mercredi 8 juillet 2009

Gros plan sur Amna Abdel Jabbar Mafarja

publié le mardi 7 juillet 2009

CSI
« Grâce aux quotas, la participation des femmes et leur efficacité est maintenant visible »

Membre du Bureau exécutif du PGFTU [1] et Présidente du syndicat de l’agriculture et de l’industrie alimentaire (EN :agriculture & food industry), Amna Abdel Jabbar Mafarja expose la double lutte des femmes palestiniennes : contre la colonisation israélienne et contre le fondamentalisme. Elle souligne les avancées à l’intérieur du mouvement syndical et les obstacles encore à surmonter pour assurer l’égalité.

Moins de 15% de femmes sur le marché du travail palestinien, ce n’est pas beaucoup…

En effet, c’est un taux qui est médiocre pour différentes raisons. L’occupation affecte évidemment beaucoup les femmes palestiniennes, notamment en terme d’impact sur la participation des femmes au marché du travail. Par manque d’investissements du fait de la situation politique d’occupation, cette participation est très faible. A cause des check points, il est très difficile pour les femmes de se déplacer, surtout dans les villages. Beaucoup de terres ont été confisquées par les colonies. Le mur est aussi un obstacle majeur.

Le manque d’application de la législation du travail, surtout en matière de protection sociale, empêche aussi les femmes d’être plus présentes sur le marché du travail. Les inégalités en termes de rémunération et de promotion sont aussi un frein. Ce sont dans les secteurs où les femmes sont majoritaires, comme l’agriculture et les services, que les salaires sont les plus faibles. Et dans le secteur privé, à travail égal, les femmes ne reçoivent que 60% du salaire octroyé aux hommes.

Les traditions sociétales sont un obstacle supplémentaire, notamment la charge des responsabilités familiales. Des discriminations subsistent sur le plan légal [2]. L’évolution est très lente. Mais on remarque que les femmes acquièrent toutefois plus de confiance en elles. Les femmes ont notamment progressé dans la sphère politique. En 2004, 17% des sièges au niveau local ont été remportés par des femmes. En 2006, la représentation des femmes au parlement a atteint 12,9%.

Quelles leçons tirez-vous de l’instauration d’un quota de 20% de femmes à l’intérieur des structures du PGFTU ?

En 1975, la participation syndicale des femmes n’était que de 0,2%. En 1985, de 5%, en 1995, de 13% avec la mise en place de l’Autorité palestinienne qui a donné une poussée positive pour les femmes à l’intérieur des syndicats. Notre objectif, aujourd’hui, est de parvenir à augmenter le taux de participation des femmes dans les syndicats de 15 à 25%.

Le Congrès du PGFTU de 2004 a instauré le principe des quotas réservés aux femmes dans les structures de décision, ainsi que celui de la représentativité proportionnelle. Au départ, une large majorité était contre ces quotas en faveur des femmes. Alors qu’au départ on voulait 30%, après de très longs débats, on est parvenues à obtenir 20% comme première étape. C’est une expérience avant-gardiste, un changement important dont on est très fières. On ne peut plus nous ignorer, nous marginaliser. La participation des femmes et leur efficacité est maintenant visible. On a réalisé de grands efforts en matière d’éducation des femmes syndicalistes qui donnent des premiers résultats en matière de présence de femmes aux postes décisionnels. Dans certains secteurs, on les suppliait de se présenter. Elles répondaient que c’était impossible, qu’il y avait une conspiration contre elles qui ferait barrage. Elles n’avaient pas confiance en leurs chances de réussite. Le quota a aidé à les pousser à se porter candidates et a renforcé leurs chances de réussite. C’est un facteur incitatif important. Ces 20% doivent être élues par des femmes et des hommes, c’est une approche démocratique. On voudrait maintenant renforcer le nombre d’affiliations de femmes plutôt que d’augmenter les quotas, pour renforcer l’élection directe de femmes.

Cette expérience peut-elle avoir un impact sur d’autres syndicats de la région ?

