jeudi 15 octobre 2009

Nous vaincrons

Palestine - 15-10-2009
Par Mazin Qumsiyeh > mazin@qumsiyeh.org
Netanyahu avait l’air vieux, fatigué et en colère lors de son « discours » devant la Knesset. Il n’a rien dit de nouveau, il s’est contenté de régurgiter les mêmes vieux mythes sur la protection des Israéliens accusés de crimes de guerre, il a dit à son public (qui avait l’air lui aussi fatigué et de s'ennuyer) que le rapport Goldstone était un mensonge, qu’Israël se défendrait, que le monde ferait mieux de « régler la question de l’Iran » et que les Palestiniens feraient mieux de reconnaître Israël comme Etat juif pour parvenir à la paix, enfin... la paix selon les conditions des occupants.







































Enfants du camp de réfugiés d'Aida, à Bethléem (photo ISM)


Un peu plus tôt, Mahmoud Abbas avait fait un discours dans lequel il déclarait que les dirigeants du Hamas se servaient de l’affaire Goldstone pour éviter de signer un accord de réconciliation. Il a répété ses autres positions, que nous connaissons maintenant très bien. Lui aussi avait l’air fatigué, en colère, et vieux. Puis le chef du Hamas à Damas, debout devant une photo du président syrien, a fait un discours qui répétait les positions connues du Hamas. Lui aussi avait l’air en colère et fatigué. George Mitchell est venu faire un autre voyage sans résultats (j’ai perdu le compte du nombre de fois où il a rencontré les « dirigeants » de tous les bords ici). Lui aussi a souri aux caméras mais, faisant ses remarques, il est apparu frustré et en colère.

L’administration US a dit qu’il était vraisemblable qu’elle « ralentisse » les efforts de paix (merci de toutes façons pour le Prix Nobel de la Paix). Israël refuse simplement de se conformer aux accords qu’il a signés, en particulier les exigences de la feuille de route de geler ses activités coloniales et revenir à la situation telle qu’elle était avant 2000 (une demande plutôt minimale et légère, j’ajouterais). Les autres parties ont fait des déclarations et des communiqués contre telle ou telle position.

Sur le terrain, les choses semblent plutôt moroses. Nous sommes maintenant dans une situation où chaque ville ou cité palestinienne peut être bouclée ou ouverte selon le bon vouloir de l’armée israélienne. Cette occupation israélienne qui a kidnappé 12 Palestiniens de plus en Cisjordanie au cours des dernières 24 heures. A Gaza, les médecins font état d’une incidence croissante de malformations à la naissance (vraisemblablement liées à l’utilisation d’armes illégales par Israël, à l’eau polluée, à la malnutrition, et à tout cela à la fois). En Cisjordanie, nous apprenons à nous baigner avec un seau d’eau (et le garder ensuite pour d’autres usages, et à le faire moins fréquemment !). Les fermiers repoussent les attaques incessantes des colons pendant la saison traditionnelle de récolte des olives. Certains sont interdits d’accès à leurs propres terres. Et les maisons continuent d’être démolies.

Devant un tableau aussi indécent, on est tenté par le découragement. Je connais quelques Palestiniens qui s’y abandonnent. Nous réfléchissions à tout cela lors d’une visite au Centre de Biotechnologie de l’Université polytechnique. Par hasard, Mohammed Dahlan, soutenu par l’ouest, devait y faire un discours. Ses apparitions publiques se multiplient car il se prépare à remplacer Abbas comme « président » de l’ « Autorité Palestinienne » (les guillemets sont justifiés par le fait que nous n’avons pas d’autre réelle autorité que celle de l’occupation israélienne). Mais nous n’étions pas là pour voir Dahlan. Nous avons rencontré quelques étudiants en science. Des gens pratiques, sérieux, et qui travaillent dur. Cela m’a fait penser à l’espoir. Non, je n’ai aucun espoir que les politiciens se réveillent soudain à la réalité ! Mais l’espoir à cause d’une foi profonde dans la qualité et la tenue des gens du commun. Ici, c’est le photographe amateur de 11 ans, dans le camp de réfugiés d’Aida, qui a plus de sagesse et certainement plus d’énergie que beaucoup d’adultes que je connais. Le vieil homme aimable de 70 ans, qui me dit en souriant qu’il continue à aller sur sa terre malgré les checkpoints et les murs sur son chemin. La vieille femme à qui on offre des millions pour sa maison à Jérusalem mais qui refuse de la vendre aux colonisateurs et aux occupants. Le professeur d’université, et ami cher, qui a perdu sa femme à la suite d’une maladie et qui continue à éduquer la nouvelle génération de tout son cœur et de toute son âme. La jeune aveugle qui reste avec ses camarades de classe. Le chômeur qui garde sa dignité, ne demande pas d’aide, et continue à essayer de trouver du travail. La paysanne qui traite ses légumes comme s’ils étaient ses enfants. L’imam de la mosquée et le prêtre à l’église, qui écoutent les problèmes des gens avec une délicatesse et une compassion hors du commun. Les millions de ceux qui, par leur simple présence et détermination, nous inspirent.

