jeudi 3 avril 2014

UN RAPPORT DE L'UNICEF Le traitement indigne des enfants palestiniens par l’armée israélienne

Depuis plusieurs années, le Fonds des Nations unies pour l'enfance (UNICEF) suit la situation des enfants palestiniens en détention militaire israélienne. En mars 2013, l’UNICEF a rendu un rapport complet sur la manière dont les autorités israéliennes se comportent avec les jeunes Palestiniens arrêtés en Cisjordanie. Le jugement est sans appel. Selon l’agence des Nations unies, l’armée utilise des pratiques « cruelles, inhumaines et dégradantes » dans le traitement des enfants palestiniens.
Ces pratiques semblent être « généralisées, systématiques et institutionnalisées », souligne le rapport qui confirme les observations formulées par nombre d’ONG qui avaient enquêté sur le sujet. Quelques statistiques permettent de brosser le contexte. L'armée israélienne a arrêté et fait juger, au cours de la dernière décennie, environ 7.000 enfants palestiniens âgés entre 12 à 17 ans, sur une population totale d’environ 2,5 millions d’habitants en Cisjordanie. Il s’agit majoritairement de garçons âgés de 12 à 17 ans, arrêtés, interrogés par les forces armées israéliennes, puis poursuivis par le procureur militaire, avant d’être jugés par un tribunal militaire. Chaque année, environ 600-700 enfants palestiniens, certains âgés d’à peine 12 ans, sont arrêtés, détenus et poursuivis dans le système de détention militaire israélien. Il y a en permanence autour de  200 enfants détenus par l'armée israélienne.

Les preuves de la violation des droits fondamentaux

La lecture des rapports de l’UNICEF et des ONG compétentes (par exemple, Public Committee Against Torture in Israel ou Defence for Children International) permet de se faire une meilleure idée de la nature et de l’étendue des violations des droits fondamentaux de ces enfants. La majorité des arrestations des enfants palestiniens se produit la nuit, entre minuit et 5 heures du matin. Les arrestations sont effectuées par des soldats lourdement armés, qui pénètrent de force dans des maisons plongées dans l’obscurité, dont les habitants sont généralement endormis. La porte d’entrée et le mobilier du foyer sont parfois dégradés par les soldats lors de l’opération. Une fois localisés dans la maison, les enfants sont arrêtés devant les membres de leur famille, leurs parents, frères et sœurs. Ces enfants ne représentent en général aucun danger pour l’armée israélienne.
Cette dernière pourrait faire le choix de les arrêter durant la journée, par des équipes légèrement armés. Elle fait le choix inverse en vue d’instiller un climat de crainte et d’insécurité dans les familles palestiniennes. Toutes les ONG soulignent le stress et les sérieuses conséquences psychologiques que ce type d’arrestations nocturnes génère chez les enfants. Les rapports relèvent en outre que les arrestations, qu’elles aient lieu de nuit ou de jour, s’accompagnent souvent de mauvais traitements : force utilisée souvent non nécessaire ou utilisée de manière disproportionnée ; enfants tirés de leur lit violement ; bandage des yeux ; mains liés dans le dos par des attaches en plastique ; brutalité dans la manière dont les enfants sont souvent « jetés » dans des véhicules militaires où ils sont maintenus à plat ventre sur le sol durant le trajet.
Ces rapports soulignent également que les mauvais traitements se poursuivent au cours du transfert et durant les interrogatoires. La détention avant comparution devant un tribunal, qui a lieu dans des centres d’interrogatoire israéliens, dure généralement entre 24 et 48 heures, durée qui peut être renouvelée un fois pour les besoins de l’enquête. Durant cette période, les enfants palestiniens sont souvent victimes d’humiliations (en ce compris des fouilles leur imposant la nudité), de violences verbales, de privations de sommeil, d’eau et de nourriture, d’accès aux toilettes mais aussi parfois de violences physiques.
La plupart des mauvais traitements sont commis par des soldats, des policiers ou des agents de sécurité (lors des arrestations) et des enquêteurs (lors des interrogatoires). Dans les 20% de cas où il est estimé que l’enfant âgé d’au moins 14 ans représente une menace pour la sécurité, la période de détention avant comparution devant un tribunal peut durer jusqu’à 10 jours, voire même 15 jours.
Au cours de cette période, l’enfant est parfois placé en isolement cellulaire et continue à être régulièrement interrogé. Certains sont menottés aux pieds (et parfois aussi aux mains), y compris lors de leur arrivée au tribunal. Durant les interrogatoires, l’enfant n’a pas accès à un avocat ou à un membre de sa famille. Dans 90 % des cas, les enfants sont interrogés seuls et rarement informés de leurs droits, en particulier leur droit à un avocat et de leur droit au silence. Les techniques d’interrogatoire sont coercitives mentalement et physiquement. Elles contiennent un mélange d’intimidations, de menaces et de violences physiques (positions forcées), dont l’intention est d’obtenir une reconnaissance des faits allégués et des dénonciations. Il en résulte un nombre important d’aveux forcés. Dans la majorité des affaires, les enfants sont interrogés en hébreu sans traducteur, et signent des déclarations en hébreu, langue qu’ils ne comprennent pas. Ces déclarations sont pourtant considérées comme valables.

