samedi 24 octobre 2009

La visite avortée de Bernard Kouchner

publié le vendredi 23 octobre 2009

Le NouvelObs
Le ministre a renoncé à se rendre à Jérusalem et Ramallah en raison, officiellement, d’un emploi du temps trop chargé. Mais il y a d’autres explications officieuses.

Vers l’Orient compliqué, Bernard Kouchner risque de s’envoler ce soir (23 octobre) avec des idées sombres. La visite que devait faire le ministre français des Affaires étrangères, en fin de semaine en Israël et dans les territoires palestiniens, après être passé par Beyrouth et Damas, a été annulée et son voyage de quatre jours dans la région va se limiter à une visite à Beyrouth. Selon le Quai d’Orsay, le ministre a renoncé à se rendre à Jerusalem et Ramallah en raison d’un emploi du temps trop chargé au début de la semaine suivante, lié à une réunion des ministres des Affaires étrangères de l’Union Européenne. Cette explication convainc d’autant moins que la visite était en préparation depuis la semaine précédente et que le ministre était évidemment au courant de ses engagements pour les jours et les semaines à venir lorsqu’il a proposé ses dates aux responsables israéliens. Les véritables explications sont donc ailleurs. Les sources informées, à Jérusalem, en fournissent deux qui, d’ailleurs, se complètent.

L’épine du Rapport Goldstone

Première explication : Le gouvernement israélien a refusé à Bernard Kouchner l’autorisation d’entrer dans la bande de Gaza. Le ministre entendait se rendre dans le territoire palestinien dont les accès sont contrôlés par Israël, pour inspecter les travaux, entrepris grâce à l’aide de la France, à l’hôpital al-Qods, gravement endommagé lors de l’opération israélienne « Plomb durci » en décembre 2008 et janvier 2009. A la demande personnelle de Nicolas Sarkozy, Benjamin Netanyahou avait autorisé, il y deux mois, la France à prendre en charge ce chantier. Mais le premier ministre israélien estime aujourd’hui qu’une visite du ministre français pourrait être exploitée par le Hamas pour créer un évènement médiatique en exposant de façon spectaculaire les dégâts provoqués par l’armée israélienne. Et pour le ministre français, il est difficile de se rendre ces-jours-ci dans les territoires palestiniens sans faire au moins un passage par l’hopital al-Qods.

Deuxième explication : Netanyahou et les dirigeants israéliens n’ont pas caché, la semaine dernière, leur déception et leur mécontentement de voir la France s’abstenir au Conseil des droits de l’homme des Nations Unies lors du vote sur le « Rapport Goldstone ». Leur mauvaise humeur et l’interdiction d’entrer à Gaza peuvent aussi s’expliquer ainsi.

Curieusement, les Palestiniens, qui auraient pu se réjouir de constater que le France n’avait pas joint sa voix à celles des Etats-Unis, de l’Italie ou des Pays-Bas, qui ont voté contre l’adoption du rapport, ne sont pas non plus satisfaits du choix de Paris dont ils espéraient une prise de position claire et un vote favorable à l’adoption du document. – qui fut finalement adopté par 25 voix contre 6.

Guéant et Lévitte sont passés avant…

Les déboires de Bernard Kouchner, dans l’organisation de ce voyage, ne se limitent pas à l’étape israélo-palestinienne : l’escale à Damas, initialement prévue, a également été supprimée lundi. Aucune explication convaincante de cette décision n’a été fournie, à ce jour, par la France ou la Syrie. Le porte-parole du Quai d’Orsay, Bernard Valero, a indiqué mardi que ce report était dû à des « raisons de construction du programme, de compatibilité d’horaires de rendez-vous, etc ». Un élément d’explication est peut-être à chercher dans la décision syrienne de ne pas signer le 26 octobre, comme l’escomptaient les Européens, l’Accord d’association entre l’Union européenne et la Syrie. Le régime de Damas, qui n’avait pas caché son mécontentement lorsque l’accord avait été « gelé » en 2004 par l’Union européenne, s’est déclaré « surpris » d’apprendre que les Européens entendaient signer le 26 octobre et souhaite aujourd’hui prendre son temps pour « examiner tous les détails de cet accord ».

Par ailleurs, on ne peut exclure un geste de mauvaise humeur de Damas après la condamnation, lundi, par Paris, de l’arrestation à Damas d’un défenseur des droits de l’homme, l’avocat Haytam Al Maleh. Ces déboires syriens soulignent la différence de traitement réservée par Damas aux visiteurs officiels français selon qu’ils représentent le président de la République ou le ministère des affaires étrangères.

Deux semaines avant la rebuffade affrontée par Bernard Kouchner, le secrétaire général de l’Elysée, Claude Guéant, et le conseiller diplomatique de Nicolas Sarkozy, Jean-David Levitte, s’étaient rendus à Damas où ils avaient été reçus le 3 octobre par le président syrien Bachar al-Assad à qui ils avaient remis un message de son homologue français portant, selon l’agence syrienne Sana, « sur les développements au Proche-Orient ».

Le voyage de Bernard Kouchner se limitera donc à un aller-retour à Beyrouth pour y rencontrer le chef de l’Etat, d’autres responsables politiques et participer à une table ronde au Salon du livre francophone. Là encore, il a été précédé par un émissaire de l’Elysée. Le conseiller de Nicolas Sarkozy, Henri Guaino s’est rendu à Beyrouth, lui aussi, le 4 octobre, où il a été reçu par le président Michel Sleimane. Cela dit, Bernard Kouchner n’a pas renoncé à se rendre dès que possible en Israël et dans les territoires palestiniens. Selon le Quai d’Orsay, une visite serait en préparation et pourrait se dérouler à la mi-novembre