jeudi 15 octobre 2009

Après le rapport Goldstone, le Hamas face à un choix décisif

mercredi 14 octobre 2009 - 06h:26

Ali Abunimah - The Electronic Intifada


Le tumulte engendré par la collaboration de l’Autorité palestinienne [AP] avec Israël pour enterrer le rapport Goldstone qui demandait le procès des dirigeants israéliens pour crimes de guerre à Gaza, est un véritable séisme politique, écrit Ali Abunimah.

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Ismaïl Haniyeh, un des premiers dirigeants du Hamas et Premier Ministre du gouvernement palestinien élu.

L’ordre politique dans son ensemble, tel que mis en place depuis 1993 après la signature des accords d’Oslo, est en ruines. Alors que les secousses initiales commencent à s’estomper, les mêmes vieilles structures politiques peuvent toujours paraître en place, mais elles sont lézardées.

Cette crise sans précédent menace de renverser le dirigeant pro-américain Mahmoud Abbas, mais elle laisse également le mouvement Hamas, la principale organisation de la résistance palestinienne, aux prises avec des choix fatidiques.

Abbas, habitué à être entouré de copains corrompus, de sycophantes [délateurs] et de bénis oui-oui a mal évalué l’impact de sa décision - prise selon les instructions israéliennes et américaines - de retirer le soutien de l’AP à la résolution du Conseil des Nations Unies pour les droits de l’homme à Genève, renvoyant le rapport Goldstone à des décisions ultérieures. Après tout, l’Autorité palestinienne a déjà saboté, et activement, les droits palestiniens au Nations Unies à au moins deux reprises ces dernières années, mais sans grande réaction.

Cette fois-ci, des torrents de protestations et d’indignation ont surgi venant de presque toutes les directions. C’était comme si soudain éclatait, rompant tous les barrages, toute la colère et toute la douleur étouffées jusque-là sur la collaboration de l’Autorité palestinienne avec Israël pendant les massacres dans Gaza l’hiver dernier.

« Le crime à Genève ne peut pas passer sans que tous les responsables ne rendent des comptes », écrit Al Quds Al-Arabi, le très consulté journal basé à Londres, dans son éditorial principal daté du 8 Octobre. Le journal a demandé le limogeage d’Abbas et de ses acolytes qui ont trahi les victimes des massacres israéliens et « sauvé Israël de la plus grave crise morale, politique et juridique, à laquelle il doit faire face depuis sa création. »

Parler de collaboration - et même de trahison - a depuis toujours un sujet tabou et douloureux parmi les Palestiniens, comme pour tous les peuples occupés. Il a fallu des décennies en France après la Seconde Guerre mondiale pour commencer à parler ouvertement de l’ampleur de la collaboration qui s’était développée sous le gouvernement de Vichy soutenu par les nazis. Abbas et ses milices - qui depuis longtemps sont armées et entraînées par Israël, les Etats-Unis et les soi-disant « modérés » des Etats arabes, pour faire la guerre à la résistance palestinienne - se sont appuyés sur ce tabou pour mener à bien leurs activités avec une audace et une brutalité croissantes. Mais ce tabou n’accorde plus de protection, alors que des appels pour le limogeage de M. Abbas et même son passage en jugement sont lancés par des organisations palestiniennes dans le monde entier. Le mouvement Hamas semble aussi avoir été pris par surprise par la force de la réaction. Les dirigeants du Hamas ont critiqué le retrait par Abbas de la résolution à propos du rapport Goldstone, mais ce fut d’abord remarquablement en sourdine. Dès le début, Khaled Mechaal, responsable du bureau politique du mouvement, a insisté sur le fait que malgré le fiasco sur le rapport Goldstone, le Hamas allait poursuivre les négociations prévues plus tard dans le mois et sous médiation égyptienne pour une réconciliation avec le Fatah, en présence d’autres petites formations, disant que parvenir à un partage du pouvoir restait de « l’intérêt national ».

Comme le séisme perdurait, les dirigeants du Hamas ont intensifié leur rhétorique - suivant apparemment l’opinion publique mais ne la précédant pas. Mahmoud Zahar, un éminent dirigeant du Hamas dans la bande de Gaza, a qualifié Abbas de « traître » et a demandé instamment qu’il soit déchu de sa nationalité palestinienne. Le Premier ministre Ismaïl Haniyeh, prenant la parole devant une session convoquée à la hâte du Conseil Législatif Palestinien, a déclaré que Abbas était personnellement responsable du « crime » commis à Genève, et un haut responsable de la force de police contrôlée par le Hamas à Gaza a tenu une conférence de presse pour annoncer qu’Abbas et ses acolytes feraient l’objet d’une arrestation s’ils mettaient un pied à Gaza.