Dans le cadre du Forum Syndical Euromed par exemple, on discute sur base de notre expérience au PGFTU avec nos sœurs du Maroc, de Tunisie, ou d’Algérie cette question des quotas qui ne fait pas l’unanimité parmi les femmes de la région.

Quelles sont les difficultés à surmonter pour améliorer la représentativité syndicale des femmes ?

Un des obstacles tient au manque d’engagement des femmes dans le travail syndical, à cause notamment du manque de temps liés aux responsabilités familiales. Il faut poursuivre le travail d’éducation pour changer les mentalités sociales et combattre l’attitude paternaliste de certains leaders qui cherchent encore à limiter l’espace des femmes. Récemment, une femme est venue en réunion syndicale aves son bébé, il faut adapter les habitudes des syndicats aux réalités que vivent les femmes. Il faut aussi travailler à mieux protéger les droits syndicaux pour favoriser la participation syndicale des femmes sans que plane la crainte de perdre son emploi. La société reste patriarcale avec des attitudes machistes qui voient d’un mauvais œil que des femmes accèdent en haut de la pyramide. On a fait face à des menaces, des dénonciations publiques. Les femmes palestiniennes ont déjà fait face à la colonisation et continuent à le faire. Elles ont aussi la force de faire face au mouvement fondamentaliste. Le syndicat, c’est un engagement progressiste. Si nous avons trouvé le courage de faire face à la colonisation, nous sommes tout aussi déterminées à lutter contre le fondamentalisme.

Des femmes syndicalistes ont gagné des mandats aux élections locales, notamment à Jenine et à Naplouse. Nous avons aussi été impliquées dans l’élaboration de la stratégie du ministère de la Femme. Après avoir écouté les revendications de leurs membres, les femmes du PGFTU sont aussi bien impliquées dans la rédaction du projet de charte pour les femmes qui est discuté à différents niveaux et couvre différents domaines, notamment l’emploi, la nationalité, la loi sur la famille, le code judiciaire etc.

Comment attirer plus de jeunes ?

On a mis sur pied un réseau entre le département des jeunes et celui des femmes, qui se renforcent ainsi mutuellement. On est dans la phase de l’élargissement de ce réseau sur le plan local. Je suis optimiste, on a beaucoup de jeunes femmes de grande qualité dans ce réseau. C’est pourquoi on met notamment l’accent sur les jeunes femmes dans l’agriculture, pour mieux les atteindre et les intégrer.

En tant que présidente du syndicat de l’agriculture et de l’industrie alimentaire, quelle politique spécifique développez-vous pour organiser l’informel ?

Pour l’informel, on centre nos efforts sur l’agriculture où beaucoup de femmes effectuent un travail informel non reconnu. On a augmenté le mouvement coopératif de femmes dans ce secteur et encouragé aussi l’exposition de leurs produits à la vente sur des petits marchés, notamment pour la production artisanale de fromages, olives etc. Récemment, on a ouvert cinq centres pour femmes illettrées, afin de les alphabétiser en premier lieu, puis ensuite lui fournir une éducation syndicale. On couvre les régions de Jenine, Naplouse, Ramallah. Maintenant, il y a des familles bédouines qui veulent inscrire leurs filles.

Quelle est la stratégie du PGFTU pour lutter contre la violence contre les femmes ?

Attisée par la forte pauvreté et le chômage, les femmes font face à la violence sur le marché du travail. Mais ces femmes ne parlent pas du harcèlement dont elles sont victimes. Nous développons deux stratégies. D’une part, fournir une éducation pour leur apprendre à résister, à se battre. D’autre part, encourager à porter plainte et assurer un suivi devant les tribunaux. Pour cette année, nous avons le projet d’ouvrir une « hotline » téléphonique.

Quels sont les défis syndicaux qui se posent en particulier dans la bande de Gaza ?

