mardi 11 mars 2014

"Je ne peux pas vous donner d'informations sur votre santé, pour des raisons de sécurité" - la vie d'un prisonnier palestinien dans le complexe pénitentiaire israélien

Palestine occupée - 11 mars 2014
Par Corporate Watch
Un appel international à action a été lancé en solidarité avec les prisonniers palestiniens détenus dans les geôles israéliennes. Corporate Watch a enquêté sur les entreprises impliquées dans le système carcéral israélien et interviewé des ex-prisonniers. Cet entretien fait partie d'une série d'articles qui seront publiés au cours des mois à venir, et qui se centrent sur les entreprises fournissant des équipements et des services au Service pénitentiaire israélien (Israeli Prison Service, IPS).
Nous avons rencontré Salah chez lui à Beit Hanoun, au nord de la Bande de Gaza, quelques semaines après sa libération, après 7 ans de prison en Israël. Une tente de célébration a été monté dans la cour de la maison depuis sa libération. Nous voulions que Salah nous parle de la situation des détenus malades dans les geôles israéliennes, des problèmes particuliers des prisonniers originaires de Gaza et de la complicité d'entreprises internationales comme G4S et Hewlett Packard dans le système carcéral israélien. La prison Ketziot, où Salah a passé une partie de sa condamnation, fait appel aux services de la compagnie britannico-danoise G4S depuis 2007.
'Je ne peux pas vous donner d'informations sur votre santé, pour des raisons de sécurité' - la vie d'un prisonnier palestinien dans le complexe pénitentiaire israélien
Les effets des attaques aériennes israéliennes ne sont jamais très loin à Beit Hanoun. Tandis que ses fils et ses petits-fils nous apportent du thé, Salah nous dit que pendant le bombardement israélien de novembre 2012, son petit-fils Hisham, qui avait 3 ans et demi, "jouait pas très loin d'un immeuble du gouvernement. Le bâtiment a été frappé par un F16 et des gravats l'ont blessé à la tête. Il a passé 7 jours en soins intensifs." Il nous fait toucher la cicatrice de la blessure sur le crâne de Hisham et poursuit : "Mon fils Abed, qui a maintenant 20 ans, était dans la rue quand le groupe de jeunes avec lequel il se trouvait a été visé par un Apache. Un des jeunes a été tué, et 18 ont été blessés. Abed a été amputé d'une main et il souffre de problèmes psychologiques graves."
Quand nous défendions nos enfants, nos maisons et nos terres
Salah nous dit qu'il veut nous raconter ce qui s'est passé quand, comme il le dit, "nous défendions nos enfants, nos maisons et nos terres."
"J'ai été arrêté pendant la première Intifada et emprisonné sous détention administrative pendant quatre mois. Lors de mon arrestation, j'ai été frappé à la tête avec une pierre. Pendant l'interrogatoire, j'ai été torturé, ils m'ont comprimé les testicules. J'ai été libéré pendant dix jours puis à nouveau arrêté sans inculpation pendant deux autres années. Pendant cette période, je me souviens que l'un des soldats a pissé sur le sol puis il a pris de l'urine et l'a mise de force dans ma bouche. Au cours de l'interrogatoire, ils m'ont frappé aux jambes et aux orteils avec des bâtons." Il remonte son pantalon et nous montre ses jambes et ses pieds couverts de cicatrices.
Il continue son récit : en novembre 2006, "les Israéliens ont envahi Beit Hanoun et ont ordonné à tous les hommes entre 15 et 50 ans de se rassembler à un endroit et leur ont demandé leurs papiers d'identité. Quand ils sont arrivés à moi, ils ont pris ma carte d'identité, puis ils m'ont demandé de me déshabiller, sauf mes sous-vêtements. Ils m'ont obligé à déambuler d'un côté et de l'autre, c'était humiliant. Puis ils m'ont arrêté."
