mercredi 9 septembre 2009

De grandes attentes

mardi 8 septembre 2009 - 06h:55

Ezzat Ibrahim - Al Ahram Weekly


Mais sont-elles justifiées en ce qui concerne le Moyen-Orient ? A Washington, Ezzat Ibrahim analyse les réponses à la visite de Moubarak.

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Mubarak, inamovible symbole d’un système autocratique et corrompu, est un triste faire-valoir pour Obama et sa prétendue "nouvelle politique proche-orientale".

Suite à l’élection de Barack Obama, Francis Fukuyama avait publié un article dans American Interest où il écrivait que le nouveau président pourrait bien « articuler les larges idées qui vont définir un âge nouveau, idées qui vont devenir les points de référence consensuels au cours des prochaines années ».

« L’administration Clinton n’a jamais fait rien de tel » poursuit Fukuyama, « acceptant plutôt la plupart des idées centrales du reaganisme et déplaçant simplement la politique un peu à gauche ». Il prédit que « dans cinquante ans plus personne ne se réfèrera à l’ère Clinton, mais quon parlera sans doute de l’ère Obama remplaçant l’ère Reagan si le nouveau président peut formuler une définition claire de ce que défendent les Etats-Unis pour sa politique intérieure et étrangère ».

Des idées récentes venues de Washington sur le remodelage du Moyen-Orient seront centrales pour le grandiose paradigme qui fixe l’agenda de tant de choses futures. Sur le plan intérieur, on peut dire que l’ère Obama a démarré sur la confrontation avec l’assurance-santé, tandis que le Moyen-Orient semble devoir devenir le test décisif pour la nouvelle architecture globale de l’Amérique. Inutile de dire que les deux questions sont hautement problématiques.

Les stratèges d’Obama partent du principe que travailler avec des partenaires est une source de puissance, non un signe de faiblesse. Anne-Marie Slaughter, directrice de la Planification politique pour le Département d’Etat, l’indiquait tout autant dans un récent article. Elle écrivait que « au vingt-et-unième siècle, la capacité exceptionnelle des Etats-Unis à se connecter plutôt qu’à se tenir dans un splendide isolement ou une domination hégémonique, rénovera sa puissance et restaurera son objectif global ».

Avant la dernière visite du Président Moubarak à Washington, Susan Rice, ambassadeur des Etats-Unis auprès de l’ONU, prononça un discours à l’Université de New York intitulé « Une nouvelle ligne de conduite dans le monde, une nouvelle approche à l’ONU », dans lequel elle élaborait ce que certains analystes décrivent comme la Doctrine Obama.

« Dans le monde d’aujourd’hui, plus que jamais, » disait Rice « Les intérêts de l’Amérique et nos valeurs convergent. Ce qui est bon pour les autres est souvent bon pour nous. Quand nous manifestons notre engagement à nous attaquer aux menaces qui attendent tant d’autres nations ; quand nous investissons dans la protection de la vie des autres ; et quand nous reconnaissons que la sécurité nationale n’est plus un jeu à somme nulle, alors nous augmentons la volonté d’autres pays de coopérer sur les questions qui nous sont les plus vitales ».

Dans le cas de la relation américano-égyptienne, le sommet de Washington entre le Président Hosni Moubarak et Barack Obama le 18 août dernier a servi à réassurer les deux gouvernements sur le fait qu’ils sont toujours étroitement liés par d’importants intérêts mutuels et qu’ils peuvent facilement travailler en partenariat. Certains analystes américains, du moins jusqu’au récent rapprochement, avaient décrit la relation comme un arrangement utilitaire et contractuel. Ils la comparaient à un long mariage qui aurait viré à l’aigre et n’aurait pas réussi à produire d’enfants, mais où le divorce n’était pas envisageable. Bien sûr, la partie fonctionnant le mieux dans la relation, en particulier du point de vue états-unien, est la coopération militaire.

La première réaction à la visite de Moubarak de la part d’acteurs de think tanks américains vint de Steven Cook, spécialiste du Moyen-Orient au Council on Foreign Relations. Il a évalué les résultats de la rencontre à la Maison Blanche entre Moubarak et Obama en trois points principaux : premièrement, Obama n’a pas réussi à obtenir « de la part de Moubarak, un engagement à faire un geste envers Israël » ; deuxièmement, les Egyptiens ont informé le président US sur les questions régionales mais n’ont pas même évoqué leurs propres préoccupations majeures, notamment la piraterie en Mer Rouge, et n’ont pas spécifié les mesures que Le Caire serait disposé à prendre bien que, dans son troisième point, Steven Cook insiste sur le fait que « ce fut une bonne chose que le Président Obama et son Secrétaire d’Etat évoquent la question de la réforme même s’ils ont l’intention de traiter la relation de manière plus large que leurs prédécesseurs ».

