jeudi 17 septembre 2009

Israël bloque l’argent destiné aux handicapés de Gaza

Gaza - 17-09-2009
Par Jonathan Cook
Jonathan Cook est écrivain et journaliste, installé à Nazareth, Israël. Ses derniers ouvrages sont : “Israel and the Clash of Civilisations: Iraq, Iran and the Plan to Remake the Middle East” (Pluto Press) et “Disappearing Palestine: Israel's Experiments in Human Despair” (Zed Books). Son site web : http://www.jkcook.net/ Cet article a été publié initialement dans The National(Abu Dhabi) le 10 septembre 2009.
Yunis al-Masri a eu plus de chance que ses deux frères de Gaza. Bien que le camion qui a percuté leur voiture alors qu’ils allaient travailler en Israël il y a 24 ans ait tué Jaber et Kamal sur le coup, M. al-Masri a survécu malgré de multiples fractures, une hémorragie interne et des lésions cérébrales.
Aujourd’hui, à 49 ans et après de nombreuses opérations, il marche avec difficulté et a du mal à se souvenir de ce qu’il doit faire. Tout espoir de travailler est resté en 1985 dans les débris de la voiture.


Comme des dizaines de milliers d’autres manœuvres palestiniens qui travaillaient en Israël avant que Gaza ait été progressivement fermée au monde extérieur au début des années 1990, M. al-Masri a régulièrement versé des cotisations salariales au fonds de sécurité sociale d’Israël.

Reconnu comme handicapé par un comité médical israélien, il a droit à une allocation mensuelle de 800$ de l’Institut National de l’Assurance d’Israël, avec laquelle il doit faire vivre sa femme et dix enfants, dans leur maison de Beit Hanoun, au nord de Gaza.

Début janvier, cependant, les versements de son allocation-handicapé ont cessé d’arriver sur son compte bancaire à Gaza. Environ 700 autres ouvriers blessés sont dans la même situation.

La raison, ont-ils appris, en est que pendant que l’armée israélienne se déchaînait à travers la Bande de Gaza pendant son attaque hivernale, la Banque d’Israël a rompu toute relation avec les banques de Gaza.

La fin des relations financières entre Israël et Gaza, qui aggravent les trois années de blocus de l’enclave dirigée par le Hamas, signifie que M. al-Masri et les autres ouvriers handicapés sont sans ressources depuis neuf mois.

M. al-Masri dit qu’il a dû s’endetter lourdement pour continuer à nourrir sa famille, et il ajoute que toute la famille dépend maintenant de sa fille, Noura, 26 ans. Pendant le Ramadan, elle a commencé un travail de secrétaire à temps partiel, qui rapporte 100$ par mois, mais c’est un boulot loin d’être sûr. «Combien de temps cet argent pourra-t-il nourrir et soutenir une famille de 12 personnes ? » dit-il.

Noura ajoute : « Lorsque l’allocation a cessé d’arriver, nous avons appelé l’Institut National de l’Assurance et on nous a dit que c’était une décision politique, et que lorsque Gilad Shalit serait rendu, nous aurions notre argent. » Le sergent Shalit, soldat israélien, a été capturé par le Hamas en juin 2006. On pense qu’il est détenu à Gaza.

Hasna, la belle-soeur d’al-Masri, qui a perdu son mari Jaber dans l’accident de voiture, dit qu’aucun de ses quatre enfants ne gagne d’argent et que la famille est sans revenus. Elle a dit récemment à son fils aîné, qui fait des études en Roumanie, qu’il n’y avait plus d’argent pour payer ses cours.

« Nous serions heureux d’aller au checkpoint d’Erez pour récupérer le chèque en personne, si c’est ce qu’il fallait faire, » dit M. al-Masri.

Le Centre al-Mezan pour les droits de l’homme, basé à Gaza, et Adalah, un groupe juridique israélien, s’occupent des dossiers des ouvriers et ont déposé une requête contre la décision du gouvernement auprès de la Cour suprême la semaine dernière.

