samedi 11 octobre 2014

Pourquoi les pays scandinaves sont-ils si froids… avec Israël ?

Avant que la Suède s’engage à « reconnaître la Palestine », le Danemark et la Finlande avaient menacé Jérusalem de sanctions : ce n’est pas seulement à cause des immigrés musulmans.
L’intention déclarée de la Suède à reconnaître un Etat palestinien a fait les manchettes en Israël et même provoqué une bagarre diplomatique, mais cela n’est que le dernier épisode d’une série de mesures prises par les pays nordiques au cours des dernières semaines qui ont provoqué la colère de Jérusalem.  
Fin septembre, le ministre danois des Affaires étrangères Martin Lidegaard a menacé « de nouvelles mesures, y compris un changement dans nos relations commerciales avec Israël » au cas où les négociations de cessez-le-feu avec le Hamas au Caire n’iraient pas dans le sens que les Européens souhaitent.
Plus tôt ce mois-ci, le ministre finlandais des Affaires étrangères Erkki Tuomioja a également averti Jérusalem que si le processus de paix n’avançait pas au rythme souhaité par Helsinki, le commerce et d’autres relations pourraient en pâtir. L’Union européenne a offert suffisamment de carottes, a-t-il déclaré à Haaretz, ajoutant « qu’il semble aussi qu’il y ait besoin de la possibilité de bâtons ».
Puis, vendredi, le nouveau Premier ministre suédois, Stefan Löfven, un social-démocrate dont le parti vient de battre le Parti modéré de centre-droit, a fait sa déclaration au Parlement. Celle dans laquelle il estime que « le conflit israélo-palestinien ne pourrait être résolu que par une solution négociée à deux Etats qui doivent garantir les exigences à la fois des Palestiniens et des Israéliens à l’autodétermination et la sécurité, ainsi que la reconnaissance mutuelle ». Et par conséquent a conclu Löfven, « la Suède reconnaît l’Etat de Palestine ».
Les Israéliens ont réagi avec des degrés de colère variable. L’ancien ministre adjoint des Affaires étrangères, Danny Ayalon, a qualifié la décision suédoise « d’injuste et illégale et d’erreur politique ». Le Premier ministre Benjamin Netanyahu s’est contenté de dire que ces mesures unilatérales « ne favorisent pas la paix, mais sont une entrave à la paix ».
D’origine danoise, le rabbin Michael Melchior est également un ancien ministre adjoint des Affaires étrangères et actuellement le Grand Rabbin de Norvège. Il a déclaré qu’il n’y avait aucune raison de s’énerver à propos de la décision de Stockholm : « Je peux comprendre la position qui dit que nous devons parvenir à un accord de paix négocié, mais actuellement il n’y a pas de négociations ». Annoncer de cette façon le désir de reconnaître un Etat palestinien « n’est pas motivé par la haine contre Israël, » assure Melchior qui est un ancien député travailliste.
« Qu’est-ce qui est si problématique dans cette position ? Ils reconnaissent le principe de deux Etats pour deux peuples et disent qu’un Etat palestinien doit être créé et qui tienne compte des besoins de sécurité d’Israël. Oui, on pourrait dire que la reconnaissance est une mesure unilatérale. Et Israël ne prend pas de mesures unilatérales dans ce conflit chaque jour ».
Carl Magnus Nesser (Crédit : autorisation ambassade suédoise)
Carl Magnus Nesser (Crédit : autorisation ambassade suédoise)
Cette semaine, le ministère des Affaires étrangères a décidé de convoquer l’ambassadeur de Stockholm à Tel Aviv, Carl Magnus Nesser, à Jérusalem, où le chef du bureau des affaires européennes, Aviv Shir-On, a exprimé « l’inquiétude et la déception » d’Israël suite aux propos de Löfven.
Une reconnaissance prématurée de la Palestine « provoque une détérioration de la situation sur le terrain et réduit le risque de parvenir à un accord, car cela crée une anticipation irréaliste que les Palestiniens seront en mesure d’atteindre leur objectif de façon unilatérale plutôt que par des négociations avec Israël » a estimé Shir-On.
L’ambassadeur « a pris note des remarques et a promis d’informer son gouvernement, » a déclaré le ministère des Affaires étrangères dans un communiqué. Même avant cet entretien, Stockholm avait affirmé qu’elle ne reconnaîtrait pas la Palestine « demain matin » mais malgré des rapports trompeurs dans les médias israéliens, elle n’est pas non plus revenue sur sa décision.
« C’est un décret du gouvernement. Ça ne passe pas par le Parlement », a expliqué une porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Karin Nylund. Le projet doit être avalisé en conseil des ministres, à une date qui n’a pas encore été décidée.
Les pays nordiques n’ont jamais été parmi les plus proches amis de l’Etat hébreu – la Norvège a longtemps été accusée d’être l’Etat le plus antisémite de l’Occident – mais pourquoi ont-ils accéléré soudainement leur agitation anti-israélienne ?
En Suède, un coup d’œil sur la composition du nouveau gouvernement permet d’offrir quelques explications. Certains ministres de haut rang ont clairement un passé anti-israélien. D’origine turque, Mehmet Kaplan, le nouveau ministre du Logement du Parti Vert, par exemple, a participé à la flottille du Mavi Marmara qui voulait briser le blocus de Gaza en 2010. Lors de l’opération Bordure protectrice de cet été, il a appelé à la « libération de Jérusalem » dans un rassemblement pro-palestinien.
