vendredi 30 octobre 2009

Complices des crimes de guerre d’Israël

jeudi 29 octobre 2009 - 06h:08

SocialistWorker

Eric Ruder étudie le rapport Goldstone établissant des crimes de guerre commis pendant l’offensive d’Israël contre Gaza - et les critiques déclenchées par l’empressement du Président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, à aider Israël à étouffer le rapport.

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Mahmoud Abbas, ex-président de l’Autorité palestinienne

Le Conseil des droits de l’homme de l’ONU (CDH) a adopté le 16 octobre une résolution pour faire suivre au Conseil de sécurité de l’ONU un rapport établissant des crimes de guerre commis pendant les trois semaines de l’offensive d’Israël contre Gaza fin 2008 et début 2009 - la première de plusieurs démarches qui pourraient finalement mener à juger Israël pour crimes de guerre.

Deux semaines auparavant, des représentants palestiniens au CDH avaient demandé de retarder le vote, en réponse aux pressions des USA et d’Israël qui tentaient d’enterrer le rapport Goldstone - du nom de Richard Goldstone, ancien juge à la Cour suprême sud-africaine auteur de ce rapport de 575 pages - à cause des preuves méticuleuses établissant les crimes de guerre israéliens.

La décision de l’AP d’aider les USA et Israël dans leurs efforts pour éliminer la vérité à propos de Gaza a déclenché une explosion de colère chez les Palestiniens - qui voyaient dans la participation de l’AP à l’élimination du rapport un acte de trahison.

« Quelque chose va exploser » a dit Aysam Zaid, un dirigeant du Fatah à Ramallah. « Ils nous écoeurent. La rue palestinienne veut divorcer d’avec l’AP ».

Tandis que les critiques enflaient à Gaza et en Cisjordanie tout autant que dans les pays arabes de la région,Ghassan Khatib, directeur du Centre des médias de l’AP, reconnaissait que la décision sur le renvoi du rapport avait nui à sa légitimité. « Le niveau de protestation publique est sans précédent. Aussi longtemps que je me souvienne, jamais le leadership n’a été aussi impopulaire ».

L’effet sur la réputation d’Abbas a été rapide, faisant passer son taux de popularité déjà bas de 18 % en juin à 12% aujourd’hui, selon un sondage réalisé en octobre par le Centre de médias et de communication de Jérusalem.

Se rendant compte qu’il avait fait un très mauvais calcul, Abbas annonça qu’il ordonnait au représentant palestinien au CDH de l’ONU de demander l’adoption du rapport Goldstone - et Abbas, dans une démarche qui n’a leurré personne, déclara qu’il allait constituer une commission d’enquête sur les raisons du renvoi du vote.

« Au sein de l’AP, quelqu’un va devoir jouer les boucs émissaires et sera forcé de payer un prix politique très lourd » dit le Dr Samir Awad, lecteur en sciences politiques à l’Université Birzeit. « Il est clair que malgré ses dénégations le Président Abbas était derrière la décision de retirer son soutien au rapport, mais il ne l’admettra jamais ».

Le gros du rapport est consacré aux crimes de guerre commis par Israël pendant son offensive sur Gaza, comme les tirs sur des civils quittant leur maison en brandissant des drapeaux blancs (dans certains cas, après en avoir reçu l’ordre de soldats israéliens) et les attaques militaires contre des écoles et des mosquées où des civils avaient trouvé refuge. Au total les massacres israéliens ont tué quelque 1.400 Palestiniens, dont la grande majorité étaient des civils, et en ont blessé des milliers d’autres.

Le rapport conclut aussi que « la destruction des installations d’approvisionnement en nourriture, de traitement et d’adduction d’eau, d’usines à béton et de maisons résidentielles est le résultat d’une politique délibérée et systématique par les forces armées israéliennes. Celle-ci n’a pas été mise en œuvre parce que ces objets présentaient une menace ou une occasion militaire, mais pour rendre plus difficile à la population civile palestinienne le cours de la vie quotidienne et d’une vie quotidienne digne ».

En résumé, l’offensive israélienne contre Gaza a été « une attaque délibérément disproportionnée visant à punir, à humilier et à terroriser une population civile, à réduire radicalement sa capacité économique locale à travailler et à subvenir à ses besoins, et à la contraindre à un sentiment toujours croissant de dépendance et de vulnérabilité ».

Le rapport contient également des concessions significatives à la version israélienne des faits, comme l’adhésion à l’idée que l’attaque d’Israël était une réponse aux roquette tirées de Gaza dans le sud d’Israël - même si Israël a été le premier à violer le cessez-le-feu qui avait précédemment mis fin aux tirs de roquettes. Et le rapport accuse des combattants résistants du Hamas de crimes de guerre pour avoir tiré des roquettes qui ont tué trois civils israéliens.

