mercredi 5 novembre 2014

La relation entre solution politique et résistance en Palestine

Après l’attaque contre Gaza et l’héroïque exploit de la Résistance palestinienne face à la campagne d’extermination israélienne, on aurait pu penser que cette leçon ferait comprendre aux Palestiniens qu’Israël vise leur existence même et que la querelle à propos de la Résistance et de la solution politique n’a pas lieu d’être.

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28 février 2014 - Des Palestiniens s’affrontent avec les forces israéliennes d’occupation à la suite d’une manifestation contre le vol de terres palestiniennes par Israël dans le village de Kufr Qaddum, près de la ville de Naplouse en Cisjordanie occupée - Photo : APA/Nedal Eshtayah
A voir de près, il nous semble que cette querelle est toujours d’actualité, non pas à cause de la valeur de l’une ou de l’autre des deux voies mais parce que le projet sioniste israélien n’inclut qu’une seule paix, la paix israélienne. Ceci signifie que l’État d’Israël n’accordera aucun droit politique, ni aucun droit de vivre ou de travailler pour ce qu’il appelle la récupération des terres ancestrales, faisant ainsi de la solution politique une question stérile.
De plus, le but d’Israël est d’annihiler la force de résistance du peuple palestinien face à son agresseur ; c’est ainsi que la nouvelle position de la délégation palestinienne à l’Assemblée Générale des Nations Unies durant la dernière semaine de septembre 2014, n’était plus au règlement politique mais à la revendication, conformément aux résolutions des Nations Unies et aux accords d’Oslo, de l’indépendance des terres palestiniennes occupées par Israël, pour la réalisation d’un État palestinien sur près d’un quart des terres palestiniennes avec pour capitale Jérusalem-Est.
Le règlement politique ou la Résistance ne sont pas des solutions de rechange mais désignent des situations chaotiques et des forces antagonistes dans l’arène palestinienne. Par conséquent, cette analyse vise à étudier la question dans le but de renforcer l’unité nationale palestinienne dont l’absence permet à Israël de fuir ses obligations suite à l’accord de cessez-le-feu, voire à fuir toutes ses obligations, ce qui revient à régler la question en sa faveur.
La relation entre la solution politique et la Résistance est passée par différentes phases, allant de la sacralité de la Résistance jusqu’à l’interdiction d’évoquer la solution politique, puis de l’interdiction de parler de la Résistance, en passant par la défaite et le retrait face au projet sioniste en Égypte sur le modèle des accords de Camp David.
Première phase : la Résistance en tant que choix unique de 1965 à 1982
La Résistance armée palestinienne est née début 1965. Cette entité politique et militaire palestinienne voyait le jour en remplacement de la formation d’Ahmed Choukairy qui avait ses liens avec la Ligue arabe. La création de la Résistance annonçait la prise en charge par l’Égypte de la question palestinienne, avec ses deux pendants politique et militaire.
Le Caire prenait alors des positions virulentes contre certains pays qui soutenaient Israël. L’action la plus notoire à cette époque fut de pousser la Ligue arabe à couper ses relations avec l’Allemagne de l’Ouest, en plus de pousser la réaction arabe vers la reconnaissance de la RDA en réponse à la reconnaissance de l’État d’Israël par l’Allemagne, sans oublier les mêmes tentatives égyptiennes au sein de l’Union africaine.
Le Caire voulait asseoir son hégémonie sur le monde arabe et faire pression sur Israël en claquant la porte au nez de plusieurs États occidentaux qui tentaient d’amener Gamal Abdal Nasser vers un règlement politique avec Israël.
D’un autre côté, Israël avait compris que l’apparition de la Résistance armée conduirait à une guerre armée contre l’Égypte et contre les pays d’où seront lancées les opérations de la Résistance. Sans aller plus loin dans l’analyse de la crise de la Résistance au Liban et en Jordanie, rappelons que le Caire était intervenu pour régler cette crise.
