Laure Marchand
La diplomatie turque veut se poser en  médiateur dans les conflits qui touchent la région.
Avec son sens aiguisé des  retombées médiatiques, Recep Tayyip Erdogan n’allait pas se priver d’une  telle tribune. Le week-end dernier, le premier ministre turc a profité  du Forum mondial Islam-États-Unis, organisé au Qatar et auquel  participait Hillary Clinton, pour fustiger l’inaction de la communauté  internationale face à la situation humanitaire à Gaza. Il a inclus sans  les nommer les États présents et tançait ouvertement l’Égypte. Mais le  Qatar a déroulé un tapis rouge de compliments pour son hôte turc : le  vice-premier ministre qatarien a qualifié de « voix des musulmans » l’un  « des leaders favoris dans le monde arabe ». Ces éloges sont  révélateurs de l’influence grandissante de la Turquie dans la région et  du changement de perception des pays arabes à son égard. Profitant du  déclin des puissances traditionnelles, comme l’Égypte et l’Arabie  saoudite, les Turcs convoitent désormais le leadership régional.
Erdogan en « nouveau Nasser »
Cette conquête passe symboliquement par la cause  palestinienne. « Le problème palestinien est une source de légitimité  pour tout pays et dirigeant envers les populations arabes », explique  Mustafa el-Labbad, directeur du Centre al-Sharq pour les études  régionales et stratégiques, basé au Caire. Depuis son esclandre face au  président israélien, Shimon Pérès, en 2009 à Davos, le chef du  gouvernement islamo-conservateur a fait prendre à son pays un net  avantage sur ses concurrents. Ses sorties musclées contre Israël lui  valent même le surnom de « nouveau Nasser » dans la presse arabe et sa  cote de popularité est au plus haut dans les opinions publiques.
Au-delà de ces succès oratoires, le retour de la Turquie  dans une sphère en grande partie jadis intégrée dans l’Empire ottoman  passe par une politique étrangère hyperactive. Après avoir tourné le dos  à la région pendant la guerre froide, Ankara a normalisé ses relations  avec ses voisins orientaux, a conduit les pourparlers secrets entre la  Syrie et Israël en 2008 et intercédé auprès du régime iranien sur le  dossier du nucléaire…
À défaut d’une médiation couronnée d’un succès  diplomatique majeur, le gouvernement turc se pose en agent de liaisons  dans les conflits régionaux. La semaine dernière, c’est une délégation  de l’Alliance nationale irakienne, chiite, qui sollicitait son  intervention pour aider l’Irak à apaiser ses tensions internes ethniques  et externes. « Pour vendre ses produits et sécuriser les routes  énergétiques, la 16e économie mondiale a également besoin que les  relations avec ses voisins et les celles entre ces derniers soient  stables », souligne Cengiz Candar, éditorialiste spécialiste du  Moyen-Orient.
Longtemps perçue avec méfiance à cause de son alignement  sur Washington, la Turquie a commencé à gagner la confiance dès 2003,  lorsqu’elle a refusé de laisser passer les soldats américains sur son  territoire pour envahir l’Irak. Une étude conduite par la Fondation  turque des études économiques et sociales (Tesev) dans six pays de la  région et dans les Territoires palestiniens montre que, non seulement  son implication n’est pas perçue comme une ingérence, mais qu’elle est  plébiscitée : près de huit personnes interrogées sur dix souhaitent que  « la Turquie joue un plus grand rôle » et pensent qu’elle a « un impact  positif sur la paix » dans le monde arabe. Pour Mustafa el-Labbad, si la  Turquie « manque encore de réseaux et d’alliances à cause de son  engagement tardif », elle bénéficie de liens culturels et historiques  avec les pays arabes et représente un « islam moderne » qui joue en sa  faveur : « L’ascension de l’Iran comme puissance régionale et comme “big  brother” des chiites conduit de plus en plus les populations sunnites à  se rapprocher de la Turquie. » La voie est d’autant plus libre pour les  ambitions turques qu’elles concordent avec la politique de  l’Administration de Barack Obama. « Les Américains essayent d’intégrer  le monde musulman dans le système mondial, pour eux la Turquie est leur  vitrine et peut servir d’exemple de pays démocratique », estime Mehmet  Altan, un intellectuel turc. Un objectif qui conduit la Maison-Blanche à  ne pas se formaliser lorsque Ankara ne suit pas sa ligne et défend ses  propres intérêts.
Mais la Turquie ne doit pas tout à sa diplomatie : les  séries télévisées turques, exportées dans tout le monde arabe, ont  largement contribué à sa réputation « glamour ». La saga sentimentale  Nour a été diffusée dans 22  pays et des millions de téléspectateurs ont  suivi les péripéties amoureuses du héros Mohannad, un jeune  Stambouliote au regard bleu de braise. Depuis la fin de la série, les  touristes arabes ont pris d’assaut Istanbul.
publié par le Figaro
 
 