Une justice d'exception

Les enfants palestiniens sont ensuite jugés par des tribunaux militaires, dont la mission est de contribuer à faire respecter l’ordre et la loi dans les territoires occupés. Cette orientation quasi-automatique des mineurs - quel que soit la nature des faits reprochés, y compris ceux contre les colons israéliens - vers la justice militaire est critiquable : il devrait y avoir au moins une distinction entre les faits commis contre des militaires et les autres. Israël est le seul Etat au monde à engager systématiquement des poursuites judiciaires contre des enfants dans des tribunaux militaires, qui font prévaloir leur mission répressive sur l’intérêt de l’enfant et sa réinsertion sociale. Ces tribunaux ne présentent pas non plus les garanties permettant d’assurer un procès équitable : pas d’indépendance et d’impartialité du tribunal, accès incomplet au dossier par les parties, impossibilité d’entendre des témoins et d’examiner les preuves, recours fréquent à détention préventive. Les procès laissent peu de chances à ces enfants. Leurs aveux étant considérés comme des preuves, nombreux sont ceux qui préfèrent avouer pour être libérés et les aveux ne sont pas remis en cause par les juges. Les infractions reprochées consistent le plus fréquemment en des « jets de pierres » pour lesquels ils risquent des peines très lourdes : pour des mineurs entre 12 et 14 ans jusqu'à 6 mois de prison, entre 14 à 16 ans jusqu'à 10 ans d’emprisonnement, et même 20 ans, s’ils ont ciblé des véhicules en mouvement. A partir de 16 ans, ils encourent les mêmes peines que les adultes. Ces peines sont disproportionnées et en contradiction avec le droit international qui prévoit que les peines encourues par les enfants doivent être réduites par rapport à celles applicable pour les adultes. Dans l’espoir d’éviter ces peines très lourdes, 90% des enfants palestiniens plaident coupables. Ils sont en tout état de cause très rarement relaxés : le taux de condamnation atteint les 99%.
200 enfants âgés de 12 à 17 ans se trouvent dans des centres de détention militaires israéliens pour atteintes présumées à la sécurité ou pour purger une peine de prison. 75 mineurs sont détenus dans des prisons situées en Israël en 2012, ce qui constitue une violation de l’article 76 de la quatrième Convention de Genève prohibant la détention d’un ressortissant de la puissance occupée en territoire de la puissance occupante. Les rapports de l’UNICEF et des ONG relèvent aussi des abus subis par les enfants palestiniens dans les prisons israéliennes, même si ceux-ci sont moins nombreux que dans les centres d’interrogatoires. Un quart des mineurs déclare y avoir subi des violences physiques telles que des coups de pied, des gifles, des mauvais traitements.

Des « terroristes potentiels »

Les raisons du traitement réservé aux enfants palestiniens sont difficilement compréhensibles. Un tel sort semble résulter de l’idée très répandue dans l’armée israélienne que les enfants palestiniens arrêtés doivent être traités presque comme des adultes, car ils seraient des « terroristes potentiels ». L’UNICEF note d’ailleurs qu’il y a un décalage important entre les textes internes à l’armée - reconnaissant des droits aux enfants et interdisant certains comportements, conformément à la jurisprudence de la Cour suprême israélienne - et les pratiques souvent indignes sur le terrain. L’incompréhension est d’autant plus forte que les enfants israéliens ne sont pas traités de cette façon : leur arrestation est confiée à la police et les cas de mauvais traitements recensés sont très rares ; ils ont toujours le droit soit à la présence d’un avocat, soit à la présence d’un parent lors de l’interrogatoire ; ils ne peuvent pas être emprisonnés avant l’âge de 14 ans ; ils ne peuvent être détenus plus de 48 heures sans être présenté à un juge. Aucun mineur israélien n’entre en contact avec le système de tribunaux militaires, y compris les enfants vivant dans les colonies en Cisjordanie. Ils ont le droit à un vrai procès équitable. On remarquera en outre que les colons israéliens mineurs sont très rarement arrêtés (et jamais poursuivis) pour des infractions commises non pas contre des militaires armés ou des véhicules blindés mais contre des civils palestiniens désarmés qui se rendent à leur travail ou aux champs.
L’absence de volonté des autorités israéliennes de régler le problème se manifeste dans l’impunité dont les militaires et les policiers bénéficient. Des plaintes sont régulièrement déposées auprès des autorités israéliennes concernant les mauvais traitements des enfants palestiniens. Elles sont déposées soit par la famille du mineur, soit par des ONG palestiniennes ou israéliennes. Elles aboutissent rarement à une enquête sérieuse et jamais à des poursuites pénales contre les militaires ou les policiers concernés.
Ces pratiques violent le droit international résultant des conventions ratifiées par Israël, que ce soit le pacte des droits civils et politiques de 1966, la convention interdisant la torture et les traitements cruels et dégradants de 1984 ou la convention des droits de l’enfant de 1989 (notamment de son article 37). Elles affectent durement la vie de milliers d’enfants palestiniens. Sans que cela ne suscite de réaction vigoureuse de la communauté internationale et de ses Etats membres.