dimanche 7 septembre 2014

L’État de Palestine : entre résistance et construction ?

Table ronde. L’accord de cessez-le-feu entre Israël et le Hamas signé à la fin du mois d’août a ouvert une période de trêve illimitée, refermant un épisode militaire sanglant qui laisse derrière lui des milliers de morts et de blessés civils palestiniens. L’action de l’État d’Israël n’était-elle pas 
aussi dirigée contre le progrès du mouvement d’émancipation de l’État palestinien ? Un atelier de la dernière université d’été du PCF intitulé "La Palestine,
194e État du monde" propose des éléments de réponse.
Avec : Mohammed Halayka, directeur du Théâtre national palestinien 
à Jérusalem-Est, Lydia Samarbakhsh, membre de 
la coordination nationale du PCF chargée 
du secteur international et Maher Al Charif, historien, membre 
du comité central du Parti 
du peuple palestinien
La Palestine a été reconnue comme État observateur non membre de l’ONU en 2012. Quelles ont été les avancées liées à cette reconnaissance ? Quel chemin reste-t-il à parcourir ?
Mohammed Halayka Depuis la naissance d’Israël en 1948, il y a eu d’innombrables résolutions de la communauté internationale concernant le conflit palestino-israélien. Aucune de ces résolutions n’a été respectée par Israël. Les négociations qui se sont déroulées ces dernières années ne constituent pas une exception. De fait, ce sont les États-Unis qui se sont institués comme référence des négociations à la place de l’ONU et de la légitimité internationale. À partir de là, en tant que citoyen et qu’intellectuel palestinien qui n’est membre d’aucune organisation politique mais qui s’exprime à titre individuel, je soulignerai que les Palestiniens ont perdu toute confiance dans les résolutions de la communauté internationale, celles-ci étant bloquées par Israël d’une part et les États-Unis, de l’autre. C’est le sentiment global des Palestiniens. Toute tentative de solution de paix est confrontée à l’intransigeance de l’État israélien, intransigeance associée à des enjeux de politique intérieure qui fait qu’à chaque progression les divergences l’emportent sur les avancées sous le prétexte qu’il faut garder le gouvernement israélien en place. Lydia Samarbakhsh La reconnaissance de la Palestine comme État observateur à l’ONU a été précédée par son entrée dans les instances de l’Unesco. C’est un processus qui est important parce que la bataille politique qui se joue vis-à-vis d’Israël et de ses différents gouvernements qui violent les résolutions passées, c’est le fait qu’Israël cesse de se considérer comme un État hors du droit international. Le cœur de la bataille est plus précisément la reconnaissance d’un État palestinien comme un interlocuteur politique à égalité sur la scène internationale. Ce serait un signal express vis-à-vis de l’État israélien pour qu’il cesse de se considérer comme au-dessus du droit international, indifférent à l’application des résolutions de l’ONU. Depuis trente ans, le cadre multilatéral de négociation des conflits a été sapé. Dans cette situation, des puissances comme les États-Unis et la France ont de grandes responsabilités. Quel cynisme, par exemple, que l’ONU en Assemblée générale adopte, le 29 novembre 2013, la décision de faire de 2014 l’Année mondiale de solidarité avec la Palestine et le peuple palestinien et qu’Israël bombarde la Palestine dès le mois de décembre 2013 ! Et cet été, avec cette guerre contre Gaza ! Il y a, de ce point de vue, une décrédibilisation profonde de la communauté internationale. Inversement, si nous gagnons la bataille pour le peuple palestinien, c’est la bataille pour l’ensemble des peuples qui progresse avec une reconstruction des Nations unies comme cadre multilatéral de négociations internationales.
Quel pourrait être le rôle positif de la France dans la situation actuelle ?