Au moment de son arrestation, Salah était soigné pour des problèmes cardiaques. Il a été emmené au checkpoint de Beit Hanoun (Erez) où il a été détenu pendant 3 jours, puis ils l'ont emmené à la prison d'Ashkelon où il a été autorisé à voir un médecin. Celui-ci a dit "qu'il n'était pas responsable de ce qui se passait pendant l'interrogatoire" et que Salah "pouvait mourir" étant donné sa faiblesse due à ses problèmes de santé. Malgré cela, Salah a été interrogé sans interruption pendant 10 heures. Pendant l'interrogatoire, il a ressenti une douleur dans la poitrine. Ils lui ont donné des analgésiques et les questions ont continué. Salah nous dit : "J'ai passé 35 jours dans les cellules d'interrogatoire sans aucun soin médical. Ma santé s'est détériorée pendant l'interrogatoire, et la dernière partie a duré 17 heures d'affilée - j'étais épuisé. A la fin, ils m'ont obligé à signer des documents en hébreu auxquels je n'ai rien compris."
"Ils m'ont accusé d'être un dirigeant du Fatah et un membre des Brigades des Martyrs d'Al-Aqsa [un groupe de résistance armée aligné au Fatah] et de faire de la propagande pour les Brigades des Martyrs d'Al-Aqsa. Je leur ai dit que je n'avais rien à voir avec ça."
"Dans la prison de Bir Al-Saba [Beeersheva] en 2007, j'ai eu une attaque cardiaque. Ils m'ont mis dans un véhicule pénitentiaire semblable à une ambulance mais sur la civière, j'étais menotté, les jambes attachées et je portais un masque à oxygène. Quand on est arrivé à l'hôpital de Bir Al-Saba, j'ai demandé, 'Où suis-je, où suis-je ?' mais ils ne m'ont rien dit."
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Prison Eshel, au sud de Bir Al-Saba (crédit photo : Moshe Shai/Flash90)
"J'y suis resté quelques heures. Les médecins ne m'ont pas parlé, seulement avec les soldats. Puis on m'a ramené à la prison. J'ai demandé ce que le docteur avait dit sur mon état. L'officier m'a répondu qu'il ne pouvait rien me dire sur ma santé, que c'était une question de sécurité. J'ai dû revenir à l'hôpital régulièrement. Le trajet de l'hôpital à la prison prenait 9 heures. J'ai demandé à être transporté dans une véritable ambulance mais ils ont refusé."
"C'est un chien"
"En 2012, lorsqu'on m'a emmené à l'hôpital, un des gardiens a claqué la porte sur mes jambes, exprès. L'autre gardien lui a dit, "Pourquoi tu as fait ça ?". Il a répondu, 'C'est un chien, ne t'inquiète pas pour lui.'"
"J'ai continué à protester contre les soins médicaux inappropriés et à cause de cela, ils m'ont constamment transféré d'une prison à l'autre. Les analgésiques et l'eau sont les seules solutions qu'ils donnent à vos problèmes de santé quand vous en parlez. J'ai rencontré des représentants du Comité international de la Croix-Rouge, en prison. Je leur ai parlé de mon état. Ils m'ont fait des promesses mais ça ressemblait à des slogans, juste des mots."
"Pendant la grève de la faim de 2012, j'étais dans la prison Nafha. J'étais trop malade pour participer à la grève. Les gardiens essayaient de forcer les prisonniers à manger. J'ai vu comment ils faisaient. Moi et les autres prisonniers malades, nous avons menacé que si les Israéliens ne satisfaisaient pas les exigences des autres prisonniers, nous rejoindrions la grève de la faim et refuserions l'eau et la nourriture."
"Quand j'étais sous oxygène, à l'infirmerie de la prison, j'ai vu les unités israéliennes donner des coups de pieds et de poings aux grévistes de la faim. Les gardiens arrivaient avec de la nourriture et leur demander de manger."
"J'ai vu des docteurs dire aux grévistes : 'Si vous ne cessez pas la grève de la faim, nous ne vous donnerons pas vos médicaments.' C'était comme une bataille de défis entre les prisonniers palestiniens et l'administration carcérale (IPS). Si un détenu brisait la grève de la faim, les gardiens essayaient de l'humilier. Quelquefois, nos vêtements disparaissaient et on nous laissé en sous-vêtements. Ils envahissaient nos cellules tous le temps."
"Les vies des prisonniers en grève de la faim ne valaient rien - mais que peut-on espérer de gens qui tuent des enfants ?"
