mardi 12 juillet 2011

Entretien avec Mona Salim Saleh Mansour, membre du Conseil législatif palestinien

Naplouse - 12 juillet 2011
Par Mona Mansour
Mansour, députée Hamas à Naplouse, est la veuve de Jamal Mansour, dirigeant politique du Hamas tué par un missile tiré depuis un hélicoptère israélien Apache le 31 juillet 2001 dans son bureau, à Naplouse. Considéré comme un héros et un martyr, il a été arrêté 14 fois par les autorités israéliennes et emprisonné pendant trois ans par l'Autorité palestinienne. Ancien professeur de physique, elle a décidé de participer au gouvernement pour poursuivre la politique de son mari de réconciliation entre le Hamas et le Fatah. Elle a été kidnappée par les autorités d'occupation le 21 juillet 2008 et libérée le 2 mars 2009.
"Mon mari plaisantait, 'Que ferais-tu si j'étais tué ?' Je lui ai répondu, 'Je pleurerais.' Il a dit, 'C'est normal de pleurer.' Je lui ai dit, 'La maison est trop petite pour recevoir ceux qui participeront au deuil.' Ils sont arrivés par autobus entiers. Le jour de sa mort, le cortège fut le plus long jamais vu en Palestine. Les gens des villes et des villages voisins se sont joints aux funérailles malgré les barrages installés par l'occupation israélienne."
Entretien avec Mona Salim Saleh Mansour, membre du Conseil législatif palestinien
Comment votre époux a-t-il été tué ?
C'était le 31 juillet 2001. Jamal avait quitté la maison vers 11h pour aller à son bureau. Des hélicoptères israéliens Apache ont tiré des missiles sur son bureau vers 13h30. Un missile l'a touché à la tête. Il était la principale cible. Il a été tué avec Jamal Saleem, un dirigeant politique, deux journalistes, son chef de bureau, un cousin et deux enfants qui passaient par là.
C'était un homme bon. Jamal Mansour réglait rapidement les problèmes entre le Fatah et le Hamas. Il était pour la réconciliation et l'unité. S'il était toujours là, il résoudrait les problèmes, Dieu soit loué. Sa perte m'a presque tuée. Il était tout dans ma vie. Nous étions amis aussi bien que mari et femme. Si je n'étais pas très croyante, Dieu merci, j'aurais perdu l'esprit.
Mon jeune fils Badir me fait de la peine. Il pleure et il ne veut pas croire que son père ne reviendra jamais. Quand nous allons au cimetière, il dit : "Laissons-le sortir de sa tombe."
Comment êtes-vous devenue membre du Conseil législatif palestinien ?
L'idée de devenir membre du CLP ne m'avait jamais traversé l'esprit. J'étais un très bon professeur de Physique. Cependant, j'ai pensé que ce serait l'occasion de faire entendre la voix des Palestiniennes musulmanes. Je voulais que le monde connaisse la femme palestinienne : ce qu'elle pense, ses aspirations.
Et l'Islam encourage les femmes à faire de la politique. Grâce à mon mari, j'avais rencontré beaucoup de gens de toutes les villes et villages. J'avais un réseau de relations. Le mouvement islamique m'a demandé de rejoindre sa liste, et j'ai accepté.
La mort de mon mari n'a pas été une fin : une femme peut continuer même si elle perd un être cher. Elle peut continuer à donner, à progresser. Sa vie ne s'arrête pas quand elle perd son bien-aimé.
Quelles furent les difficultés après la victoire ?
Nous nous attendions à la victoire du Hamas ; les gens ont confiance en lui. Il fournit un soutien humanitaire. Le Hamas est un mouvement social et institutionnel qui plonge profondément dans la société. C'est une organisation de la base populaire, pas un mouvement clandestin. Un peu d'argent fait des miracles dans les mains du Hamas, alors que des millions dans les mains des autres ne changent pas grand chose à la situation sur le terrain. Les dirigeants vivent avec le peuple, pas dans des tours d'ivoire. C'est la raison pour laquelle le Hamas gagne le respect et a un impact parmi le peuple.