Tous les matins, lorsque nous partons en voiture pour l’Université (ma femme commence ses cours à 8h, alors nous partons ensemble), nous voyons des écoliers qui rient, se tiennent par la main, courent, et dans leurs yeux, nous voyons l’espoir. Dans leurs peaux couleur olive, leurs cheveux noirs de jais, dans leurs traits bien marqués, nous voyons nos ancêtres cananéens nous encourager. Les difficultés du présent prennent leur rôle naturel de chocs le long de la route entre notre passé et notre futur. Ainsi, même une visite au cimetière, que nous faisons chaque semaine pour chaque nouvelle mort, devient étrangement un lien et une émancipation. Les vieux meurent heureux dans leur patrie. Les martyrs ne sont pas oubliés, et ils sont glorifiés pour leurs sacrifices. Le passé, le présent et le futur n’ont du sens que dans l’amour de la terre.

Ces deux dernières semaines, je faisais des recherches sur une série de vieilles photos de Palestine qui viennent d’être numérisées à la bibliothèque du congrès. Certaines de ces photos montraient ma ville natale dans les années 1920, 1930 et 1940. Avec quelle excitation j’en ai découvert une de la maison de mes arrière-arrières grands-parents. L’image (prise au début des années 1920) est la seule qui existe de mon arrière grand-mère (un vieux cousin l’a reconnue). D’autres photos montrent une abondante récolte de blé. Nous avons été fermiers, bergers et artisans pendant des centaines d’années et, en dépit de toutes les difficultés, NOUS sommes toujours là. Je souris alors que nous commençons les préparatifs de la récolte des olives (bien qu’il semble qu’elle soit moins belle que celle de l’année dernière). Je souris tandis que j’arrête ma voiture dans la rue principale de Bethléem, pour laisser traverser un troupeau de moutons, conduit par un gars qui ressemble exactement à ceux que j’ai vus sur les photos anciennes. Oui, le mouvement sioniste a détruit 530 villages et construit une métropole à la mode européenne de colonies en réseau partout ici, les remplissant de gens importés à qui on a lavé le cerveau pour qu’ils croient que la seule manière d’asseoir leur pouvoir est de détruire les autres. Mais ils ne s’y sentiront jamais chez eux tant qu’ils ne reconnaîtront pas l’injustice faite à la population indigène, et demandent, humblement, le retour de ceux qu’ils ont expulsés ou obligés à partir. C’est en partie la raison pour laquelle 700.000 israéliens naturalisés vivent maintenant en dehors du pays.

Le temps n’est pas tendre avec les assassins et les voleurs. Nous sommes la Palestine qui ne changera jamais en tant que terre, et son peuple est loin d’être vaincu, même si nous sommes obligés de vivre dans ces ghettos et ces camps de réfugiés pendant 10 ou 30 ans de plus. La terre est constellée des affreux édifices de l’occupation, dont le mur d’apartheid. Mais la terre est rouge et douce et fertile et patiente. Après tout, elle est mélangée aux cendres et à la sueur de nos ancêtres. L’histoire n’est pas statique. Nous avons davantage d’amour et de communauté que l’amalgame de gens différents qui vivent dans des maisons chics dans les colonies, avec tous les produits qu’ils veulent.

Je souris quand je vois des adolescents danser la traditionnelle dabka (je suis abasourdi par leur énergie tandis que leurs pieds semblent ne pas toucher le sol). Les gens continuent à rêver et à espérer et à aspirer à la liberté. Les actes d’héroïsme et de résistance continuent. En dépit des difficultés, la plupart des Palestiniens vivent dans un confort psychologique, et certainement plus contents de leur sort que les usurpateurs distants, ou les quelques-uns parmi notre propre peule qui ont renoncé.

Beaucoup d’Israéliens et d’Internationaux qui viennent ici tous les jours pour nous soutenir deviennent une partie de cette merveilleuse mosaïque vivante et en pleine santé. Cet esprit est celui qui poussait les afro-américains à chanter, en tenant la main des blancs honnêtes, « un jour nous vaincrons ». C’est l’esprit de Jaffa, d’Haïfa, d’AnNasra, de Naplouse, de Jenin, de Bil’in, de Ni’lin, d’Al-Quds, de Rafa, de Gaza, de Khan Younis et des 1.400 autres villes et villages dans lesquels nous vivons, ou ces villages qui vivent toujours dans les cœurs de leurs propriétaires qui ont juré : un jour nous reviendrons – un jour nous serons libres – un jour nous vaincrons.