Il n’est pas impossible que l’idée et la planification stratégique israélo-étatsunienne de la guerre de 1967 aient germé au moment du lancement de la Résistance, de la même façon que lorsqu’Israël a décidé d’anéantir le Hezbollah quand ce dernier a réussi à l’expulser du Sud-Liban en mai 2000, en apparaissant comme un élément clé dans l’équation militaire. Quant à la crise syrienne de mars 2011 qui se poursuit encore aujourd’hui, elle est la plus grande manifestation de la politique israélienne contre le Hezbollah.
Pendant la période allant de 1965 à 1967, et plus exactement, jusqu’en 1982, il était normal que l’appel au règlement politique fut à exclure voire considéré comme une trahison, alors que tombaient en martyrs ceux qui refusaient la capitulation de la révolution palestinienne.
Il est certain que la retentissante défaite égyptienne de 1967 a définitivement éliminé le choix de la solution militaire face à la détérioration de la situation du monde arabe. Cette situation a alimenté les tensions palestiniennes, en mettant les nerfs à vif et en générant un tourbillon de complications au sein de la Résistance qui n’a pu s’imposer sur le devant de la scène qu’à l’occasion de son exploit lors de la bataille des 50 jours de Gaza, pendant les mois de juillet et d’août 2014.
Il est également certain que le plan israélo-étasunien pour renverser la Résistance était en cours lorsque l’Égypte fut amenée à l’accord de paix avec Israël et à son affaiblissement, avant l’anéantissement de l’Irak et la soumission de l’ensemble de la région, jusqu’à l’avènement de Daesh [État islamique] pour dévier le combat de son objectif premier, c’est à dire le projet sioniste et l’orienter vers une guerre pour la survie contre Daesh.
Deuxième phase : l’urgence de l’arrangement politique arabe et le recul de la Résistance de 1982 à 2002
A ce stade, Israël avait réussi à envahir Beyrouth et à expulser la Résistance vers la Tunisie, ce qui signifiait la fin de la Résistance armée sans aucune clarification de l’alternative politique arabe à la suite du sommet de Fès de 1982, initiée en 1981 par Fahd Ben Abdelaziz qui était devenu roi [d’Arabie saoudite] en juin 1982. Le plan de Fès est devenu alors la ligne de conduite arabe pour le règlement politique.
C’est dans ce climat ambigu que la première Intifada ou la révolution des pierres eut lieu, conduite par le Hamas né en 1987 ; cependant, le Conseil National Palestinien réuni à Alger le 15 Novembre 1988 avait choisi la solution politique dans le cadre du plan de partage de la Palestine, c’est à dire qu’il avait abandonné l’option militaire. Par la suite, la cause palestinienne est entrée dans la spirale des accords d’Oslo de 1993 et de ses entraves qui ont provoqué l’explosion de la seconde Intifada en 2000 avec la prise de pouvoir par Ariel Sharon pour l’anéantir jusqu’à ce qu’il soit paralysé par la maladie le 21 février 2006.
Ce soulèvement avait pour but la protestation contre la dissolution de la ligne politique mais aussi contre la sauvagerie israélienne et le retrait du monde arabe. On croyait alors que cette Intifada allait ranimer le choix militaire mais Yasser Arafat restait fidèle aux accords d’Oslo qui avaient mis fin à cette option.
Quant aux sommets arabes, ils continuaient à rappeler et à soutenir la Résistance en parallèle d’une résolution politique ou plan de paix en tant que choix stratégique.
Cela revenait à conserver les deux options en recourant à la résolution politique avec le retrait progressif de leur soutien à la Résistance jusqu’au sommet de Beyrouth en 2002 lorsque la Résistance fut rappelée pour la dernière fois dans les déclarations, avant l’adoption du plan de paix présenté par l’Arabie Saoudite qui l’a éliminée en pratique.
Dès 2001, le monde arabe a commencé à parler de terrorisme. Rappelons que la défiance commença à planer sur la Résistance très tôt, puisque Hosni Moubarak se hasarda à la considérer comme un terrorisme dès 1996 puis en 2003 avant l’occupation de l’Irak par les États-Unis d’Amérique.
