lundi 13 juin 2011

L’Odyssée de Hassan Hijazi, un jeune palestinien aux cheveux noirs

lundi 13 juin 2011 - 06h:35
Uri AvneryI - Counterpunch
Mon héro de l’année (à ce stade) est un jeune réfugié Palestinien aux cheveux noirs qui vit en Syrie et qui s’appelle Hassan Hijazi.
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Hassa Hijazi a fait voler en éclats tout le grotesque de la prétention sioniste sur la Palestine
Il faisait partie des centaines de réfugiés qui ont manifesté du côté syrien de la frontière du Golan pour commémorer la Nakba (la catastrophe) qu’a été l’exode de plus de la moitié du peuple palestinien du territoire conquis par Israël pendant la guerre de 1948. Quelques uns de ces manifestants ont escaladé les clôtures et ont traversé un champ de mines. Heureusement aucune n’a explosé, peut-être qu’elles étaient trop vieilles.
Ils sont entrés dans le village druze de Majdal Shams occupé par Israël depuis 1967 et s’y sont dispersés. Les soldats israéliens ont tiré et tué et blessé plusieurs d’entre eux. Les autres ont été attrapés et immédiatement déportés vers la Syrie.
Sauf Haasan. Il a rencontré un bus transportant des militants de la paix israéliens et internationaux qui l’ont emmené avec eux ; Peut-être qu’ils savaient d’où il venait, peut-être qu’ils ne le savaient pas. Il n’a pas le type arabe.
Il est descendu près de Tel Aviv. Il a continué son voyage en auto-stop et est arrivé à Jaffa, la ville d’où venait son grand-père.
Et là, sans argent et sans connaître personne, il a essayé de retrouver la maison de sa famille. Il n’y est pas arrivé, l’endroit avait trop changé.
Finalement il a réussi à contacter un journaliste de la télévision israélienne qui l’a aidé à se rendre à la police et il a été déporté en Syrie.
Un exploit tout à fait remarquable.
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Le fait que les réfugiés aient traversé la frontière a causé une quasi panique en Israël.
Il y a eu d’abord les récrimination habituelles. Pourquoi l’armée ne s’était-elle pas préparée à cette éventualité ? Qui était responsable, le commandement du nord ou les renseignements militaires ?
Derrière toute cette agitation se profile le cauchemar qui hante Israël depuis 1948 : et si les 750 000 réfugiés et leurs descendants, environ 5 millions aujourd’hui, marchaient un jour vers les frontières d’Israël du nord de l’est et du sud, brisaient les clôtures et inondaient le pays. Ce cauchemar est le miroir du rêve des réfugiés.
Pendant les premières années d’Israël, ça a été un cauchemar épouvantable. Le jour de sa création, il y avait 650 000 Juifs en Israël. Le retour des réfugiés aurait donc submergé le jeune état israélien. Plus tard, avec 6 millions de citoyens juifs, cette peur est passé à l’arrière-plan mais elle est toujours là. Les psychologues diraient qu’elle est l’écho de la culpabilité refoulée de la psyché nationale.
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Cette semaine la scène s’est répétée. Les Palestiniens réfugiés dans les pays qui entourent Israël ont institué le 5 juin "jour de la Naksa" pour commémorer le "revers" de 1967 quand Israël a spectaculairement écrasé les armées d’Egypte, de Syrie et de Jordanie renforcées par des troupes iraquiennes et saoudiennes.
Cette fois les israéliens étaient prêts. La clôture a été renforcée et un fossé anti-char a été creusé devant. Quand les manifestants ont essayé d’atteindre la clôture -à nouveau près de Majdal Shams - des tireurs d’élites leur ont tiré dessus, faisant 22 morts et des dizaines de blessés. Les Palestiniens ont dit que des personnes qui essayaient d’aider les blessés et de les ramasser ont aussi été tuées.
Il s’agissait sans aucun doute d’une tactique délibérée et décidée à l’avance par le commandement de l’armée après le fiasco du jour de la Nakba et approuvée par Binyamin Netanyahu et Ehud Barak. Comme cela a été dit ouvertement, il fallait donner aux Palestiniens une leçon qu’ils n’oublieraient pas afin de leur enlever toute velléité d’organiser des actions pacifiques de masse.
Cela rappelle dangereusement ce qui s’est passé il y a dix ans. Après la première intifada, pendant laquelle des adolescents et des enfants qui lançaient des pierres avaient obtenu une victoire morale qui a mené aux accords d’Oslo, notre armée s’est entraînée en vue d’une seconde intifada. Elle a éclaté après le désastre politique de Camp David et l’armée était prête.