LYdia Samarbakhsh Comme membre du Conseil de sécurité, une action positive de la France serait d’abord de renouer avec une véritable politique arabe en général. Aujourd’hui, elle est totalement alignée sur celle des États-Unis. C’est un vrai recul. Il y a une époque où la France parlait avec le Hamas. Aujourd’hui, sa voix se confond avec celle de Netanyahou, c’est-à-dire avec celle de la droite israélienne la plus dure. Une action positive de la France serait donc d’abord de redevenir un acteur politique dans la question du conflit israélo-palestinien et qu’elle respecte l’ensemble des interlocuteurs au lieu de sous-estimer l’évolution politique en Palestine et le processus de réconciliation nationale avec l’objectif de transformation de l’Autorité palestinienne. La seule solution du conflit israélo-palestinien passe par la reconnaissance intégrale de l’État palestinien, sa reconnaissance de plein droit permettant une véritable impulsion de son développement. Reconnaissance par les Nations unies mais aussi par le biais de reconnaissances bilatérales. Qu’un pays comme la France, membre du Conseil de sécurité, reconnaisse officiellement l’État palestinien, ce serait, effectivement, commencer à jouer un rôle positif.

Mohammed Halayka La France, avec son rôle au G7 aussi, et son implication dans l’espace méditerranéen, peut effectivement avoir un rôle déterminant. Elle l’a montré à propos du Mali par exemple. Mais concernant la Palestine, elle reste très passive. Considérant que 35 % des échanges commerciaux d’Israël se font avec l’Europe, nous demandons que la France agisse au travers des pressions qu’elle peut avoir sur l’Union européenne.
Au cours de l’université d’été du PCF, qui s’est déroulée le week-end dernier et à laquelle vous avez participé, vous êtes intervenus sur le rôle de la culture dans la résistance palestinienne. Pouvez-vous nous éclairer sur son sens et ses enjeux ?
Mohammed Halayka Le concept de la résistance peut se comprendre de différentes manières. On peut comprendre la résistance comme lutte armée ou comme lutte pacifique. C’est un concept très large. Pour moi, la résistance en Palestine, c’est le refus absolu et total de la colonisation. C’est un positionnement clair vis-à-vis de l’occupant israélien. La culture de la résistance est la généralisation du refus de la colonisation. L’aspect culturel de la résistance constitue un lien essentiel entre toutes les composantes du peuple palestinien, qu’elles soient celle de la diaspora, partout dans le monde, des Palestiniens en exil, à Gaza ou en Cisjordanie. Cette volonté d’affirmation n’est en aucun cas une affirmation chauvine. C’est l’affirmation d’une culture nationale et, en même temps, diverse et universelle. Nous essayons, à partir de nos actions culturelles, dans les domaines du théâtre, de la musique, de la littérature, de la peinture ou du cinéma, d’être une partie de ce monde pour témoigner des souffrances du peuple palestinien et participer à l’humanité dans sa construction universelle.

Maher Al Charif Les Palestiniens, après la débâcle de 1948, ont perdu leur identité politique. À partir de cette date, on a commencé à parler de réfugiés palestiniens et non pas d’un peuple palestinien avec tous les caractères d’un peuple et d’une nation. Grâce à la culture, au cours de cette période et en l’absence d’identité politique, le peuple palestinien a pu se conserver en tant que peuple. À l’intérieur de la Palestine et dans la diaspora, les Palestiniens ont démontré qu’ils étaient vraiment un peuple chassé de sa terre natale. La stratégie d’effacement de l’identité palestinienne a été engagée depuis la naissance du projet sioniste, c’est-à-dire depuis la fin du XIXe siècle avec Theodor Herzl. Elle a perduré avec ses continuateurs qui ont considéré que la Palestine était une terre vide peuplée d’Arabes qui, comme tous les Arabes, pouvaient reprendre leur tente et aller n’importe où dans le désert. Dès le début, ce refus de reconnaître une identité nationale palestinienne a été engagé. En cela, le rôle de la culture a été déterminant pour contrer cette stratégie d’effacement et préserver l’identité palestinienne. Aujourd’hui, c’est la même politique mais sous une forme modernisée qui continue. Même dans les accords d’Oslo et même dans les lettres de reconnaissance mutuelle entre Rabin et Arafat, on a reconnu l’OLP mais on n’a pas un peuple palestinien. À partir de 1967 et l’occupation de toute la Palestine mandataire par Israël, il y a eu une identification entre culture et résistance. La résistance s’inspire de la culture et la culture participe à l’approfondissement de la résistance.
La dernière agression israélienne contre Gaza a laissé derrière elle des milliers de morts, de blessés et des zones entièrement dévastées. À quelles conditions la colombe peut-elle ramener un rameau d’olivier vers la Palestine ?
