mardi 30 septembre 2014

Un apartheid génocidaire

Le Tribunal Russell pour la Palestine constate que Gaza est au bord d’un apartheid génocidaire.

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Israël et ses complices ne doivent pas rester impunis, face à l’extermination d’un peuple, écrit Kasrils - Photo : EPA
Nelson Mandela a souvent déclaré que « la Palestine était le plus grand problème moral de notre temps ». Après avoir renversé le régime d’apartheid en 1994, il est allé plus loin en disant : « Nous, les Sud-Africains ne pouvons pas nous considérer comme libres sans que le peuple palestinien soit libre ».
Des millions d’entre nous en Afrique du Sud ont collectivement réagi avec horreur face à l’horrible agression d’Israël sur la population de Gaza au cours de ces 51 jours cauchemardesques de guerre, et face à la cruauté continue en Cisjordanie. La poussière retombée, nous sommes restés choqués au-delà de ce qui paraissait possible à la vue d’une communauté de 1,8 million d’individus laissée en ruines : Khozaa, Shujaiyya, Beit Hanoun... des familles et des quartiers entiers disparus.
Selon les Nations Unies, 2131 Palestiniens ont été tués lors de l’offensive d’Israël. Parmi ceux-ci 501 étaient des enfants, et 70 pour cent d’entre eux avaient moins de 12 ans.
Le ministère de la Santé à Gaza a enregistré que 10 918 personnes ont été blessées, dont 3312 enfants et 2120 femmes. Selon les Nations Unies, 244 écoles ont été bombardées et une a été utilisée comme base militaire par des soldats israéliens. Al Mezan, l’organisation de défense des droits humains, a documenté au moins 10 920 maisons endommagées ou détruites, dont 2853 ont été complètement aplaties. Huit hôpitaux - dont 6 sont aujourd’hui hors service - 46 locaux d’ONG, 50 bateaux de pêche, 161 mosquées et 244 véhicules ont également été touchées.
Quatre-vingt pour cent des familles de Gaza n’ont aucun moyen de se nourrir et sont dépendantes de l’aide. Les terres agricoles dans les zones frontalières ont été imposées, par des tirs directs sur les agriculteurs, comme des zones tampon qui s’étendent le long d’Israël. Lorsque vous privez une population des moyens de vivre et de se déplacer, quand les blessés ne peuvent pas accéder à des soins, quand les exilés sont contraints de survivre dans des tentes de toile et que tout cela se passe sous une attaque féroce par terre, mer et air, tandis que la communauté regarde tranquillement Israël [commettre ses crimes] tout en lui fournissant des armes - comment appelleriez-vous cela ?
« Le crime des crimes »
Pour la première fois en ce qui concerne Israël et ses « « actions à Gaza », le Tribunal Russell sur la Palestine, dont je suis fier d’être un membre du jury, a examiné le crime de génocide. Le professeur John Dugard, un autre juriste du Tribunal explique : « Le crime de génocide est le crime des crimes. Un grand soin doit être pris en compte pour son étude. Néanmoins l’opération israélienne est d’une telle gravité que le Tribunal Russell estime qu’il est nécessaire d’examiner si ce crime a été commis ».
Les caractéristiques de ce crime comprennent les tueries, les lésions corporelles graves ou les conditions d’existence devant entraîner la destruction physique totale ou partielle d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux. Contrairement au crime contre l’humanité, ce crime est infligé avec l’intention de détruire le groupe en tout ou en partie. Ce que nous avons identifié lors de la présente session du Tribunal est que nous sommes devant le cas d’un apartheid génocidaire, d’une incitation au génocide, d’un danger réel et actuel, articulé à de nombreux niveaux de la société israélienne, à la fois dans les médias sociaux et traditionnels, les clubs de fans de football, parmi les agents de police, les commentateurs des médias, les chefs religieux, les législateurs, et les ministres du gouvernement.
Les habitants de l’Afrique du Sud, sauf pour une minorité de sionistes et leurs affiliés, sont horrifiés. Nous avons connu l’apartheid. Les combattants de la liberté parmi nous en visite dans les territoires palestiniens occupés ont déclaré à l’unanimité « cela nous rappelle l’apartheid, mais ce que nous voyons est bien pire ». Le système d’apartheid en Afrique du Sud voulait faire travailler la population noire à peu de frais au bénéfice de son économie et l’État gardaient donc les Noirs en vie - même si c’était à peine. Mais il y avait encore d’énormes similitudes avec l’apartheid israélien.
