéroports et la prochaine généralisation des passeports biométriques rend de plus en plus aléatoire la fourniture de fausses identités aux agents de renseignement.
RETOMBÉES POLITIQUES ET DIPLOMATIQUES
D’où le souci des services de se procurer de vrais passeports et d’emprunter de vraies identités. En 2004, c’est pour avoir été pincés en tentant d’acheter des passeports que deux agents du Mossad ont été emprisonnés pendant six mois en Nouvelle-Zélande.
Cette cascade de conséquences pour une opération censée être menée dans la discrétion va inévitablement poser la question de la responsabilité du premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou. Alors que le succès factuel de cette mission – la "cible" a été éliminée et les membres du commando ont pu quitter l’émirat – est déjà obscurci par ses retombées politiques et diplomatiques, une chose est sûre : une opération aussi risquée ne peut avoir été décidée sans son feu vert.
Si la piste du Mossad devait se confirmer – elle ne le sera jamais complètement –, il vaudrait mieux, pour le premier ministre israélien, qu’il ait été tenu dans l’ignorance des détails de la mission. Car il n’y avait sans doute pas de moyen plus direct de pointer du doigt la responsabilité du Mossad que de choisir, sur les onze membres du commando, l’identité de sept citoyens israéliens !
M. Nétanyahou n’a décidément pas de chance avec le Mossad. Lors de son premier mandat de premier ministre, en septembre 1997, ce même service avait lamentablement échoué dans une tentative d’empoisonnement, en Jordanie, de Khaled Meshaal, aujourd’hui chef de la branche politique du Hamas. Les deux agents du service action (munis de passeports canadiens) avaient été arrêtés par la sécurité jordanienne. Israël avait dû fournir un antidote et libérer le chef spirituel du Hamas pour récupérer ses hommes.
Ironie du calendrier : des responsables du Mossad et du Shin Bet (sécurité intérieure) ont fait une rare entorse à leur discrétion, lundi 15 février, en participant à un débat à la Knesset – le Parlement israélien – sur la revalorisation de leurs salaires et de leurs retraites. Aucune décision n’a été prise. Probablement pour quelque temps… Laurent Zecchini
http://www.lemonde.fr/international/article/2010/02/18/le-dubaigate-du-mossad_1307666_3210.html#ens_id=1228030&xtor=RSS-3208