Le rapport appelle Israël aussi bien que le Hamas à traduire les perpétrateurs en justice et, s’ils n’obtempèrent pas, il recommande de renvoyer le dossier au Conseil de sécurité de l’ONU, qui a le pouvoir d’établir des tribunaux jugeant les crimes de guerre. Le rapport encourage aussi les pays signataires des Conventions de Genève « à entamer des enquêtes criminelles devant des cours nationales en se servant de la compétence universelle lorsqu’il y a suffisamment de preuves que des violations graves des Conventions de Genève de 1949 ont été commises ».

Néanmoins le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou a contesté le rapport, lançant toutes sortes d’accusations contre les conclusions du rapport aussi bien que contre son auteur. Netanyahou a dit que si les recommandations du rapport étaient appliquées, cela « porterait un coup sévère à la guerre contre le terrorisme ». Paradoxalement, Netanyahou a aussi déclaré que cela « porterait un coup fatal au processus de paix, parce que Israël ne sera plus en mesure de faire des pas supplémentaires et de prendre des risques pour la paix si son droit à la légitime défense lui était dénié » ».

Si l’on en juge par ce raisonnement et par l’opposition déjà exprimée de Netanyahou à un Etat palestinien, on voit clairement ce que le « processus de paix » signifie pour Netanyahou : le bombardement sans retenue des Palestiniens, suivi d’une reddition totale.

« Je ne comprends pas la raison [de la déclaration de Netanyahou comme quoi le rapport ferait dérailler le processus de paix] » a déclaré Goldstone. Goldstone est un ancien juge de la Cour constitutionnelle d’Afrique du Sud qui a également travaillé comme procureur en chef au Tribunal pénal pour le Rwanda et l’ex-Yougoslavie. En outre, la fille de Goldstone a décrit son père comme un sioniste qui aime Israël.

« Sans une forme de vérité exprimée, il ne peut y avoir de paix durable, a-t-il dit. « Dire la vérité et reconnaître les victimes peut être d’une grande aide pour la paix ».

On comprend facilement les tentatives de Netanyahou pour discréditer le rapport Goldstone, mais qu’en est-il de la décision d’Abbas et de l’AP de collaborer avec lui ? Il y a plusieurs éléments qui peuvent l’expliquer.

Tout d’abord, derrière la confrontation diplomatique habituelle, Israël a menacé l’AP de rompre son engagement à assigner des fréquences radio à la compagnie start-up de téléphonie mobile Watanya, qui devait commencer ses opérations le 15 octobre en Cisjordanie, pour tenter de concurrencer le monopole actuel de la téléphonie mobile détenu par PalTel.

Si l‘accord Watanya échouait, cela coûterait des centaines de millions de dollars de pénalités à l’AP ainsi que la création de 2.500 emplois. En outre, Watanya est un partenariat entre investisseurs qataris et koweitiens et le Fonds d’investissement palestinien, dans lequel est impliqué le fils de Mahmoud Abbas.

« Monnayer des droits palestiniens et le devoir fondamental de protéger les Palestiniens sous occupation contre des bénéfices personnels, c’est la définition même de la collaboration et de la trahison » a écrit Omar Barghouti, un dirigeant cisjordanien du mouvement palestinien pour le boycott, le désinvestissement et les sanctions contre Israël.

En deuxième lieu, selon de nouvelles informations, des responsables israéliens auraient menacé les dirigeants de l’AP que des enregistrements audio et vidéo préjudiciables réalisés pendant l’offensive sur Gaza - dans lesquels de hauts responsables de l’AP pressaient Israël d’amplifier l’attaque contre Gaza en guise de revanche contre leurs rivaux du Hamas - seraient transmis aux médias.

De telles allégations font vibrer la corde sensible chez de nombreux Palestiniens, furieux du silence assourdissant de l’AP pendant que se déroulait le massacre de Gaza. Depuis que le Hamas a remporté les élections au Conseil législatif palestinien en janvier 2006, les USA, Israël et l’AP ont fait cause commune pour tenter d’isoler le gouvernement du Hamas.

Troisièmement, la collaboration d’Abbas avec les Etats-Unis et Israël fait culminer des années de stratégie visant à faire confiance aux négociations plutôt qu’à la résistance pour l’obtention de droits nationaux palestiniens.

La direction de l’AP a donc participé à la comédie selon laquelle les Etats-Unis veulent agir en « honnêtes courtiers » d’une paix juste entre Israël et les Palestiniens - même si les USA donnent chaque année des milliards de dollars d’aide militaire et économique à Israël et l’aide à gérer les interventions diplomatiques chaque fois que les violations israéliennes du droit international risquent de causer l’un ou l’autre problème à Israël.