Comme en Israël, les gens « non-blancs » ou « non-Européens » (termes de l’apartheid) ont été privés de l’égalité des droits et de la liberté de mouvement. Les maisons qu’ils avaient dans les villes blanches avaient été démolies et ils avaient été relégués dans des ghettos. Ils subissaient les points de contrôle, les fouilles indignes, le harcèlement constant et les exigences strictes de permis de travail. Si vous aviez omis de présenter un permis et étiez dans une ville blanche, vous alliez directement en prison. Toute résistance était accueillie avec la répression policière, l’emprisonnement, la torture et parfois des massacres comme le plus infâme à Sharpeville en 1960 où 69 manifestants pacifiques ont été tués. Cependant, aucun canton africain (noir et blanc) ou bantoustan n’a jamais été bombardé du ciel ou attaqué par des chars et de l’artillerie.
Au cours de ces tristes jours, les habitants de l’Afrique du Sud ont appris les leçons de la lutte. Il fallait ne jamais céder à la répression, mais continuer à résister. Se soumettre aurait signifié valider et exonérer le système de l’oppresseur. Se laisser intimider ou choquer par la répression punitive jusqu’à la soumission, aurait donné l’occasion à l’oppresseur de prétendre que les opprimés étaient très contents de leur sort. Il se seraitt alors vanté que ses « Noirs » étaient mieux et plus heureux que ceux de l’Afrique indépendante.
Un devoir moral
Avec un tel héritage, nous avons bénéficié de la solidarité internationale et du mouvement de boycott, de désinvestissement et de sanctions (BDS) et nous savons notre devoir moral. Nous ne pouvons tolérer une mise en question du droit du peuple palestinien à résister par tous les moyens qu’il juge nécessaire. Nous rejetons les tentatives d’assimiler la violence des deux côtés, comme si il pouvait y avoir la parité entre le terrorisme d’État d’Israël et la résistance palestinienne. Nous rejetons l’absurdité de qualifier de « terroriste » la Résistance sous le motif qu’elle « creuse des tunnels ». Elle a assez de raison de le faire comme nous l’avons fait parfois au cours de notre lutte armée et comme l’ont fait les Juifs du ghetto de Varsovie dans leur action courageuse lors du soulèvement de 1943 contre les nazis. Nous comprenons aisément que ce sont précisément ces tunnels sur les frontières de Gaza qui ont interrompu l’avance des forces terrestres israéliennes et leur volonté d’’infliger encore plus de carnage.
Des manifestations de solidarité dans les villes autour de l’Afrique du Sud (200 000 à Cape Town) ont appelé notre propre gouvernement ANC et tous les gouvernements du monde à arrêter de jouer le jeu d’appeler les deux parties à cesser la violence comme une condition préalable à un cessez-le-feu et à des négociations. Nous allons avec certitude mettre la pression sur le gouvernement pour qu’il mette en œuvre la campagne BDS contre l’apartheid d’Israël, comme l’ANC a demandé à tous les gouvernements de le faire au cours de notre lutte. Et il est inutile de rétorquer que c’est la tâche de la société civile : c’est aux gouvernements d’appliquer des sanctions et de veiller à leur mise en œuvre par le secteur public et privé.
Les résultats du Tribunal Russel sur la Palestine (TRP) servent à sensibiliser et mobiliser les gouvernements, les institutions, la société civile et des mouvements de solidarité pour qu’ils appliquent les tactiques et les politiques de la campagne de Boycott, Désinvestissement et Sanctions. Le plus important a été l’enquête du TRP sur la pratique israélienne de nettoyage ethnique et de ce que le Tribunal Russell qualifie d’assassinats, de persécution et d’extermination.
L’assaut barbare sur Gaza en juillet-août 2014 sera un des axes principaux de notre campagne pour la responsabilité non seulement d’Israël mais aussi des États tiers. Israël et ses complices ne doivent pas rester impunis face à l’extermination d’un peuple. Nous devons empêcher le crime de génocide d’avoir lieu. Ce que nous avons vu à Gaza en 2014 peut et se produira encore si le monde reste silencieux. Le monde doit soutenir le peuple de Gaza, de la Cisjordanie, et les réfugiés palestiniens. C’est pour le bien de la paix et de la justice pour tous les êtres vivants sur la terre d’Israël/Palestine.

Ronnie Kasrils a servi dans l’aile armée de l’ANC depuis sa création en 1961 et a été vice-ministre sud-africain de la Défense (1994-1999), Ministre des Eaux et Forêts (1999-2004) et Ministre déléguée aux Services de renseignements (2004-2008). Il a pris sa retraite mais il est resté actif dans les comités de solidarité avec la Palestine.
http://www.aljazeera.com/indepth/op...
Traduction Info-Palestine.eu