Dans un échange publié sur le site web de Harvard consacré au Moyen-Orient, Michele Dunne, auteur d’un article cinglant le jour même de la rencontre Moubarak/Obama, convenait avec Steven Cook qu’Obama n’avait pas reçu suffisamment de soutien à plus de normalisation entre les Etats arabes et Israël, mais sans être d’accord avec lui sur la question de la démocratie. Elle concluait que « lorsqu’il s’agit de démocratie au Moyen-Orient, peut-être le Président Bush et son équipe peuvent-ils être accusés d’avoir eu trop d’imagination sur un possible changement, ou d’avoir trop espéré pour un futur trop proche. Mais en ce qui concerne la question de la démocratie, l’équipe Obama n’a pas fait preuve de la moindre imagination ».

Tamara C Wittes du Brookings Institute a porté la discussion ailleurs en déclarant : “la visite de Moubarak n’a pas été très substantielle, mais je pense que Steven conclut trop rapidement que Moubarak est venu à la Maison Blanche pour démontrer qu’il est de retour et que les relations bilatérales sont en bonne voie, sans rendre la pareille à son hôte ».

Wittes précisait : « Les premières phrases de la bouche de Moubarak [à la conférence de presse] rendaient explicitement la politesse. Il a dit que le discours d’Obama au Caire a levé tous les doutes à propos des relations entre les Etats-Unis et le monde musulman ... le monde islamique avait cru que les USA étaient contre l’islam, mais son grand et fantastique discours là-bas a levé tous ces doutes ».

Par ailleurs, au cours de la conférence de presse avec Moubarak, Obama n’a pas mentionné une seule fois sa phrase d’accroche favorite : « let me be clear ». Selon le réseau Politico, le président US se sert régulièrement de cette phrase quand il parle de politique étrangère pour « revendiquer une politique, pour prendre et attribuer des responsabilités, et pour mettre en garde contre de fausses interprétations diplomatiques de faiblesse, parfois pour amasser de multiples déclarations très claires sur le temps nécessaire pour parvenir à un résultat complexe et très spécifique ».

Lors de la rencontre avec Moubarak, l’avancement réel d’un plan de paix US n’était pas clair. Le chroniqueur du Washington Post Jackson Diehl a dépeint un sombre tableau à cet égard : “Obama, écrit-il, ne va pas offrir un modèle spécifiquement américain pour un accord de paix - comme un certain nombre de gouvernements arabes l’ont pressé de le faire - il va probablement détailler une vision pour le moins partiale du règlement biétatique que l’on soutient maintenant de tous côtés, et la direction que devraient prendre les négociations. Plus significativement, il a l’intention d’établir un calendrier ambitieux pour compléter l’accord de paix - ce qui plaira aux arabes mais pourrait irriter Israël ».

Diehl, longtemps critique vis à vis des gouvernements moyen-orientaux, s’attendait qu’Obama soit confronté à des temps difficiles au cours des semaines à venir étant donné sa bataille au Congrès pour imposer sa réforme de l’assurance-maladie, l’escalade des affrontements en Afghanistan, la situation en Irak et une confrontation menaçante avec l’Iran. Avec un ordre du jour aussi chargé, Diehl se demande ironiquement pourquoi « à ses moments perdus Obama ne s’attacherait pas à résoudre le conflit israélo-palestinien, un problème censé intraitable et qui a vu échouer 11 administrations US passées ? On dirait que ce président-qui-allait-tout-faire ne s’essaiera qu’à cela ».

Le Caire a longtemps mis en garde les administrations américaines contre une vision partiale de la paix au Moyen-Orient. Néanmoins il semble qu’un réel modèle requiert toujours un « coup d’état » dans la politique étrangère US. Les observateurs états-uniens attendent toujours les signes de ces « larges idées qui vont définir un âge nouveau » prédit par Fukuyama quelques heures après la prestation de serment d’Obama.

Le conflit israélo-palestinien demeure la question centrale dans la relation entre l’Occident d’une part et les arabes et les musulmans d’autre part. Les pays arabes ne seront pas disposés à accepter un petit pas dans cette marche terriblement longue vers la solution de deux états, et ils ne normaliseront pas les relations avec Israël avant des négociations sur le statut final. En outre, l’Autorité palestinienne veut un gel complet des colonisations avant des pourparlers. Mais le gouvernement israélien n’est pas prêt à geler les implantations et il est divisé sur l’étendue des futures négociations.

Certains membres du gouvernement israélien veulent des négociations visant un Etat palestinien provisoire avec des frontières temporaires. Entre temps, le Ministre israélien des Affaires étrangères Avigdor Lieberman continue d’accueillir avec mépris toute proposition possible des USA. « Bien que nous donnions tout » a-t-il dit la semaine dernière, « nous avons été incapables de conclure la paix 16 ans après les accords d’Oslo. Je suis prêt à parier qu’il n’y aura pas non plus de paix d’ici 16 ans, certainement pas une paix basée sur la solution biétatique ».

27 août 2009 - Al-Ahram Weekly - Vous pouvez consulter cet article ici :
http://weekly.ahram.org.eg/2009/962...
Traduction de l’anglais : Marie Meert