La nouvelle intifada a commencé avec des manifestations de masse de Palestiniens désarmés. Ils furent accueillis par des tireurs d’élite spécialement entraînés. A côté de chaque tireur d’élite il y avait un officier qui lui désignait les gens sur lesquels il fallait tirer parce qu’ils avaient l’air d’être des meneurs : "Le gars avec la chemise rouge... Maintenant le garçon au pantalon bleu..."
Les manifestations pacifiques se tarirent et furent remplacées par des attentats suicide, par des bombes sur le bord des routes et autres actes "terroristes". Avec ce genre d’opérations notre armée se sentait en terrain familier.
J’ai bien peur que nous ne soyons en train de revivre la même chose. Des tireurs d’élite spécialement entraînés opérent sous les ordres d’officiers.
Il y a pourtant une différence. En 2001 on nous a raconté que nos soldats tiraient en l’air. Maintenant on nous dit qu’ils visent les jambes des Arabes. Autrefois, semble-t-il, les Palestiniens devaient sauter très haut pour se faire tuer, aujourd’hui ils n’ont qu’à se baisser.
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Tout cela n’est pas seulement meurtrier c’est aussi complètement idiot.
Cela fait maintenant des dizaines d’années que les territoires occupés en 1967 sont au coeur de tous les pourparlers de paix. Le président Mahmoud Abbas, le président Barack Obama et le mouvement israélien pour la paix parlent tous des "frontières de 1967." Quand mes amis et moi avons commencé (en 1949) à parler de la solution de deux états, nous ausi nous voulions parler de ces frontières-là. (Les "frontières de 1967" sont en fait simplement la ligne d’armistice de la guerre de 1948).
La plupart des gens, même dans le mouvement israélien pour la paix, ont complètement laissé de côté la question des réfugiés. Ils se maintenaient dans l’illusion que ce problème avait disparu ou en tous cas disparaîtrait quand la paix serait signée entre Israël et l’Autorité Palestinienne. J’ai toujours dit à mes amis que ce ne se passerait pas ainsi -on ne peut tout simplement pas balayer de la sorte 5 millions d’êtres humains. Cela ne sert à rien de faire la paix avec la moitié du peuple palestinien tout en ignorant l’autre moitié. Cela n’amènera pas "la fin du conflit" quelque soit la teneur de l’accord conclu.
Mais après des années de discussions, la plupart à huis clos, on est arrivé à un consensus. Presque tous les leaders palestiniens ont accepté, explicitement ou implicitement, ce qu’on a convenu d’appeler : "une solution négociée juste du problème des réfugiés." - ce qui fait que la solution doit être approuvée par Israël. J’en ai souvent parlé avec Yasser Arafat, Faisal al-Husseini et d’autres.
En pratique cela signifie qu’un nombre symbolique de réfugiés sera autorisé à rentrer en Israël (le nombre exact sera négocié) et les autres seront rapatriés dans l’état palestinien (qui doit être assez grand et viable pour que cela soit possible) ou recevront une généreuse indemnisation qui leur permettra de commencer une nouvelle vie là où ils vivent ou ailleurs.
Pour que cette solution pénible et compliquée soit plus facile à élaborer, tout le monde a convenu qu’il serait préférable d’en discuter à la fin des pourparlers de paix, lorsque les partenaires auraient une plus grande confiance mutuelle et que l’atmosphère serait plus détendue.
Et voilà notre gouvernement qui essaie de résoudre le problème avec des tireurs d’élite -et pas même en dernier ressort mais d’entrée de jeu. Au lieu de contrer les manifestants avec des méthodes pacifiques efficaces, ils tuent des gens. Cela ne fera bien sûr qu’intensifier la protestation, mobiliser des quantités de réfugiés et mettre le "problème des réfugiés" sur la table, et même carrément au centre de la table, avant que les négociations n’aient même commencé.
En d’autres termes, le conflit est ramené de 1967 à 1948. Pour Hassan Hijazi, le petit fils d’un réfugié de Jaffa, c’est une grande victoire.
Rien ne pouvait être plus idiot que ce que Netanyahu et Cie ont fait.
A moins bien sûr, qu’ils ne l’aient fait exprès, dans le but de rendre les négociations de paix impossibles.
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* Uri Avnery est un écrivain israélien et un militant pour la paix de Gush Shalom. Il a contribué au livre de CounterPunch : The Politics of Anti-Semitism.
10 mai 2011 - CounterPunch - Pour consulter l’original :
http://www.counterpunch.org/avnery0...
Traduction : Dominique Muselet
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