Le problème fut que les élections n'ont pas répondu aux désirs du monde, en particulier Israël, les Etats-Unis, quelques pays arabes et quelques organisations en Palestine. Ils ont reconnu que les élections étaient propres, démocratiques et historiques, mais le Hamas a aussitôt été confronté à des restrictions, un embargo et des tentatives de renverser le résultat.
Je demande au peuple palestinien, en particulier à l'Autorité palestinienne, au nom de Dieu, de se souvenir que nous vivons sous occupation. L'occupation ne fait pas la distinction entre le Fatah et le Hamas, lorsqu'elle tire ses missiles. L'occupation israélienne veut que nous nous déchirions et détruire notre unité. Unissons-nous, malgré les blessures, pour réaliser le rêve palestinien. La Palestine a besoin de nous unis, pas divisés.
La paix est possible. Paix est un des noms de Dieu, qu'il soit loué.
Même lorsque votre mari était vivant, la vie était difficile
Notre vie était dure parce que l'occupation israélienne l'a emprisonné 14 fois. Ces années m'ont appris à être le père et la mère en même temps. J'étais à la fois la femme au foyer et le soutien de famille.
Son assassinat était la pire chose imaginable mais il a fallu que je continue à aller de l'avant. Je vais me coucher les larmes aux yeux mais le matin, je dois vivre ma vie quotidienne. Les gens ne peuvent imaginer la tristesse et la responsabilité que je porte. La pression psychologique quotidienne ne fait qu'ajouter l'insulte à la blessure.
Pour moi, participer aux élections était une aspiration à la joie de servir le peuple et le pays. Cependant, je fais l'objet de beaucoup de pression à cause de l'ingérence dans le résultat des élections et de la façon dont nous sommes traités en tant que représentants du peuple palestinien. Il est arrivé qu'on tire sur mon bureau.
Les conflits internes dans la Bande de Gaza, dont elle paie le prix par le siège et la famine, ont peut-être accru la tragédie du peuple palestinien.
Ce qui s'est passé à Gaza ne faisait pas partie de la politique, de l'approche ou de la stratégie du Hamas. La politique précédente et actuelle du Hamas est la même : il ne tirera pas sur les Palestiniens.
Si vous regardez ce qui a été détruit pendant le conflit, vous pourrez voir qui est responsable. Toutes les institutions du Hamas en Cisjordanie ont été fermées ou incendiées, y compris des organisations féminines. On a mis des pneus dans les institutions et on y a mis le feu. Des institutions qui se consacraient aux prisonniers ont été fermées. Les organismes du parti Changement et Réforme en Cisjordanie , à Jérusalem, Ramallah, Salfit, Naplouse, Bethléem et Hébron ont tous été incendiés. Malgré tout cela, le Hamas n'a pas tiré une seule balle, ni brûlé une seule maison, ni attaqué une seule voiture appartenant à un membre du Fatah.
Ceux qui étudient la stratégie du Hamas et suivent son comportement par le passé savent que ce n'est pas la politique du Hamas. Le Hamas a toujours considéré comme sacré le sang palestinien. Les instigateurs du combat à Gaza étaient des membres indisciplinés du Fatah.
Que pensez-vous des résolutions internationales sur le conflit israélo-palestinien ?
La Feuille de Route ? Elle signifie l'anéantissement de la résistance. C'est le premier point de la Feuille de Route. Ils ont laissé de côté la question des colonies. Bush a parlé de supprimer les enclaves de colons, mais qu'en est-il des grandes colonies ? Vont-elles rester autour de nous de manière à pouvoir nous bombarder quand ils veulent ?
Beaucoup d'autres factions palestiniennes ont dit "non" à l'accord d'Annapolis parce que l'Etat dont ils parlent est mystérieux. Quelles sont les frontières de cet Etat ? Est-ce un Etat souverain ?
Mahmoud Abbas n'a pas dit, dans son discours, que c'était un Etat souverain. Le rêve d'un Etat bombardé par les avions de guerre, chaque fois que ces avions auront envie de bombarder le peuple palestinien, n'est pas un Etat souverain.
Traduction : MR pour ISM