jeudi 21 janvier 2010

Emprisonné en Israël, Salah Hamouri, l’autre Français derrière les barreaux

publié le mercredi 20 janvier 2010
Georges Bourquard

 
Le sort du Franco-Israélien Gilad Shalit mobilise jusqu’à l’Élysée. Le Franco-Palestinien Salah Hamouri a, lui, moins de chance. Sa mère, originaire de Bourg-en-Bresse, n’aura pas droit à une audience présidentielle. Parti de l’Ain, un comité de soutien remue ciel et terre pour le faire libérer. En vain...
Comme disait Coluche, certains sont plus égaux que d’autres ! Si l’affaire n’était pas aussi sérieuse, c’est bien cette boutade qu’inspirerait le sort réservé à Salah Hamouri, étudiant en sociologie de 25 ans à Jérusalem.
Derrière les barreaux d’une prison israélienne depuis cinq ans, Salah a été condamné pour « intention terroriste ». "Plaidez coupable" lui a-t-on conseillé le jour du procès, « vous en prendrez pour 7 ans. Si vous niez, ce sera beaucoup plus ».
Ce que les juges militaires lui reprochent ? D’être passé sous les fenêtres d’un rabbin ultraorthodoxe, membre du parti Shas, cette formation extrémiste qui refuse toute cohabitation avec les Palestiniens. Pour faire bonne mesure, une âme charitable et anonyme assure que Salah est membre du FPLP. Le coup de grâce : le FPLP est étiqueté « terroriste » par les autorités israéliennes... Et même si, après le bouclage du quartier, une fouille minutieuse de l’appartement familial n’a rien donné, il est un terroriste. Au moins en puissance.
Denise Guidoux sa mère, Française née à Bourg-en-Bresse, devenue épouse Hamouri et mère de trois enfants, n’aurait rien dit si elle n’avait pas regardé la télévision. Elle n’aurait pas vu défiler sur le perron de l’Élysée ces familles de prisonniers français du bout du monde. D’Ingrid Betancourt à Clotilde Reiss, les parents et amis des victimes de l’arbitraire plaident légitimement leur cause auprès du chef de l’État. Mais Denise Hamouri n’aura pas cet honneur.
Deux députés, que l’échiquier politique sépare mais que les droits de l’Homme unissent, prennent le taureau par les cornes depuis deux ans. L’UMP Michel Voisin, élu de l’Ain, et l’ancien parlementaire communiste du Val-de-Marne, Jean-Claude Lefort, avaient visité les territoires occupés en observateurs de l’OSCE. Cette fois-ci, c’est en "militants de la liberté pour Salah" qu’ils agissent.
« La politique a mis Salah en prison, la politique doit le faire sortir », revendique Jean-Claude Lefort. « Je défends Israël comme un État qui a le droit de vivre en paix, mais je défends aussi, à égalité, les Palestiniens », renchérit Michel Voisin. « Il a des convictions, mais ce n’est pas un subversif »
La démonstration de Jean-Claude Lefort est frappée au coin du bon sens : « Salah vit à Jérusalem-est, en théorie palestinienne mais occupée par Israël. Salah, à l’origine francopalestinien, a désormais une carte de résidence, sans nationalité. La seule nationalité dont il peut se prévaloir est la nationalité française. Donc, il est un prisonnier français en Israël ». CQFD !
Si l’argumentaire juridique tient la route, la politique s’en moque comme d’une guigne... À chaque intervention auprès du Quai d’Orsay ou de l’Élysée, c’est la même réponse, regrette Michel Voisin : "On s’en occupe". L’été dernier, Nicolas Sarkozy a sollicité par courrier "la clémence" pour Salah. Une démarche plutôt mollassonne que condamne Jean-Claude Lefort : « Aux deux-tiers de la peine, la libération anticipée a été refusée », contrairement à l’usage. Terroriste il est, prisonnier il restera, Salah...
« Il est un prisonnier politique », assure Jean-Claude Lefort. Au passé chargé ? "Pas du tout", affirme le parlementaire, « il avait pris quatre mois de prison pour avoir collé des affiches et cinq autres pour s’être trouvé chez un ami recherché. Mais là-bas, la prison fait presque partie de la vie. Il y a 10 000 Palestiniens dans les prisons. Depuis 1967, 750 000 ont fait un séjour derrière les barreaux. C’est comme si, en France, 20 millions de gens étaient passés par la case cachot ».
« Salah est un Palestinien engagé, c’est sûr », reconnaît Michel Voisin ; « il a des convictions, ce qui n’est pas un défaut, mais ce n’est pas un subversif, encore moins un terroriste ».
Il y a quelques mois, Israël a voulu imposer aux prisonniers l’uniforme orange, celui de Guantanamo. Grève des détenus et levée de boucliers dans l’opinion : Salah et ses compagnons ont conservé leur tenue marron...
Des soutiens de l’UMP au NPA
À Jérusalem, Denise Hammouri, professeur de français dans un établissement catholique, est rassurante sur le sort de son fils : « Il garde le moral même s’il ne se fait pas d’illusions. Il occupe son temps à la lecture, à poursuivre ses études et à faire un peu de sport dans la cour de la prison ».
Tous les quinze jours, elle lui rend visite à Gilboa, au nord du pays près d’Haïfa. « Et puis il reçoit du courrier de France, il voit qu’on ne l’oublie pas ». « C’est un garçon bien charpenté intellectuellement », reconnaît Jean-Claude Lefort, « et physiquement aussi. Surprenant aussi avec les yeux bleus de son grand-père breton ».
Le comité de soutien à Salah compte des centaines de membres. 600 rien qu’à Bourg-en- Bresse. Des conseils municipaux en bloc le parrainent. « Ce n’est pas une affaire politique » conclut Jean-Claude Lefort ; « les signataires sont de tous les bords, de l’UMP au NPA de Besancenot ». « Actuellement, il y a des tractations pour libérer des prisonniers, ce serait un beau symbole d’échanger le soldat Gilad Shalit, enlevé par le Hamas, contre Salah », imagine Michel Voisin à mi-voix...
Dauphiné Libéré - Édition du 18 janvier 2010, page 30 (dernière page) ENQUÊTE