Le défi sur le plan syndical est double. D’une part, l’invasion israélienne a coupé les liens et les bombardements ont détruit massivement les infrastructures sociales, économiques et politiques. D’autre part, l’arrivée du Hamas qui a effectué un raid sur le centre du PGFTU et l’a fermé de force. Notre mouvement de solidarité avec les femmes et les hommes de Gaza est profond et va se poursuivre. L’impact psychologique et affectif de l’agression israélienne est très dévastateur sur la société palestinienne et la femme en paie un prix particulièrement lourd. À Gaza bien-sûr, mais aussi en Cisjordanie avec le mur. Il y a des femmes et des familles entières jetées à la rue, on a besoin d’affirmer notre soutien à ces femmes qui sont en charge de famille. Un homme peut plus facilement trouver un refuge, une mosquée, ou un autre lieu public.

A court terme, notre priorité est de reconstruire le centre des femmes travailleuses du PGFTU à Gaza. Par ailleurs, la montée du radicalisme islamiste interdit aux femmes d’être membres d’organisation sociales comme les syndicats. Ils essaient aussi de façon générale d’éliminer tout mouvement syndical démocratique. Le Hamas favorise aussi l’emploi pour ses partisans. C’est d’autant plus difficile pour les autres d’obtenir un emploi. Il y a deux pôles, Hamas ou Fatah, et les médias internationaux sont appelés à prendre position mais la population, et la femme qui est plus écrasée que tous, n’est pas couverte. Les questions sociales n’ont pas beaucoup de place dans les médias palestiniens. Nous avons besoin d’un contrôle public pour la reconstruction de Gaza, où des femmes soient présentes car ce sont elles qui vont beaucoup porter au quotidien ce travail de reconstruction.

Concrètement, quelle aide attendez-vous du mouvement syndical international ?

On a besoin d’un soutien de nos sœurs et frères d’autres pays pour reconstruire et renforcer le mouvement des femmes syndicalistes. D’une part, on a besoin d’aide financière pour reconstruire le bureau des femmes syndicalistes à Gaza. D’autre part, on a besoin aussi d’aide financière pour des équipes de travailleuses sur le terrain pour le recrutement et l’organisation de femmes. Les volontaires sont là, mais on a besoin d’effectifs supplémentaires pour aller à la rencontre des femmes, écouter leurs problèmes, leur fournir aussi des formations. Ca demande beaucoup de temps et d’efforts. On aimerait aussi être aidées pour publier un bulletin qui couvre ces activités et permette de faire circuler l’information et les encouragements. Enfin, on a besoin de développer un soutien psychologique pour ces familles, les adultes mais aussi les enfants.

[1] Palestine General Federation of Trade Unions (PGFTU)

[2] Le statut de la femme dans la famille et la société palestiniennes est déterminé à la fois par la législation palestinienne récente et par des lois héritées des législations jordanienne et égyptienne toujours en vigueur en Cisjordanie et à Gaza, datant d’avant l’occupation israélienne de 1967. Bien qu’il y ait eu de nombreux changements positifs pour les femmes avec des lois adoptées par l’Autorité palestinienne, les discriminations de genre, inscrites dans les lois jordaniennes et égyptiennes, continuent de s’appliquer pour les situations non couvertes par la nouvelle législation. Le statut personnel des Palestiniens est basé sur la religion. Pour les Palestiniens musulmans, la loi du statut personnel est basée sur la Charia, alors que les divers tribunaux ecclésiastiques décident des questions du statut personnel pour les Palestiniens chrétiens (Extrait du rapport de synthèse « Femmes et syndicats dans les pays du sud de la Méditerrannée, par Radhia Belhadj Zekri. Forum Syndical Euromed- Février 2009).

Propos recueillis par Natacha David

Bruxelles, le 23 juin 2009 (CSI En Ligne)

La CSI représente 170 millions de travailleurs dans 312 organisations affiliées dans 157 pays et territoires.http://www.youtube.com/ITUCCSI

Pour plus d’informations, veuillez contacter le Service Presse de la CSI au : +32 2 224 0204 ou au +32 476 621 018.