Mahmoud abu Rahma, porte-parole d’al-Mezan, dit que les 700 ouvriers blessés faisaient partie d’une importante population active d’au moins 80.000 Gazaouis qui travaillaient régulièrement en Israël pendant les années 1970 et 1980. Leur nombre n’a commencé à décroître qu’au début des années 1990, lorsqu’Israël a lancé sa politique de bouclage et a construit la barrière électronique qui encercle Gaza. Les accords d’Oslo, dans les années 1990, qui portaient l’espoir d’une autonomie palestinienne, ont réduit davantage les possibilités de travail lorsqu’Israël a mis en place sa politique de séparation.

Une grande partie du travail manuel, réalisée jadis par les Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie, l’est maintenant par 300.000 travailleurs immigrés, venant principalement des Philippines, de Thaïlande, de Chine et d’Europe de l’Est.

M. Abu Rahma dit que les travailleurs handicapés, par la perte de toute chance de travailler, souffrent maintenant l’indignité de ne pas être en mesure de subvenir aux besoins de leurs familles.

« Israël a le contrôle absolu non seulement des frontières physiques de Gaza, mais aussi de notre système monétaire, » dit-il. « Nous dépendons du shekel, la monnaie israélienne, et les banques d’Israël peuvent ouvrir et fermer les flux d’argent comme elles veulent. »

Le blocus israélien de Gaza a été progressivement resserré depuis que le Hamas a remporté les élections de l’Autorité Palestinienne début 2006. Suite à la mise en déroute par le mouvement islamique d’une tentative de coup d’Etat du groupe rival Fatah à l’été 2007, Israël a déclaré Gaza « entité ennemie » et a commencé à couper les livraisons de fuel et d’électricité. Aujourd’hui, seuls les produits les plus essentiels entrent.

Les deux seules banques israéliennes qui traitent avec Gaza, Hapoalim et Discount, ont reçu l’accord de la Banque d’Israël pour couper leurs liens pendant l’attaque contre Gaza. La Banque centrale s’était auparavant opposée à cette mesure, craignant qu’elle n’entraîne l’effondrement de l’économie de Gaza.

Cette semaine, un rapport de la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement note que 90% de la population de Gaza vit en dessous du seuil de pauvreté, les offres d’emploi étant presque entièrement cantonnées à l’administration gouvernementale et publique et à quelques petites industries de service.

M. Abu Rahma dit que les ouvriers handicapés font partie des plus pauvres et des plus vulnérables des 1,5 million de Gazaouis, et beaucoup sont en danger de famine si les paiements ne reprennent pas rapidement. « Ils n’ont aucune autre source de revenus et doivent vraiment se battre, sans leurs prestations. »

En 1998, Fadil Qomsan est tombé du septième étage d’un immeuble en construction à Ashdod, 25km au nord de Gaza, se brisant le dos.

Pendant les deux semaines d’hospitalisation à Tel Aviv, dit-il, le propriétaire de l’immeuble est venu le voir à l’hôpital pour lui dire que la société de construction rejetait toute responsabilité. « Il m’a dit que j’étais tombé parce que je prenais des drogues. La police a fait plusieurs analyses sanguines pendant mon séjour, mais elles étaient toutes négatives. J’ai fini par obtenir l’allocation d’invalidité. »

M. Qomsan, 46 ans, du camp de Jabaliya, qui a besoin d’un corset pour marcher, a un taux d’invalidité de 81%. Il touchait 450$ pour faire vivre sa femme et leurs trois enfants, dont le plus jeune a sept ans. « Notre situation financière était déjà désespérée lorsque nous touchions les chèques, mais maintenant, nous sommes au-delà de la misère. »

Il dit que la famille a été obligée d’avoir recours à la charité de parents et d’amis pour survivre.