Cela se poursuit sous l’administration Obama. Ainsi par exemple, Susan Rice, l’ambassadrice d’Obama à l’ONU, a critiqué les recommandations du rapport Goldstone que les Israéliens et les Palestiniens soupçonnés de crimes de guerre soient traduits devant la Cour pénale internationale. « Notre opinion est que nous devons nous concentrer sur l’avenir » a-t-elle argumenté, se disant irritée parce que des inculpations pour crimes de guerre pourraient constituer des obstacles au « processus de paix ».

Mais peu de mois auparavant, lors d’un débat sur le Darfour à l’ONU, Rice argumentait en disant que les accusations de crimes de guerre ne devaient jamais être sacrifiées à des raisons politiques.

Entre-temps, l’AP a soldé de plus en plus de droits nationaux palestiniens - sans rien obtenir en échange.

Le refus de l’AP d’affronter l’échec de sa stratégie provoque des appels de plus en plus nombreux à dissoudre l’AP et le faux-semblant que les Palestiniens ont quelque chose qui ressemble à un Etat et un gouvernement, en faveur d’un retour à la stratégie de mener une lutte de libération.

Comme l’écrit Osamah Khalil, [doctorant en histoire des USA et du Moyen-Orient à l’Université de Californie, Berkeley - ndlt] qui contribue souvent à Electronic Intifada :

... « Les mêmes partisans du gouvernement Abbas qui ne se sont jamais lassés de saluer la moindre déclaration banale de Bush et de l’ex-Secrétaire d’Etat Condoleezza Rice, quelque destructrices que soient leurs politiques pour les droits et les aspirations des Palestiniens, cherchent maintenant à défendre les maigres efforts de l’administration Obama. Une fois encore, on raconte aux Palestiniens qu’un autre président états-unien va à présent porter « attention » à leur situation et se « concentrer » sur le « processus de paix ».

... Nous avons déjà entendu tout ça, et à moins que les Palestiniens ne récupèrent leur mouvement national, nous ne cesserons pas de l’entendre. Les Palestiniens et ceux qui sympathisent avec leur cause doivent reconnaître qu’Abbas et sa clique abandonneront tout avantage et saborderont toute initiative qui menace la position, les privilèges et la richesse que ceux-ci ont accumulés en étant au pouvoir. L’AP ne se dissoudra pas, mais elle perturbera et entravera tout progrès et tout effort qui menace d’être un réel défi à l’occupation et au système israélien d’apartheid dont ils sont une composante essentielle et les bénéficiaires directs.

... Peu importe le succès que les activistes du monde entier remporteront contre l’apartheid et l’occupation israéliennes, l’AP sabordera ces gains. Les histoires de corruption, de pots-de-vin et d’incompétence aux plus hauts niveaux de l’AP ne sont ni nouvelles ni choquantes. Ce qui l’est, par contre, c’est que les Palestiniens permettent à cette situation de perdurer. En conséquence de quoi, le gouvernement Abbas est devenu plus ouvertement ostentatoire dans sa collaboration avec l’occupant, un fait pleinement réalisé [dans sa décision de saborder le rapport Goldstone] ».

Comme la crise de crédibilité touchant l’AP s’amplifie, le Hamas lui aussi a été forcé d’affronter les limites de sa stratégie. Le Hamas a demandé à l’Egypte de postposer une conférence prévue ce mois-ci et visant à créer un semblant d’unité entre Hamas et AP.

Le Hamas a cherché à se parer des atours du gouvernement et à gagner un siège à la table de négociation en tant que partenaire égal. Mais il serait politiquement suicidaire de poursuivre cette approche, alors que de plus en plus de Palestiniens appellent à la dissolution de l’AP.

Comme l’écrit l’auteur et militant palestinien Ali Abunimah :

« Le Hamas aujourd’hui ne peut pas suivre deux voies en même temps : il ne peut pas parler « d’unité » et de « réconciliation » avec des gens qu’ils considère - avec de nombreux Palestiniens - comme des « traîtres ». Rechercher l’unité avec de tels individus reviendrait à dire que le Hamas souhaite rejoindre un gouvernement de traîtres ».

L’effondrement politique en cours offre une nouvelle occasion à tous les Palestiniens, y compris au Hamas : construire un mouvement de résistance à large base, avec une légitimité internationale, qui mobilise toute la société palestinienne comme l’avait fait la première Intifada, et se reconnecter avec les Palestiniens d’Israël qui sont confrontés à une menace existentielle à cause du racisme croissant des Israéliens. Ce mouvement doit travailler à améliorer la campagne de solidarité globale pour mettre le maximum de pression sur Israël - et ses collaborateurs - afin de mettre fin à la répression, au racisme et à la violence et de hâter l’émancipation de tout le peuple palestinien.

22 octobre 2009 - SocialistWorker.org - Vous pouvez consulter cet article ici :
http://socialistworker.org/2009/10/...
Traduction de l’anglais : Marie Meert