mercredi 15 octobre 2014

Prisonniers palestiniens : interview de Sahar Francis, directrice d’Addameer

Sahar Francis, qui milite depuis une vingtaine d’années contre la violation des droits des prisonniers palestiniens, va venir prendre la parole le 1er novembre aux Docks de Paris. Elle tient toutefois à faire remarquer que la plupart de ses collègues au sein de son association Addameer, ne pourraient pas faire ce déplacement, car Israël leur interdit de se déplacer à l’étranger !
Depuis combien de temps travaillez-vous pour la défense des prisonniers palestiniens et qu’est-ce qui vous a amenée à vous en occupez ?
Depuis 1996, j’ai commencé en tant que bénévole à Addameer, afin d’essayer de savoir comment se déroulaient les interrogatoires et de rendre visite aux prisonniers incarcérés par Israël. J’avais aussi des amis qui travaillaient à l’époque dans différentes ONG comme YMCA, Alternative Information center, et qui furent arrêtés par l’armée israélienne. J’ai donc été amenée à leur rendre visite en prison, au nom d’Addameer.
Combien Addameer emploie-t-elle de personnes pour faire tout ce travail ? Et quelels sont vos ressources financières ?
Nous sommes 10 femmes et 14 hommes à plein temps pour des milliers de prisonniers palestiniens. Au début, les ressources financières d’Addameer ne reposaient que sur des fonds de donateurs palestiniens locaux et individuels. A partir de la deuxième intifada, se sont ajoutées des subventions d’autres ONG et du gouvernement palestinien, mais Israël n’ cessé de multiplier les arrestations arbitraires, les cautions à payer par les familles, qui sont en outre souvent privées des revenus du travail du père ou des fils de la famille .
Quels sont les pires problèmes auxquels vous êtes confrontés ?
Addameer a été créé en 1991 à Jérusalem par des militants des droits de l’homme, par d’anciens prisonniers et par des avocats, afin de défendre les prisonniers politiques palestiniens dans les tribunaux militaires de l’occupant et pour soutenir leurs familles dont les droits sont violés.
Nous avons constamment subi des restrictions et des attaques depuis que nous existons. Nos bureaux ont été l’objet de raids israéliens en 2012 ; trois de nos collègues ont été arrêtés la même année. L’un d’entre eux, Ayman Nasser, coordinateur de notre section juridique, vient d’être ré-arrêté. Notre président, Abdellatif Gaith a l’interdiction depuis 3 ans de se rendre en Cisjordanie, alors qu’il vit à Jérusalem, une injonction qui vient d’être prolongée jusqu’en mars 2015.
Il a également l’interdiction de voyager à l’étranger jusqu’en février 2015. Une interdiction très courante dont sont actuellement affligés d’autres salariés d’Addameer, également interdis de sortie.
Et pendant les grève de la faim des prisonniers en 2011 et 2012, Israël a en plus interdit à nos avocats de rendre visite aux prisonniers.
Est-ce que les avocats palestiniens sont autorisés à rendre visite aux prisonniers à l’intérieur des prisons israéliennes ?
La plupart des avocats palestiniens qui ont une carte d’identité palestinienne ne peuvent accéder aux prisons israéliennes où sont détenus les Palestiniens. Il leur faut une autorisation spéciale qu’israël leur délivre rarement.
Les avocats palestiniens, qui ont la citoyenneté israélienne, ont plus de possibilités mais subissent également des restrictions et interdictions, contre lesquelles nous portons plainte, souvent sans succès, mais nous ne renonçons pas.
Des centaines de familles se voient également interdire la possibilité de rendre visite à leurs proches. Pour des raisons dites de « sécurité » elles se voient refuser le permis d’entrer en Israël, notamment quand elles sont de Gaza. Israël annule régulièrement toutes les possibilités de visites en provenance de la bande de Gaza, et les parents doivent attendre plusieurs mois pour faire une nouvelle demande, sans être sûrs qu’elle aboutisse.
Quand Gilad Shalit a été arrêté à Gaza, c’est l’ensemble des prisonniers palestiniens originaires de la bande de Gaza qui ont été privés de visites pendant près de 5 ans !
La cour suprême israélienne que nous avons saisie à ce sujet, a décrété qu’elle n’était pas apte à intervenir sur cette question, soi-disant « non-humanitaire », selon ses dires.
Comment expliquez vous qu’aucun gouvernement se proclamant démocratique n’ait pris de sanctions pour faire abolir la détention « administrative » pratiquée par Israël, une détention sans charge ni procès pour des durées illimitées ?
La détention dite administrative n’est qu’une des nombreuses violation des droits de l’homme et nous n’avons pas connaissance d’une seule interventions de ces pays démocratiques pour faire cesser les crimes de guerre et crimes contre l’humanité, perpétrés par Israël.
La communauté internationale pratique le deux poids, deux mesures quand il s’agit d’Israël, en raison du soutien inconditionnel que lui apportent les USA et l’Europe. Et on a pu le voir à nouveau cet été, lors de l’agression de Gaza.
Israël torture pratiquement tous les prisonniers palestiniens, y compris les enfants. Pourquoi des pays comme la France ne déposent-ils pas plainte, alors que la Convention Internationale contre la torture leur en fait l’obligation ?
C’est une question très difficile car les pays « démocratiques » veulent tellement protéger Israël, qu’ils en viennent y compris à modifier leur législation, comme l’ont fait l’Espagne et l’Angleterre en ce qui concerne les poursuites pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. En outre les preuves des tortures sont très difficiles à apporter. Car au moment où nous avons la possibilité de voir les prisonniers, les traces lorsqu’il y en avait, ont disparu. Sans compter le fait que nous ne connaissons jamais l’identité des tortionnaires.
Interview réalisée par CAPJPO-EuroPalestine