lundi 5 octobre 2009

Courage et résistance au camp de réfugiés d’Aïda

dimanche 4 octobre 2009 - 09h:08

Dina Elmuti
The Electronic Intifada


Quelques puces bien motivées, mordant de façon stratégique, peuvent même grandement indisposer le plus gros des chiens et même faire bouger la plus grande des nations.

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Une clé immense à l’entrée du camp de réfugiés d’Aïda symbolise les foyers perdus par les réfugiés palestiniens durant leur dépossession.
(Photo par l’auteur)

Avec l’impression d’être aussi insignifiante qu’un insecte, j’attends que le soldat qui surveille le check-point fortifié derrière la cabine aux vitres pare-balles ait fini de vérifier nos passeports. Après quelques moments de d’examen, nos passeports nous sont rendus et on nous fait signe, d’un geste suffisant de la main, de reprendre notre route. Nous avançons au milieu des chicanes de ce mur imposant qui traverse Bethléhem, entourant villes et quartiers. L’affreux obstacle est enjolivé de dessins artistiques de la résistance et nous sert de guide pour notre destination : le camp de réfugiés d’Aïda.

Dans un contraste saisissant, le camp d’Aïda est situé derrière le somptueux hôtel intercontinental Jacir Palace. L’endroit abrite près de 5 000 personnes, le camp a connu quantité de situations d’injustice et d’humble héroïsme que j’avais envie de connaître depuis longtemps.

Ma famille et moi passons cette chaude journée du mois d’août au milieu de militants décidés, de familles et d’enfants curieux tous plus que disposés à laisser ce qu’ils sont en train de faire pour nous montrer ce lieu qu’ils ont tous fini, au fil des années, par appeler la maison. C’est dans des endroits comme Aïda qu’une vie est ramenée à sa juste valeur. Au moins, la mienne l’est certainement, dès la première famille que nous avons la chance de visiter.

Nous rencontrons un père dévoué qui consacre sa vie à élever ses cinq enfants, son épouse ayant été assassinée impitoyablement sous le feu des soldats israéliens alors qu’elle se tenait à la fenêtre, attendant que ses enfants rentrent de l’école. « C’était pendant la seconde Intifada » raconte-t-il. « Elle est morte comme une martyr, et les enfants étaient si jeunes. » Trois ans plus tard, la tristesse apparaît encore sur son visage. « Elle était l’amour de ma vie ». « Tout le monde me dit toujours de me remarier pour donner à ces enfants une mère qui s’occupera d’eux, mais je ne pourrai jamais. Je ne pourrai jamais effacer son souvenir comme cela. Elle était mon épouse. » Après un court moment, nous sommes assaillis par des bonjours enthousiastes, aigus des plus jeunes fillettes. Heureuses que la nouvelle année scolaire soit près de commencer, elles lèvent vers nous de grands yeux radieux remplis de curiosité.

Plus tard, nous avons la chance de voir notre aimable guide, Mohammad, un bénévole du camp qui nous fait faire le tour du camp, nous introduisant patiemment auprès des familles, l’une après l’autre. Chacune nous invite gracieusement à entrer et nous raconte avec chaleur ce qu’elle a dû affronter et comment elle continue de le surmonter. Personne dans le camp n’est à l’abri des difficultés, pas même notre guide calme et serein, qui a été blessé par des tirs et emprisonné par les forces israéliennes il y a quelques années seulement. « Je n’ai pas pu suivre deux années scolaires à cause de la prison, » nous dit-il solennellement avec un haussement d’épaules. Aujourd’hui, je rencontre des familles entières atteintes de cancers, pas seulement un membre de la famille, mais toute la famille. J’écoute l’histoire de ces familles qui ont perdu des êtres chers dans des conditions les plus inconcevables, et j’entre dans des maisons qui ne disposent même pas de l’eau courante quotidiennement.

Je ne peux m’empêcher de penser comment mon enfance a été choyée et confortable, comparée à celle des enfants que je rencontre aujourd’hui. Contrairement à mes frères et sœurs et à moi-même, ces enfants vivent sans connaître le privilège de pouvoir simplement tourner un robinet et d’avoir de l’eau potable, fraîche, à leur disposition. Au lieu de cela, ils recueillent des quantités d’eau insuffisantes à partir de réseaux d’eau insalubre et de systèmes d’eaux usées, le tout contrôlé par Israël.

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Dessin artistique de la résistance sur le mur à Bethléhem.