Lydia Samarbakhsh Cette guerre menée par Israël avait pour objectif de casser l’unité nationale retrouvée des Palestiniens, unité retrouvée avec un programme et une feuille de route. La situation est grave. Il s’agit de commencer à réparer un traumatisme et des morts et des blessures qui sont très profondes, avec des destructions de grande ampleur. En même temps, il s’agit de continuer à faire avancer les objectifs politiques de l’Autorité palestinienne et de son gouvernement d’unité nationale dans la perspective de créer les conditions pour l’élection d’une nouvelle assemblée. Pour préciser ce qui pourrait être le rôle de la France, de la communauté internationale et de l’Union européenne, le cessez-le-feu obtenu est un pas en soi mais n’efface pas l’ardoise de ce qui s’est passé au cours de ces derniers mois c’est-à-dire que l’État d’Israël doit répondre des actes qu’il a commis. Il a commis des crimes qui relèvent de crimes contre l’humanité. Par ailleurs, il y a un effort d’investissements considérable à engager dans les territoires palestiniens. Pour aider à la reconstruction, on estime, pour compenser les destructions, à 4 milliards d’euros les sommes nécessaires et un effort de reconstruction sur quinze ans. La reconstruction doit être la priorité de l’action de l’Union européenne, de la communauté internationale et d’un pays comme la France. Ce serait faire en sorte, non pas de laisser détruire le fruit de la coopération internationale mais de construire et de reconstruire les territoires palestiniens.
Maher Al Charif En 2002, quand l’armée israélienne a envahi la Cisjordanie, Moshe Ya’alon qui est actuellement le ministre de la Défense, était à l’époque le chef du commandement général de l’armée. Il a déclaré que le but de l’invasion était que le peuple palestinien se sente comme un peuple vaincu. Plus tard, les dirigeants d’Israël ont commencé à parler de brûler la conscience nationale palestinienne. Tout à l’heure, j’ai indiqué que, dès le début, les dirigeants sionistes ont nié l’existence du peuple palestinien. Mais ils sont allés plus loin encore. Ils ont essayé et ils essayent toujours de déshumaniser les Palestiniens. Récemment, une affiche a été distribuée dans les rues de Tel-Aviv et dans les autres villes d’Israël, qui disait : « Nos missiles sont là pour défendre nos citoyens civils mais les citoyens palestiniens sont pour les défendre les missiles. » C’est une déshumanisation totale des Palestiniens. Bien sûr, on ne peut pas dépasser le caractère humain de cette dernière agression israélienne, la troisième en sept ans. On ne peut pas dépasser le fait qu’il y ait eu 2  162 morts et, parmi eux, une majorité écrasante de civils palestiniens : plus de 500 enfants ! On ne peut pas dépasser le fait il y ait eu la destruction de quartiers. Mais malgré nos souffrances, nous avons démontré, grâce à notre résistance, que nous ne sommes pas un peuple vaincu. Nous avons perdu militairement. Nous avons perdu énormément au niveau humain mais ils n’ont pas réussi à casser notre résistance, notre volonté de résister et notre volonté de continuer la lutte pour arriver à une paix juste basée sur le mot d’ordre : « Deux États, pour deux peuples ». Nous n’avons pas d’autre choix que de continuer cette lutte et, effectivement, renforcer la réconciliation nationale. Le Hamas fait partie du peuple, de sa résistance. Nous sommes en désaccord total avec son programme social mais on ne peut pas nier son rôle dans la résistance palestinienne.
Mohammed Halayka. Depuis 1948 jusqu’à présent, plus de dix guerres se sont déroulées. Après 2006, quatre guerres en moins de dix ans. Ces guerres reposent sur deux raisons. D’abord, je l’ai dit, c’est l’appui et le soutien américain et européen à la politique d’agression et de force de l’État d’Israël. La deuxième raison, c’est la culture fasciste de cet État qui ne veut pas s’intégrer dans son environnement régional. Ceci a produit l’aveuglement de la violence. Pour que le rameau d’olivier soit retrouvé, il faut des pressions internationales à la hauteur de la situation et de sa gravité. Et ceci non seulement pour faire cesser le soutien dont Israël fait l’objet, mais aussi pour changer l’état d’esprit interne à Israël. Dans ce contexte, la France a une très grande responsabilité par l’action qu’elle peut mener au sein de la communauté internationale et du monde occidental dit « civilisé ».