Déni de visites
Après l'élection du Hamas en 2006 et la lutte pour le pouvoir entre le Hamas et le Fatah, qui s'est terminée par le maintien au pouvoir du Hamas dans la Bande de Gaza, l'armée israélienne a décidé de mettre fin à toutes les visites en prison des familles des prisonniers palestiniens originaires de Gaza. Selon Salah, "De 2006 à 2012, je n'ai reçu aucune visite. Puis, après 28 jours de grève de la faim, il y a eu un accord, sous supervision égyptienne. L'administration carcérale a accepté d'autoriser quelques visites familiales. J'ai eu des visites à peu près tous les 2 mois."
L'IPS continue de limiter le nombre de visites des prisonniers de Gaza.
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Salah a été emprisonné à Ketziot, dans le Naqab (photo ci-dessus), pendant 3 ans. G4S a un contrat de fourniture d'équipement et de services avec cette prison. Salah nous dit que les conditions d'incarcération à Ketziot sont particulièrement dures.
"On était dans les caravanes. Il y a 3 sections à Ketziot : des tentes, des caravanes et des baraques en ciment. Un des officiers israéliens à Ketziot est venu dans ma cellule et a menacé de me tuer, un des gardiens a pris une agrafeuse et m'a planté une agrafe dans le crâne. Quand ils envahissaient nos cellules à Ketziot, ils tiraient des grenades lacrymogènes et nous aspergeaient de spray au poivre. Ils pulvérisaient du gaz dans nos cellules. L'odeur était nauséabonde, même si on lavait nos vêtements, l'odeur persistait pendant plusieurs jours. Elle nous faisait éternuer. Certains s'évanouissaient. A Ketziot, ils ne faisaient aucune différence entre les prisonniers en bonne santé, les malades et les vieux. Mes amis me mettaient sous le lit pour me protéger parce que j'étais faible et ils avaient peur que je sois tué."
"J'ai aussi été emprisonné à Ramon et à Ohalei Keidar."
"D'une petite à une grande prison"
"Quand j'ai été libéré, ils m'ont dit, 'Que ce soit la dernière fois pour toi, Salah'. Ils ont dit qu'ils me retrouveraient facilement si je causais des problèmes. Depuis ma libération, je suis très nerveux. Je ne supporte aucun bruit fort. Je préfère être seul." Salah se met à pleurer en disant cela.
"Je suis passé d'une prison à une grande prison, ici il y a les drones dans le ciel et les passages frontaliers sont fermés. Le gouvernement britannique devrait faire pression sur Israël pour libérer les prisonniers - c'est de la responsabilité de la Grande-Bretagne. Le détention administrative, c'est leur loi et tous les problèmes ont commencé avec la Déclaration Balfour."
"J'aimerais que la communauté internationale poursuive ses efforts pour faire prendre conscience des conditions des prisonniers dans les geôles israéliennes. G4S et les autres compagnies devraient être poursuivies et traduites devant la Cour pénale internationale, ils font de l'argent grâce aux crimes commis contre le peuple palestinien."
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Le top de la technologie pour surveiller la Bande de Gaza, ici à Beit Hanoun (Photo Corporate Watch, novembre 2013)
De nombreux médecins israéliens complices des crimes de l'occupation
Un groupe de médecins a appelé au boycott de l'Association médicale israélienne, dans la ligne de l'appel palestinien au boycott, au désinvestissement et aux sanctions. L'appel se base sur la complicité de l'AMI dans la torture et les violations israéliennes des droits de la population civile, en vertu de la Quatrième Convention de Genève. Le docteur Derek Summerfield, un partisan britannique du boycott, a dit qu'il se justifiait dans la mesure où de nombreux médecins israéliens étaient complices des crimes de l'occupation. Selon Summerfield, un médecin israélien a reconnu "avoir retiré une perfusion intraveineuse du bras d'un prisonnier palestinien gravement malade, et avoir dit à l'homme que s'il voulait vivre, il devait coopérer avec ses interrogateurs."
Agissez
Une façon d'agir en solidarité avec les prisonniers malades est de soutenir les appels pour l'expulsion de l'AMI de l'Association médicale mondiale, pour complicité dans le militarisme et l'apartheid israélien.
Pour plus de détails, visiter www.boycottima.org (site non mis à jour depuis 2007, ndt)
Vous pouvez aussi vous joindre à la campagne contre G4S, en cliquant ici.
Voir sur Press Tv une manifestation de soutien aux prisonniers organisée à Gaza par le Jihad Islamique, le lundi 3 mars 2014
Source : Corporate Watch
Traduction : MR pour ISM
http://www.ism-france.org