lundi 1 février 2010

La crise à Droits et Démocratie ou les dérives du lobby pro-israélien au Canada

publié le dimanche 31 janvier 2010
Michaël Lessard

 
Réplique à la lettre : Engagé pour la responsabilisation et la surveillance
Les dérives de l’engagement unilatéral pro-israélien du gouvernement Harper viennent de faire une autre victime : l’organisme Droits et Démocratie dont on peut raisonnablement craindre pour la survie à plus ou moins long terme.
Après les coupures de subvention aux organismes Kairos et Alternatives, après le retrait de l’aide canadienne à l’Agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA) [1], après les votes contre le Rapport du juge Goldstone et le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU, après les attaques contre l’Association parlementaire Canada-Palestine, c’est au tour d’un organisme de défense des droits humains de subir les tactiques du lobby pro-israélien canadien. Le dénominateur commun de ces organismes pris pour cible est leur dénonciation des graves violations du droit international et des droits humains des Palestiniens et Palestiniennes par l’État d’Israël : occupation, colonisation, blocus et agression militaire contre la population de Gaza, etc. Ces crimes sont largement documentés par un nombre considérable d’organismes réputés à travers le monde, l’ONU en tête avec quelques 400 résolutions de l’Assemblée générale et du Conseil de sécurité condamnant l’État d’Israël pour ses agissements envers le peuple palestinien.
Invoquant leur responsabilité « de surveillance de l’administration des fonds publics envers les contribuables canadiens », dans leur lettre au Devoir du 22 janvier dernier, nous pensons que c’est plutôt la vigilance envers les intérêts du gouvernement israélien qui préoccupent certains membres du CA connus pour leur proximité avec le lobby pro-israélien. Qu’on en juge : Droits et Démocratie se serait en effet rendu coupable d’avoir octroyé un maigre 10,000 $ chacun en subvention à trois organismes dits « douteux » par des membres de ce CA. Étrangement ce sont tous des organismes oeuvrant pour la défense des droits du peuple palestinien en Israël même et en Territoires palestiniens occupés. Betselem est un centre israélien d’information qui, depuis 1989, documente l’état des droits humains dans les territoires occupés. Ce centre a déjà reçu le prestigieux prix Carter-Menil pour les droits humains. La crédibilité des rapports de Betselem est reconnue par les autorités israéliennes. Al Haq jouit sensiblement de la même reconnaissance du côté palestinien. Cet organisme, établi en 1979, recense les violations commises par la force occupante israélienne (90 % des cas) et par les autorités palestiniennes (10 % des cas). Al Haq jouit d’un statut consultatif auprès de l’ECOSOC (Conseil économique et social des Nations unies), est affilié à la Commission internationale des juristes de Genève et est membre de plusieurs regroupements internationaux.
Les signataires font également état d’un lien présumé entre le directeur d’Al Haq et le Front populaire de libération de Palestine (FPLP), un parti politique qui figure sur la liste des organisations terroristes du gouvernement canadien. Human Rights Watch rapporte qu’en 2009 « les autorités israéliennes ont présenté une preuve secrète, que Shawan Jabarin et son avocat n’ont pas été autorisés à voir, et qui aurait montré qu’il était un membre actif du FPLP, mais ne l’ont accusé d’aucun crime ». En fait, M. Jabarin devait se rendre aux Pays-Bas pour y recevoir un prestigieux prix en défense des droits humains, mais l’État d’Israël lui a interdit de quitter le pays.
Que le directeur général d’Al Haq se soit vu refuser un visa de sortie par Israël est un fait tout à fait banal, puisque bon nombre de personnes palestiniennes se voient confrontées à cette situation. Jouer le refus de visa afin de discréditer un organisme reconnu, c’est dénier la réalité : Israël exige des personnes d’origine palestinienne de multiples permis qui sont en réalité rarement délivrés. C’est aussi oublier que les activistes israéliens sont également victimes de répression par les autorités israéliennes. Tout récemment, des Israéliens ont été arrêtés alors qu’ils manifestaient légalement et pacifiquement contre les stratégies d’évictions de familles palestiniennes de Jérusalem-Est.
Shawan Jabarin déclare n’avoir aucun lien avec le FPLP. Glissons néanmoins un mot ou deux sur la question du terrorisme. Le FPLP est un parti politique marxiste qui souhaite un seul État et l’égalité entre les citoyens, peu importe leurs origines ou religions. Pour les nationalistes israéliens, vouloir une telle chose est être « contre Israël ». Le FPLP a d’ailleurs fait élire la première femme à la mairie d’une grande ville palestinienne (Ramallah). Faut-il rappeler que le peuple palestinien est sous occupation militaire ou blocus et, malgré des années de résistance non violente, il y a parfois des gestes violents lorsque des gens subissent une telle oppression ? Toute organisation refusant de se soumettre gentiment à l’occupation, à la colonisation ou au blocus, est considérée comme une organisation terroriste. Il en a été ainsi pour Ben Gourion, le fondateur d’Israël considéré comme un dangereux terroriste par le protectorat anglais de l’époque. C’était le cas aussi de l’OLP durant longtemps, alors qu’aujourd’hui Israël, les États-Unis et la plupart des pays occidentaux le considèrent comme l’interlocuteur diplomatique.
La nouvelle orientation du groupe majoritaire au CA s’est fait sentir jusque chez nous. En octobre dernier, la section Université Laval de Droits et démocratie organisait la visite du groupe DAM, des rappeurs palestiniens, citoyens d’Israël, et du professeur étasunien Dr. Norman Finkelstein, né de parents juifs ayant survécu à l’holocauste. Le nouveau CA a soudainement annulé le financement de ces activités. Leur « péché » ? Leur dénonciation à haute voix de l’occupation, de la discrimination et des violations des droits et du racisme en Israël et en Palestine. Heureusement, leur venue a été rendue possible grâce à des associations à Québec qui ont réussi, de justesse, à remplacer le retrait soudain du financement.
Bien au-delà des débats entre membres de CA qui ne partagent pas toujours, et heureusement, les mêmes opinions, nous assistons ici à une crise qui risque d’éloigner Droits et Démocratie de sa mission fondamentale : la défense des droits de tous les êtes humains, y compris ceux des Palestiniens et Palestiniennes. Comme le rappelait au journaliste du Toronto Star le 24 janvier dernier, une membre dissidente et démissionnaire du CA, Mme Sima Samar, responsable de la Commission des Droits humains en Afghanistan : La mission de Droits et Démocratie est la promotion des droits humains et la défense des victimes des violations de ces droits et non pas de ceux qui les commettent. Cessons d’accepter l’impunité de l’État d’Israël face au droit international et la complaisance des gouvernements québécois et canadien envers le lobby pro-israélien.
 
Les auteur-signataires cette lettre ont séjourné en Palestine et en Israël en 2009 au nom de divers organismes québécois.
 Benoît Damours, enseignant de philosophie au cégep Lévis-Lauzon
 Christian Martel, Directeur National Région du Québec du Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP)
 Denis Barrette, avocat, délégué de la Ligue des droits et libertés
 Ehab Lotayef (Montréal)
 Guillaume Dorval (Lévis)
 Lorraine Guay, déléguée FFQ/Marche Mondiale des Femmes
 Marie Auer-Labonte (Montréal)
 Michaël Lessard, délégué du Collectif de Québec pour paix
 Myriam Beaulieu (Québec)
 Odette Lefrançois, déléguée à la coordination du regroupement privé FNEEQ-CSN
 Publicateur :
Michaël Lessard
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