Tout cela place le Hamas dans une impasse. Avant la crise suite au rapport Goldstone, le Hamas avait fait savoir qu’il acceptait les propositions égyptiennes les plus récentes pour la réconciliation. La proposition égyptienne peut être décrite comme technocratique - elle traite des mécanismes pour les élections, de la libération des prisonniers, de la formation de comités et autres questions. Elle ne résout pas les divergences politiques et philosophiques fondamentales sur le rôle de la résistance et de la lutte armée, rejetée par Abbas et défendus par le Hamas. Elle ne traite pas le problème de « coordination de la sécurité » avec Israël qui a entraîné la mort et l’arrestation par l’Autorité palestinienne [de Ramallah] de nombreux combattants de la résistance palestinienne et la fermeture de centaines d’organisations et d’organisations caritatives palestiniennes.

Malgré le fossé qui subsiste, le Hamas souhaitait signer un accord d’unité. faire partie de l’AP reconnue par l’occident serait pour le Hamas un billet pour le « processus de paix » - quelque chose que le Hamas cherche et que Meshal n’a pas caché, bien qu’avec ses propres formulations. Abbas était moins désireux d’unité, lui et ses copains résistant encore à l’idée de traiter le Hamas comme une force politique disposant d’une légitimité populaire. Mais après Goldstone, Abbas a besoin du Hamas.

Le Hamas aujourd’hui ne peut pas suivre deux voies en même temps : il ne peut pas parler « d’unité » et de « réconciliation » avec des gens qu’ils considère - et avec de nombreux Palestiniens - comme des « traîtres ». Rechercher l’unité avec de tels individus reviendrait à dire que le Hamas souhaite rejoindre un gouvernement de traîtres. Pour l’instant, le Hamas souhaite gagner du temps et a demandé à l’Egypte de reporter la réunion prévue au Caire plus tard dans le mois.

La stratégie du Hamas à long terme de tenter de rejoindre l’édifice, qui lentement s’écroule,de l’Autorité palestinienne n’a désormais plus aucun sens. Il semble maintenant plus probable que l’opération ne se fera plus, bien que le Hamas doive manœuvrer pour éviter des reproches et maintenir son canal de communication avec l’Egypte, laquelle soutient le Fatah.

Peut-être l’issue la plus probable, au moins dans le court terme, est une impasse qui reste en l’état, avec un Abbas, désormais entièrement dépendant des forces israéliennes et américaines pour se maintenir au pouvoir, bien qu’il n’ait ni légitimité ni crédibilité et qu’il soit largement méprisé.

La question la plus difficile pour le Hamas sera, que faire après ? Va-t-il essayer de se débrouiller comme il a commencé à le faire, ou va-t-il se rallier à l’opinion publique palestinienne en s’opposant et en résistant jusqu’à ce que l’Autorité palestinienne collaborationniste de Mahmoud Abbas soit dissoute ? Ce serait un énorme changement stratégique - le Hamas aurait probablement à abandonner les signes extérieurs de « gouvernement » qu’il a adoptés depuis qu’il a remporté en 2006 les élections législatives, et devra revenir à ses racines en tant que mouvement social et organisation clandestine.

Il n’aura pas beaucoup de temps pour décider quelle direction prendre. Les espoirs soulevés par la première initiative de l’Administration d’Obama pour l’établissement de la paix ont été déçus après la capitulation d’Obama devant le premier ministre israélien Benjamin Netanyahu sur la question des colonies, même si l’envoyé spécial des Etats-Unis au Moyen-Orient, George Mitchell, poursuit une « diplomatie » tout à fait stérile visant à ramener le gouvernement israélien « rejectionniste » face à face dans des « négociations » avec le cadavre politique de M. Abbas.

Et comme Israël accélère la colonisation de la Cisjordanie et le nettoyage ethnique de Jérusalem, il est fortement question d’une nouvelle Intifada.

L’effondrement politique en cours offre à tous les Palestiniens - y compris au Hamas - une nouvelle opportunité : construire sur une large base une résistance populaire, légitime au niveau international, qui mobilise l’ensemble de la société palestinienne comme l’a fait la première Intifada, et renoue avec les Palestiniens en Israël qui font face à une menace existentielle à cause de l’escalade du racisme israélien. Ce mouvement doit travailler avec la campagne de solidarité mondiale, tout en la renforçant, afin de faire pression sur Israël - et ses collaborateurs - pour que cesse la répression, le racisme et la violence, et pour hâter l’émancipation de tout le peuple de Palestine.

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* Ali Abunimah est cofondateur de The Electronic Intifada et l’auteur de « One Country : A Bold Proposal to End the Israeli-Palestinian Impasse » (Metropolitan Books, 2006). Cette analyse est initialement parue au Palestine Center.

8 Octobre 2009 - The Electronic Intifada - Vous pouvez consulter cet article à :
http://electronicintifada.net/v2/ar...
Traduction : Claude Zurbach