Taysir al-Basoos est aveugle depuis qu’il a 16 ans, lorsqu’un clou tiré d’une cloueuse électrique sur un chantier d’Ashkelon, à 10km au nord de Gaza, s’est fiché dans sa poitrine, a coupé le circuit sanguin vers le cerveau et l’a rendu aveugle.

M. al-Basoos, 47 ans, dit que sa femme et leurs six enfants, dont le plus jeune a cinq ans, dépendent entièrement de son allocation d’invalidité mensuelle.

« Des ouvriers comme moi ont aidé à construire l’Etat d’Israël ; nous n’avons pas mis le Hamas au pouvoir, » dit-il. « Je n’ai aucune activité politique, alors pourquoi suis-je puni ? Notre affaire est de nature humanitaire. »

Sawsan Zaher, avocate d’Adalah, dit que six affaires représentatives des ouvriers handicapés de Gaza qui se sont vus refuser les indemnités ont été présentées à la Cour suprême d’Israël. Elles comprennent des ouvriers du bâtiment qui sont tombés, un jardinier d’un conseil local qui a été écrasé par la chute d’une grue et un laveur de voiture qui a perdu deux doigts.

Mme Zaher dit qu’Adalah a commencé par prendre contact avec l’Institut National de l’Assurance, la Banque d’Israël et plusieurs ministères en avril, lorsque le changement de politique est devenu évident, mais qu’ils se sont tous dérobés à leurs responsabilités.

« L’Institut national de l’Assurance nous a dit qu’il essayait de négocier une solution avec l’Autorité Palestinienne, peut-être par le transfert des fonds par la Cisjordanie (dirigée par le Fatah), mais ça n’a mené nulle part. »

Adalah affirme que la décision de bloquer les paiements à Gaza viole le droit israélien. « L’argent est la propriété des ouvriers handicapés et cette décision les prive injustement de leur bien, » dit Mme Zaher.

Adalah affirme également que la décision, parce qu’elle n’affecte que les droits à l’aide sociale des ouvriers palestiniens et pas ceux des Israéliens, est du racisme.

M. Abu Raham dit qu’une autre inquiétude existe, celle que certains des ouvriers ne puissent acheter les médicaments essentiels nécessaires à leur traitement.

Sharif Qarmout, 58 ans, du camp de Jabaliya, est paraplégique depuis 1979 lorsqu’il est tombé du sixième étage d’un immeuble en construction à Rishon Letzion, près de Tel Aviv. La perte de son indemnité mensuelle de 1.150$ a plongé sa famille dans d’énormes difficultés car elle se bat non seulement pour acheter la nourriture, mais aussi pour payer la facture mensuelle de 350$ pour les quinze médicaments dont il a besoin pour contrôler son incontinence, améliorer la circulation sanguine de ses jambes et prévenir la dépression.

« Il y a un an et demi, Israël a arrêté de donner à ma femme l’autorisation d’aller chercher les médicaments à l’hôpital, » dit M. Qarmout, qui est en chaise électrique. « J’ai été obligé depuis de les acheter moi-même à Gaza, mais aujourd’hui, je n’ai plus d’argent. Je suis allé dans diverses pharmacies, en payant à crédit, mais je ne peux pas continuer. J’ai commencé à réduire les doses pour que les médicaments durent plus longtemps. »

M. Qarmout dit que ses trois enfants adultes vivent dans sa maison pour pouvoir s’occuper de lui, car sa femme est la plupart du temps alitée, avec de graves problèmes de dos, après avoir passé 30 ans à le lever.

« Personne ne prend la responsabilité de gens comme moi – ni le Hamas, ni Israël. »

Marie Badarne, de la Voix des Travailleurs, un groupe de droit des travailleurs basé à Nazareth, dit que les abus du gouvernement israélien envers les ouvriers handicapés fait écho à un problème bien plus large que rencontrent les Gazaouis qui ont, jusqu’à récemment, travaillé en Israël.

