mercredi 3 février 2010

"Depuis un an, la diplomatie américaine fait du surplace au Proche-Orient"

publié le lundi 1er février 2010
Robert Malley

 
Quand bien même il se voulait candidat du changement, M. Obama reste otage du passé, captif involontaire d’un legs politique qui limite sa marge de manoeuvre et de concepts idéologiques qui restreignent ses capacités d’action.
Au Proche-Orient, la présidence de Barack Obama fut d’emblée marquée par un paradoxe. Autant M. Obama aura profité du peu d’estime dans lequel le monde arabe tenait son prédécesseur, autant il aura été la proie des espoirs qui furent placés en lui. Le jeune président a aisément franchi la barre que George Bush avait située bien bas. Il a suffi d’évoquer le nom du nouvel hôte de la Maison Blanche ou qu’il prononce son discours du Caire pour que la région perçoive les Etats-Unis sous un jour nouveau.
Mais le verdict de l’opinion arabe sur M. Obama ne pouvait longtemps dépendre de la seule comparaison avec son prédécesseur ; c’est à l’aune des immenses espérances qu’il avait éveillées et dont il ne pouvait se dérober qu’il allait être jugé. Il aura ainsi suffi d’une année médiocre et sans relief pour que le climat bascule. Bénéficiaire de l’immense désillusion engendrée par M. Bush, M. Obama est désormais victime des illusions démesurées qu’il a lui-même suscitées. Le désenchantement - voire, dans certains cas, l’hostilité - à son encontre est à bien des égards injustifié.
De par son parcours, sa conception du monde et ses instincts, le président élu a tout de l’anti-Bush. Convaincu de l’importance du conflit israélo-palestinien et du rôle central qu’ont à jouer les Etats-Unis dans sa résolution, et dédaignant une grille de lecture simpliste dominée par le prisme de la "guerre contre le terrorisme", M. Obama symbolise, si ce n’est une rupture franche, du moins un retour à une tradition plus pragmatique. Dans la pratique, pourtant, difficile de discerner nombreux motifs de satisfaction.
Les efforts consentis dans l’arène israélo-palestinienne, aussi intenses soient-ils, n’ont guère été récompensés. Les objectifs avoués étaient de geler les colonies de peuplement, enclencher un processus de normalisation israélo-arabe, renouer les pourparlers de paix, renforcer les soi-disant modérés, ainsi que de rétablir la crédibilité américaine. Pour l’instant, c’est tout le contraire qui s’est produit.
Effets désolants mais inévitables : les Palestiniens perdent confiance dans la nouvelle administration, les Arabes doutent et les Israéliens voient en Barack Obama un néophyte qui ne leur inspire ni respect ni estime.
Trois déficits expliquent ce bilan. Déficit tactique tout d’abord : choix d’objectifs douteux et irréalistes (gel complet des colonies de peuplement, but louable mais auquel même un gouvernement israélien de gauche aurait rechigné) ; puis reniement aussi brutal qu’inexpliqué (qualification du gel très partiel d’initiative "sans précédent") et, enfin, pressions à répétition exercées sur Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne (afin qu’il accepte de rencontrer le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou et qu’il reporte le débat sur le rapport Goldstone concernant la guerre de Gaza). Victime principale de cette valse diplomatique, le dirigeant palestinien, que l’administration s’était juré de renforcer. Depuis, l’Amérique semble obnubilée par le seul souci de renouer les négociations alors que leur échec coûterait à tous bien plus que leur ajournement. Entre-temps, l’administration n’aura rien fait ou presque pour rassurer l’opinion publique israélienne. De tels errements tactiques dénotent une méconnaissance plus profonde - et inquiétante - des ressorts politiques aussi bien palestiniens qu’israéliens.