« Nous recevons de nouvelles citernes d’eau ici toutes les trois semaines environ, parfois nous n’en avons pas. Nous faisons de notre mieux pour l’économiser, sinon nous en manquerions et il nous faudrait attendre le nouvel arrivage. Quelquefois, nous restons plus d’une semaine sans eau potable, » nous dit un jeune garçon. Il semble ne pas avoir plus de 10 ans, et nous parle avec la conscience et la sagesse d’une personne bien plus âgée. J’essaye d’imaginer ce que je ferais si je devais rester une semaine sans prendre une douche tous les jours, un luxe qui nous semble tellement dû. Quand devient-il normal de priver des enfants du droit humain essentiel de l’accès à l’eau potable ? Plus important encore, quand devient-il normal pour le monde de regarder ailleurs et de tolérer une telle injustice, quand un tel problème est devenu, pour ces enfants, aussi familier dans sa répétition ?

Alors que cette journée révélatrice, pleine de nouvelles leçons, arrive à sa fin, nous nous disons adieu avec nos nouveaux amis. En témoignage de reconnaissance pour notre guide, qui nous a patiemment conduits sous une chaleur torride, ma mère donne à Mohammad un Coca. A ma grande surprise, il refuse, mais pas seulement par politesse ou par cette fierté arabe que l’on connaît, comme je le pense d’abord. « Oh, excusez-moi s’il vous plaît, en réalité, je ne soutiens aucune entreprise qui aide Israël et son occupation, » nous dit-il avec fierté, la main sur sa poitrine en un geste de remerciement.

En pleine occupation, sécheresse et agitation politique, la campagne de boycott, désinvestissement et de sanctions (BDS) est florissante dans certaines parties de Bethléhem, et je ne peux être plus heureuse et plus fière. Mohammad nous dit qu’il a entendu parler de la campagne BDS grâce au Centre Lajee (réfugiés, en arabe) du camp. Le Centre Lajee a été créé il y a près de dix ans par un groupe de jeunes gens du camp qui rêvaient d’apporter des changements et des stratégies pour défendre leurs droits, ce que leurs soi-disant dirigeants n’avaient jamais eu l’ingéniosité de faire.

Après avoir raconté cette histoire motivante à mon ami Rich, un militant vraiment désintéressé du camp d’Aïda qui commence par me présenter au Centre Lajee, j’en apprends davantage sur la naissance de la campagne dans le camp. Il explique que si Lajee est bien l’un des premiers signataires de l’appel palestinien à BDS et à ses mises en pratiques dans le camp, cette année voit surgir une brusque montée de la prise de conscience dans les nouvelles générations du camp à l’égard de cette stratégie, à la suite des massacres de l’hiver dernier à Gaza.

La population d’Aïda a enduré une véritable calamité pour faire le choix d’une action productive plutôt que de se délecter à s’apitoyer sur elle-même, et c’est ce défi qui caractérise le peuple de Palestine. Il n’arrête jamais de m’étonner. Ce bref moment passé au camp me fait prendre conscience que si ses habitants arrivent à appliquer avec succès le boycott des marchandises qui aident à financer leur situation difficile injuste, il n’y a aucune excuse logique, morale ni convaincante pour nous de ne pas faire la même chose aux Etats-Unis, surtout avec tous les choix, les ressources et les libertés dont nous avons la chance de profiter chaque jour.

Alors que je fais la queue à la porte, prête à quitter Bethléhem, je ne peux m’empêcher de me sentir toute petite une fois encore. Cette fois, cependant, je choisis de voir les choses un peu différemment. Même si je ne suis rien, pas même un simple insecte, au mieux une puce, aux yeux d’Israël, je me souviens entendu dire autrefois qu’il suffisait qu’on soit une puce contre l’injustice. Quelques puces bien motivées, mordant de façon stratégique, peuvent même grandement indisposer le plus gros des chiens et même faire bouger la plus grande des nations. Je reconnais que si même les habitants les plus jeunes du camp d’Aïda arrivent à avoir le courage de résister aux humiliations basiques de l’apartheid et de l’occupation, je le peux moi aussi, et je ne suis pas la seule.


Dina Elmuti est une étudiante de deuxième cycle en neurobiologie à l’université Eastern de l’Illinois.

Camp d’Aïda, Cisjordanie occupée, le 28 septembre 2009, Live from Palestine - The Electronic Intifada - traduction : JPP

http://info-palestine.net/article.php3?id_article=7401