Laurent Zecchini
Des lunettes, une fausse moustache et un  chapeau… Les membres du commando qui ont assassiné, le 20janvier, dans  un hôtel de Dubaï, le Palestinien Mahmoud Abou Al-Mabhouh, considéré  comme le principal responsable de l’approvisionnement en armes du Hamas,  n’ont pas trouvé mieux comme parade aux caméras de surveillance dont  l’émirat a truffé ses bâtiments publics et ses hôtels, ce qu’ils ne  pouvaient ignorer.
Les onze suspects auraient  donc pris un risque calculé, celui de voir leurs visages, sans doute  grimés, faire le tour du monde, en tablant que cette piste ne serait pas  suffisante pour remonter jusqu’à eux, pas plus que celle des identités  usurpées figurant sur leurs passeports. Les images rassemblées par la  police de Dubaï montrent plusieurs membres du commando déambulant dans  les couloirs de l’Hôtel Al-Bustan Rotana, certains vêtus d’un short,  raquette de tennis à la main, apparemment sereins…
Qui étaient-ils ? Tout en se protégeant, pour des  raisons patriotiques et de censure, derrière le fameux "AFMR" (according  to foreign media reports, "selon la presse étrangère"), la plupart des  journaux israéliens ne doutent pas de la responsabilité du Mossad, le  service israélien chargé du renseignement extérieur, mais stigmatisent  l’amateurisme des agents ayant mené cette opération, voire celle de  leurs chefs.
Le ministre israélien des affaires étrangères, Avigdor  Lieberman, est bien le seul à oser dire qu’il n’y a "aucune raison de  penser" que le Mossad est à l’origine de l’assassinat d’un homme qui  figurait en tête de la liste des individus dangereux qu’Israël  souhaitait éliminer. M. Lieberman tente de sauver ce qui peut encore  l’être de la discrétion habituelle du "kidon", le service action de  l’une des agences de renseignement réputées les plus performantes du  monde.
TROIS FAUTES LOURDES
Il est probable que le chef du Mossad, Meir Dagan, en  poste depuis huit ans, va endosser le rôle de bouc émissaire, tant  l’opération de Dubaï s’est accompagnée de fautes lourdes. La première  est sans doute d’avoir choisi d’assassiner un responsable du Hamas dans  l’un des rares pays arabes avec lequel Israël entretient une relation  sans nuages.
La seconde est d’avoir fourni aux membres du commando  des passeports de pays européens (Royaume-Uni, Irlande, Allemagne et  France), ce qui, en principe, ne se fait pas entre pays amis. A Londres  comme à Dublin, l’ambassadeur d’Israël a été convoqué au ministère des  affaires étrangères pour fournir des explications.
La troisième est d’avoir usurpé l’identité de sept  Israéliens, dont six ont la double nationalité britannique. Les  intéressés ont trouvé une forêt de micros et de caméras pour s’en  plaindre. Michael Barney, James Clarke, Jonathan Graham, Stephen Hodes,  Paul Keeley, Melvyn Mildine et les autres n’ont pas apprécié d’être  assimilés à des meurtriers.
L’un s’est dit "profondément choqué", un autre s’est  déclaré "furieux, bouleversé et effrayé", un troisième a dénoncé "un vol  d’identité"… La sophistication des mesures de contrôle dans les  aéroports et la prochaine généralisation des passeports biométriques  rend de plus en plus aléatoire la fourniture de fausses identités aux  agents de renseignement.
RETOMBÉES POLITIQUES ET DIPLOMATIQUES
D’où le souci des services de se procurer de vrais  passeports et d’emprunter de vraies identités. En 2004, c’est pour avoir  été pincés en tentant d’acheter des passeports que deux agents du  Mossad ont été emprisonnés pendant six mois en Nouvelle-Zélande.
Cette cascade de conséquences pour une opération censée  être menée dans la discrétion va inévitablement poser la question de la  responsabilité du premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou. Alors  que le succès factuel de cette mission – la "cible" a été éliminée et  les membres du commando ont pu quitter l’émirat – est déjà obscurci par  ses retombées politiques et diplomatiques, une chose est sûre : une  opération aussi risquée ne peut avoir été décidée sans son feu vert.
Si la piste du Mossad devait se confirmer – elle ne le  sera jamais complètement –, il vaudrait mieux, pour le premier ministre  israélien, qu’il ait été tenu dans l’ignorance des détails de la  mission. Car il n’y avait sans doute pas de moyen plus direct de pointer  du doigt la responsabilité du Mossad que de choisir, sur les onze  membres du commando, l’identité de sept citoyens israéliens !
M. Nétanyahou n’a décidément pas de chance avec le  Mossad. Lors de son premier mandat de premier ministre, en septembre  1997, ce même service avait lamentablement échoué dans une tentative  d’empoisonnement, en Jordanie, de Khaled Meshaal, aujourd’hui chef de la  branche politique du Hamas. Les deux agents du service action (munis de  passeports canadiens) avaient été arrêtés par la sécurité jordanienne.  Israël avait dû fournir un antidote et libérer le chef spirituel du  Hamas pour récupérer ses hommes.
Ironie du calendrier : des responsables du Mossad et du  Shin Bet (sécurité intérieure) ont fait une rare entorse à leur  discrétion, lundi 15 février, en participant à un débat à la Knesset –  le Parlement israélien – sur la revalorisation de leurs salaires et de  leurs retraites. Aucune décision n’a été prise. Probablement pour  quelque temps… Laurent Zecchini
http://www.lemonde.fr/international/article/2010/02/18/le-dubaigate-du-mossad_1307666_3210.html#ens_id=1228030&xtor=RSS-3208
 
 