Déficit de vision stratégique ensuite : à l’inverse d’autres chantiers, le processus de paix n’a pas (encore) eu la faveur d’un engagement présidentiel poussé. En dépit de fortes pressions internes et externes, et quoi qu’on puisse penser des choix qui ont été faits, Washington a maintenu le cap sur la question iranienne, renouvelant ses appels à un dialogue avec le régime ; c’est que le président s’est emparé de ce dossier et lui a imparti cohérence et continuité. Rien de tel jusqu’à présent dans le cas israélo-palestinien. Là, hormis la proclamation de vagues principes - centralité du conflit, importance du rôle américain, illégitimité des colonies de peuplement -, M. Obama ne semble pas savoir précisément où il veut aller et au prix de quels risques politiques. Cela peut se comprendre. De la réforme du plan de santé au redressement économique en passant par l’Afghanistan ou l’Irak, l’hôte de la Maison Blanche fait face à des épreuves autrement prioritaires. Mais au sein d’une administration plus présidentielle que celles de ses prédécesseurs, l’absence de direction claire provenant du bureau Ovale est inévitablement génératrice de flottement. L’indécision se sent. Les acteurs locaux en profitent.
Le troisième déficit, le plus grave, concerne le manque d’ajustement à la nouvelle donne régionale. Depuis 2000, date à laquelle les démocrates étaient précédemment au pouvoir, le contexte, les repères et même les protagonistes ont radicalement changé. Les traditionnels relais de l’influence américaine - Egypte, Jordanie ou Arabie saoudite - sont essoufflés. D’autres acteurs ont, depuis, approfondi leur présence dans l’arène palestinienne et pèsent de tout leur poids au sein de l’opinion publique : c’est le cas de l’Iran, de la Syrie ou même de la Turquie.
Conséquence en grande partie des choix désastreux du président George Bush, les Etats-Unis ne sont pas ceux qu’ils étaient naguère, ayant dilapidé prestige et autorité. La scène palestinienne s’est considérablement émiettée, politiquement, idéologiquement et géographiquement. Impossible dorénavant de bâtir une stratégie crédible fondée exclusivement sur la Cisjordanie, le Fatah, l’Autorité palestinienne ou ses dirigeants.
Quant à l’outil américain de préférence - négociations bilatérales entre Israël et l’OLP sur un statut final -, il est de plus en plus désuet et discrédité. Palestiniens et Israéliens s’accordent chaque jour davantage pour ne plus croire qu’elles puissent déboucher sur une paix véritable ou qu’un éventuel accord puisse satisfaire à leurs besoins les plus profonds. Il est temps de changer de méthode et, même, d’objectif. Quand bien même il se voulait candidat du changement, M. Obama reste otage du passé, captif involontaire d’un legs politique qui limite sa marge de manoeuvre et de concepts idéologiques qui restreignent ses capacités d’action.
La méprise n’a rien d’inhabituelle - on se convainc de pouvoir mieux faire ce que son devancier avait fait mal, sans se rendre compte que les fondements eux-mêmes étaient erronés et non pas seulement la manière. Division de la région entre "modérés" et "radicaux", appui aux uns et boycottage des autres, désintérêt envers Gaza et son drame humanitaire, exhortations creuses pour la paix : de tout cela découle un écart frappant entre ce que font les Etats-Unis et ce qui se fait au Proche-Orient.
De là cette impression de surplace, contrecoup d’une diplomatie américaine qui s’agite dans le vide. Que Barack Obama ait passé l’an I de sa présidence à vérifier la pertinence de conceptions périmées n’a rien de surprenant. On ne se défait pas facilement d’un héritage politique ou idéologique. C’est maintenant, alors que l’administration achoppe sur des réalités en décalage avec sa vision, que commence l’épreuve de vérité. Parmi les innombrables défauts de la présidence de George Bush, la principale sans doute était son incapacité à se renouveler et à adapter ses dogmes aux réalités du terrain. Au nouveau président de prouver qu’il peut faire mieux, et autrement.
Robert Malley est directeur du programme Moyen-Orient de l’International Crisis Group, ancien conseiller du président Clinton pour les affaires israélo-arabes.
Robert Malley est directeur du programme Moyen-Orient de l’International Crisis Group, ancien conseiller du président Clinton pour les affaires israélo-arabes.
publié dans le Monde du 23 janvier 2010