Pendant cette phase, la première et la seconde Intifada eurent lieu mais l’action arabe avait vaincu avec son plan de paix qui s’était illustré par l’abandon d’Arafat assiégé dans son domicile à Ramallah.
Troisième phase : de 2005 à nos jours ; la lutte entre la ligne politique et la Résistance et la victoire de la ligne politique
C’est à cette période qu’Abou Mazen a remplacé Arafat qui avait tenté de trouver un équilibre entre la Résistance et la solution politique, et Abou Mazen a fait définitivement le choix du règlement politique contre la Résistance armée.
En réalité, il ne s’agissait pas d’un compromis face à deux possibilités mais d’une division entre deux camps qui sont allés jusqu’à écarteler la Palestine en se récusant mutuellement, déplaçant la lutte contre l’occupant vers un conflit inter-palestinien, Israël se maintenant toujours à l’arrière de la scène.
Le conflit semble donc fondamental entre le Fatah et le Hamas, le Fatah cherchant un pouvoir s’appuyant sur les accords d’Oslo, en coordination sur le plan sécuritaire avec Israël contre la Résistance. Ce conflit s’est aggravé lorsque le Hamas a remporté les élections législatives en janvier 2006 et a gagné la majorité des sièges du Conseil législatif.
Cette victoire a été le prélude à une longue hostilité après une prudente coexistence entre les défenseurs de la ligne politique et ceux de la Résistance. Le conflit a atteint son paroxysme lors de la prise de contrôle militaire de Gaza par le Hamas en juin 2007, conduisant au retrait du Fatah qui accusa le Hamas d’avoir fomenté un coup d’État contre l’Autorité nationale palestinienne. Suite à ces événements, le passage de Rafah fut verrouillé.
Cette division dans les rangs palestiniens illustre une division en factions politiques, conduisant d’une part à condamner le Hamas pour toute négociation avec Israël et à considérer les mêmes actions de la part de l’Autorité palestinienne comme une trahison. Bien sûr, toute négociation restera en faveur d’Israël tant que l’Autorité palestinienne n’aura aucun moyen de pression. Le Hamas a été jusqu’à accuser l’Autorité de collusion avec Israël dans le but de liquider la Résistance, c’est ce qui fut formellement soutenu lors de l’attaque israélienne contre Gaza du 30 décembre 2008 au 19 janvier 2009.
Cette scission entre le Fatah et le Hamas a conduit à un alignement régional derrière l’un ou l’autre camp. Ainsi, le Fatah s’est vu soutenir par l’Alliance libanaise du 14 mars, la Jordanie, l’Arabie Saoudite, le Koweït, le Bahreïn, les Émirats Arabes Unis, l’Égypte sous Moubarak, ensuite sous Al-Sisi et Israël. Alors que le Hamas s’est vu soutenir par le Qatar, l’Alliance libanaise du 8 mars, la Syrie, l’Iran et l’Égypte sous Mohamed Morsi.
Cet alignement s’est transformé en une lutte entre deux factions conduisant à l’échec de tous les efforts visant la réconciliation palestinienne. Nous avons pu observer la position générale arabe lors de la campagne génocidaire contre Gaza durant l’été 2014, pendant laquelle, le monde arabe s’occupait de ses tragédies internes ou encore se tenait en spectateur, certaines parties arabes étant même accusées de complicité avec Israël.
Mais ce qui était exigé des deux camps palestiniens était du domaine de l’impossible. En effet, l’Autorité palestinienne qui vit des aides étrangères tant qu’elle reste fidèle aux accords d’Oslo, lesquels sont opposés à la Résistance, cherche à imposer son pouvoir à Gaza et veut constituer la seule partie palestinienne face à l’Égypte et à Israël aux points frontaliers respectifs. De plus, elle veut rester seule maîtresse de la décision de paix ou de guerre en rejetant la Résistance qu’elle juge inefficace et à cause de ses liens avec l’Iran qui en font un point de croisement sur la ligne d’affrontement entre l’Iran et l’Arabie Saoudite et la ligne d’affrontement entre l’Autorité et Israël.