Le sentiment anti-israélien existe aussi chez des membres du gouvernement eux-mêmes natifs de Suède. Le nouveau ministre de l’Éducation Gustav Fridolin, également issu du Parti Vert, a protesté contre la barrière de sécurité près de Ramallah fin 2003 et avait même été arrêté par l’armée israélienne.
Tous les pays nordiques ne sont pas égaux en ce qui concerne leurs positions sur Israël, et même dans un certain gouvernement, il y a des différences, a déclaré Martin Gerstenfeld, l’ancien président du Centre de Jérusalem pour les Affaires publiques et observateur de longue date des tendances antisémites et anti-israéliennes en Scandinavie.
Børge Brende (Crédit : Eric Miller/CC BY-SA 2.0/Wikimedia commons)
Børge Brende (Crédit : Eric Miller/CC BY-SA 2.0/Wikimedia commons)
Le cas du ministre norvégien des Affaires étrangères Borge Brende, qui appartient au Parti conservateur de centre-droit est « problématique », mais le ministre des Finances Siv Jensen, lui, peut être considéré comme « très pro-israélien, » a-t-il fait savoir. Le gouvernement danois actuel était « hostile » au départ, mais l’opération Bordure protectrice « a probablement changé » sa position vis-à-vis d’Israël, selon Gerstenfeld.
Certains experts mettent en cause l’augmentation de l’immigration musulmane dans les pays nordiques comme facteur expliquant leur position pro-palestinienne. Mais la haine religieuse ou ethnique envers Israël ne représente qu’une partie de l’histoire, et non pas l’élément dominant, font valoir les observateurs.
Au contraire, ils soulignent un soutien traditionnel des pays nordiques pour les faibles et les opprimés dans un conflit mondial donné. « Il y a vraiment un accent sur ​​qui est fort et qui est faible dans la gauche européenne, et notamment en Scandinavie » estime Jonathan Rynhold, politologue à l’université Bar-Ilan. Depuis les années 1970, ce sentiment est accompagné d’une forte aversion pour ce qui est perçu comme du colonialisme, ajoute-t-il : « Israël est perçu comme fort et blanc, il est donc perçu comme mauvais ».
Tant qu’Israël menait des pourparlers de paix avec les Palestiniens, les voix anti-israéliennes ne se faisaient pas trop entendre, dit Rynhold mais « argumenter contre une solution négociée, c’est un peu comme être contre la tarte aux pommes ». Mais depuis que la dernière série de pourparlers de paix est en panne, l’humeur anti-israélienne a commencé à reprendre du poil de la bête, explique-t-il.
Les gens des pays nordiques « ne haïssent pas les Juifs », « ils ne sont pas consciemment antisémites » souligne Rynhold. « Mais Israël est perçu différemment parce qu’Israël et les Juifs font partie de l’identité européenne. Quoi qu’il arrive au Moyen-Orient, cela a plus de résonance que les crises en Afghanistan ou en Chine : c’est discriminatoire, mais ils ne voient pas cela comme tel ».
De nombreux pays européens se concentrent de façon disproportionnée sur Israël. Soit. Mais pourquoi les pays nordiques en particulier ?
Leur taille relativement petite leur permet de prendre les devants en étant critiques d’Israël. Alors que les grands pays comme l’Allemagne, la Grande-Bretagne ou la France « se doivent d’être plus sobres parce qu’ils ont plus de poids » suggère Rynhold.
Pourtant, il existe d’autres pays européens avec une position pro-palestinienne forte, comme l’Irlande ou l’Espagne. Leurs gouvernements prennent néanmoins rarement l’initiative sur Israël.
La Norvège et la Suède en particulier sont des pionniers dans ce domaine car ils ont longtemps été « fortement investis » dans le processus de paix au Moyen-Orient, toujours selon Rynhold. Tout le monde a entendu parler des accords d’Oslo, mais dans les années 1990, Stockholm a aussi parrainé d’importants pourparlers entre responsables israéliens et palestiniens.
Et pourtant, les relations entre Israël et les pays nordiques ne doivent pas être considérées comme exclusivement négatives, estime le rabbin Melchior, l’ancien député de la Knesset né à Copenhague.
« La Norvège a d’excellentes relations avec Israël » estime-t-il. Son ministre des Affaires étrangères a récemment visité Israël et a eu des discussions longues et amicales avec le président, le Premier ministre et les autres responsables a fait savoir Melchior. De même, lorsque le président d’alors, Shimon Peres, a visité Oslo en mai, il a été reçu comme un roi – y compris par le roi de Norvège Harald V : « Tout Oslo était plein de drapeaux israéliens » rappelle Melchior.
Bien sûr, cela ne signifie pas que l’antisémitisme ou les sentiments anti-israéliens n’existent pas, admet-il. Ce problème est particulièrement aigu avec les syndicats, et cela augmente la pression sur les gouvernements, en particulier lorsque les partis de gauche arrivent au pouvoir (comme la Suède).
Cependant, contrairement à d’autres pays européens, il n’y a pratiquement pas de groupes en Scandinavie qui nient à Israël le droit d’exister dans des frontières sûres, assure Melchior. Alors que des organisations influentes en Grande-Bretagne, en France, en Grèce ou en Espagne ne discutent pas sur 1967 mais sur 1948, dans les pays nordiques « les gens veulent juste la fin du conflit et de l’occupation et parvenir à une solution juste pour les Palestiniens. »
Les Israéliens doivent comprendre que ces Etats se considèrent véritablement comme des amis de l’Etat hébreu : « Nous devrions voir leur position comme une critique du fait que il n’y a pas de pourparlers de paix en ce moment, et qu’Israël n’a pas de stratégie pour mettre fin à l’occupation ».