Elle dit que les contrats de milliers d’ouvriers de Gaza en Israël ont été résiliés sans préavis par les employeurs au printemps 2004, peu de temps après que le gouvernement d’Ariel Sharon ait annoncé qu’il se « désengagerait » de l’enclave à l’été 2005.

La plupart d’entre eux travaillaient dans le bâtiment, des garages, des usines textiles, des ateliers de menuiserie ou étaient ouvriers agricoles en d’Israël, ou dans une poignée de colonies juives à Gaza, qui ont été démantelées en août 2005.

« En une nuit, plus de 20.000 travailleurs se sont vus retirer leurs permis de travail et ont perdu leur gagne-pain, » dit-elle. « Ils ont cotisé au système de sécurité sociale, certains pendant des décennies, mais ils ont été privés de leurs droits juridiques, comme les indemnités de licenciement, les heures supplémentaires et les indemnités de congés. »

La Voix des Travailleurs dit que ses investigations ont montré également que la plupart des employeurs israéliens avait payé les ouvriers de Gaza en dessous du salaire minimum.

Selon ses calculs, il est dû à chacun des travailleurs de Gaza mis à pied entre 12.000 et 50.000$, ce qui veut dire que les employeurs israéliens ont «escroqué la population active de dizaines, sinon de centaines, de millions de dollars, » dit Mme Badarne.

En juillet, le groupe de Nazareth a présenté les réclamations de plus de 40 travailleurs au tribunal du travail de Beersheba, qui a accepté de s’en occuper. Tous ces travailleurs étaient employés par une usine de meubles, la plupart comme menuisiers, dans la zone industrielle d’Erez, à côté de la Bande de Gaza.

Mme Badarne dit que la société n’a pas nié devoir de l’argent aux ouvriers, mais a justifié sa position par le fait que Gaza avait été déclarée « entité ennemie ».

« Leurs avocats ont dit que parce que Gaza était une entité ennemie, les habitants devaient être traités comme une population hostile, » dit-elle. « Ils ont dit au juge qu’Israël ne devait pas ouvrir sa porte à des terroristes et que mettre fin au blocus économique travaillerait contre les intérêts de l’Etat israélien. »

« Pour essayer de renforcer leur argument que la demande des ouvriers devaient être rejetée, les avocats ont même envoyé au tribunal une copie de la charte du Hamas et une analyse de ce qu’elle signifie. »

Elle a ajouté qu’en dépit du fait que les employeurs israéliens aient déduit les cotisations sociales des salaires des Gazaouis, les travailleurs ne peuvent plus bénéficier des prestations auxquelles ils ont droit.

« Si par exemple ils sont malades, ils devraient avoir le droit d’aller dans les hôpitaux israéliens puisqu’ils ont payé l’assurance-maladie, mais bien sûr cette obligation n’est plus honorée. Dans certains cas, étant donné la détérioration des soins de santé à Gaza à cause du blocus, ce droit peut faire la différence entre la vie et la mort. »

Ronit Gedultir, porte-parole de l’Institut national de l’Assurance d’Israël, dit que les responsables cherchent une solution pour les familles des ouvriers handicapés touchées par la décision de la banque.

« C’est une question très délicate et nous ne la négligeons pas, » dit-elle. «L’argent attend ici les familles, mais jusqu’à présent, nous n’avons pas trouvé le moyen de le leur remettre. »

Israël cherche également le moyen de mettre fin au droit des civils palestiniens de demander réparation des préjudices subis aux mains de l’armée israélienne.

Une loi exemptant l’Etat des plaintes juridiques portées par les Palestiniens pour dommages corporels ou matériels infligés par l’armée pendant la deuxième intifada a été adoptée à l’été 2005, mais elle a été cassée un an plus tard par la Cour suprême.

Hassan Jabareen, directeur d’Adalah, a déclaré que la loi avait été modifiée récemment pour essayer de contourner la Cour et qu'elle devait être à nouveau présentée au Parlement ce mois-ci.
Source : IMEMC
Traduction : MR pour ISM