L’Autorité palestinienne s’est ainsi unie à Israël pour désarmer et liquider la Résistance, en rappelant que la victoire de la Résistance qui a rendu heureux tous les Palestiniens a eu pour prix à payer la destruction de Gaza. D’autre part, la victoire de la Résistance pourrait entraîner de nouvelles élections au profit du Hamas qui pourrait peut-être gagner la présidence de l’Autorité, du gouvernement et du parlement, ce qui ne sera jamais accepté par Israël, Washington et les détenant du pouvoir dans le camp arabe, surtout au vu de la relation sensible du Hamas avec Al-Sisi après la mise à l’écart des Frères Musulmans en Égypte.
A la lumière de ce qui a été exposé, il ressort que la reconstruction de Gaza ne peut se réaliser qu’avec la supervision par l’Autorité palestinienne du passage des matériaux de construction ou des transferts des fonds étrangers nécessaires à cette reconstruction. Rappelons qu’Israël avait ouvertement déclaré lors de sa campagne meurtrière contre Gaza qu’il ferait pression sur l’Autorité jusqu’à ce qu’elle élimine le Hamas du Gouvernement d’union nationale, profitant de quelques déclarations du président de l’Autorité qui qualifiait le Hamas d’organisation terroriste à la tête de Gaza suite à un coup d’État, et qui se doit de reconnaître la légitimité d’Abou Mazen.
Nature de la relation entre la ligne politique et la ligne de la Résistance sur un plan théorique et pratique
Dans le passé, les pays occupés ou colonisés disposaient d’une seule voix pour mener en même temps la Résistance et les négociations, la Résistance étant la meilleure carte du négociateur. En particulier en Algérie, au Vietnam et en Égypte lors de la signature du traité d’évacuation du canal de Suez.
Dans le conflit israélo-palestinien, les pays arabes ont abandonné la Résistance à cause de ses liens avec l’étranger d’une part et parce qu’elle les implique dans des guerres sans issues, d’autre part. De plus, ces pays croient que le négociateur palestinien sans soutien arabe et sans Résistance menaçant la sécurité israélienne est à la merci de l’occupant.
C’est la source de la scission entre la Résistance et le pouvoir politique aussi bien en Palestine qu’au Liban, d’autant plus que les armes de la Résistance sont utilisées pour renforcer le pouvoir politique du Hezbollah et du Hamas.
Pour le pouvoir politique au Liban, la Résistance n’est pas nécessaire, l’agression israélienne pouvant être évitée en remplaçant la Résistance par des garanties internationales. C’est pratiquement la même situation qui existe en Palestine. Il en résulte que la Résistance en Palestine s’est limitée au combat face aux attaques contre Gaza au lieu du combat contre l’occupation. Sans parler des problèmes liés à la situation avec l’Iran, la Syrie et l’Égypte.
La première question qui se pose est de savoir si la Résistance pourrait se transformer en une pièce maîtresse de la politique palestinienne lors des négociations avec Israël puisque la Résistance seule n’apporte rien aux Palestiniens et que la négociation sans élément de pression ne fait pas mieux.
La seconde question est de savoir si la fin de la Résistance qui constitue un poids politique gênant opposé au Fatah, et si l’élimination de ses armes permettraient à l’Autorité de répondre aux demandes palestiniennes par la voie des initiatives diplomatiques ?
Selon mon opinion, dans le cas d’Israël, au vu de ses alliances arabes et de ses pénétrations dans les rangs palestiniens, il est inévitable pour le monde arabe de revenir vers ses véritables intérêts, en soutenant les Palestiniens dans la voie politique mais aussi dans celle de la Résistance afin de rééquilibrer les rapports de forces et d’éviter à la Résistance palestinienne d’être prise en otage dans le conflit opposant l’Iran et l’Arabie Saoudite.
* Le D. Abdallah Al Achaal est ancien ambassadeur, et il enseigne aujourd’hui le droit international à l’Université américaine au Caire

Octobre 2014 - Al-Ahram - Traduction de l’arabe : Info-Palestine.eu - Fadma Nsumer