dimanche 12 juin 2011

De la Palestine à Tucson, solidifier les liens de solidarité

publié le dimanche 12 juin 2011
Yusi El Boujami, Gabriel Shivone et Ryan Velasquez *

 
Un examen de l’histoire de la Palestine contemporaine nous rend une image saisissante de la conquête et de la colonisation des terres indigènes traditionnelles par les États-Unis.
Aujourd’hui, alors que l’Arizona et les États-Unis attendent la décision fatidique du superintendant de l’enseignement public de l’Arizona, John Huppenthal, qui dira si le TUSD (District des écoles unifiées de Tucson) est touché ou non par l’interdiction des études ethniques [1], dans le monde occidental, à 17 000 kilomètres de là, des dirigeants de la jeunesse estudiantine transforment le Printemps arabe en un été.
Alors que des militants de la jeunesse s’organisent pour défendre et préserver les études ethniques en Arizona, nous voudrions mettre en avant certaines questions globales liées à notre lutte. Les habitants de l’Arizona, conscients de l’histoire de leur territoire, connaissent parfaitement tout ce qui a trait aux questions de déplacements, expulsions, transferts, nettoyages ethniques et exterminations d’êtres humains. Plus important encore, ils connaissent les conséquences historiques du refus de l’égalité entre les humains et d’une justice différée.
S’agissant des jeunes de l’Arizona mélangés, avec des racines autochtones, blanche, arabe, juive et chicanos, l’histoire de l’Arizona se rapporte à nous en tant que descendants à la fois des colons et des peuples indigènes. Cette histoire peut donner un aperçu sur le conflit Israël/Palestine et les perspectives de paix dans ces deux régions frontalières déchirées de 1948, 1967 et d’aujourd’hui.
Un examen de l’histoire de la Palestine contemporaine nous rend une image saisissante de la conquête et de la colonisation des terres indigènes traditionnelles par les États-Unis.
Dans son essai, « Le Mur de fer », l’un des « pères fondateurs » d’Israël, Ze’ev Jabotinsky, souligne cette observation fondamentale sur l’histoire humaine, selon laquelle « Nulle part et à aucun moment, il n’y a eu d’habitants indigènes à accepter que leur pays soit colonisé par d’autres ». Honnête dans son cynisme, Jabotinsky reconnaît que la population indigène palestinienne « voit la Palestine avec le même amour instinctif et la même ferveur véritable que tout Aztèque voyait le Mexique, ou que tout Sioux voyait sa prairie. Penser que les Arabes vont consentir, librement, à la réalisation du sionisme (forme de nationalisme juif visant à créer un État juif) en compensation d’avantages culturels et économiques que nous pourrions leur prodiguer est puéril ».
Jabotinsky savait, tout comme les dirigeants israéliens aujourd’hui le savent, qu’il faut chasser par la force les peuples indigènes si la politique de colonisation étrangère doit être poursuivie : « La colonisation sioniste doit... aller de l’avant sans tenir compte de la population originaire du pays et elle doit se poursuivre ‘derrière un mur de fer’ que cette population ne pourra pas franchir », écrit-il.
Après tout, « Il y a des circonstances dans l’histoire qui justifient un nettoyage ethnique » a fait remarquer un éminent historien israélien, Benny Morris, au quotidien israélien Ha’aretz, en 2004. « Même la grande démocratie américaine » dit Morris, « n’aurait pu être créée sans l’anéantissement des Indiens ».
Effectivement, les mouvements de colonisation agissent de façon à justifier l’injustifiable. Mais les peuples dépossédés racontent autrement l’histoire de la perte de leurs liens familiaux et territoriaux, comment leur mode de vie s’est réduit et leurs liens culturels dénaturés, de génération en génération.
Un autre aspect crucial de la colonisation de peuplement est le déni à tout peuple aborigène d’accéder à ses institutions culturelles qui préservent et enrichissent son patrimoine, sa mémoire et les futures générations.
C’est là où les luttes des peuples chicano, palestinien et de tout peuple indigène se croisent. Aux Études ethniques, nous nous réservons le pouvoir, dans notre enseignement fondé sur le social, d’empêcher l’éradication de notre culture. En effet, la conservation de l’intégrité culturelle et éducative est l’obstacle le plus menaçant pour les groupes dominants qui tentent d’asservir les minorités ethniques, en Arizona comme en Palestine.
Cela n’est pas seulement vrai dans un État tel que l’Arizona où la loi HB2281, votée en mai 2010, interdit les programmes d’études ethniques et ce sur des motifs fallacieux de promotion du racisme et de « renversement du gouvernement des États-Unis » - la loi autorise des sanctions économiques contre tout district scolaire devenu non conforme à l’interdiction (« Le projet de loi de l’Arizona ciblant les études ethniques est inscrit dans la loi » - Los Angeles Times, 12 mai 2010). L’un des plus éminents dirigeants militaires et politiques d’Israël, l’ancien Premier ministre Ariel Sharon, avait été cité par Ha’aretz en 2004, soutenant que « l’enseignement et la propagande palestiniens étaient plus dangereux pour Israël que les armes palestiniennes ».
Le procureur actuel de l’Arizona, Tom Horne (anciennement surintendant des écoles de l’Arizona) et le gouverneur, Jan Brewer, ne pouvaient être plus clairs en reconnaissant que, selon eux, les études ethniques étaient « dangereuses » parce qu’elles permettaient à notre population de conserver son enseignement selon nos conditions, au lieu d’accepter simplement l’histoire telle qu’imposée.
L’interdiction par Israël des études ethniques pourrait leur avoir fait honte. Le 22 mars dernier, la Knesset israélienne (le parlement) a voté la loi relative à la Nakba, qui interdit dans les écoles l’enseignement de la Nakba - le nettoyage ethnique de la Palestine qui a coïncidé avec la création d’Israël. Tout comme la loi HB2281 de l’Arizona, la « loi sur la Nakba » autorise l’État à refuser tout financement public aux institutions qui ne respectent pas cette loi.
Dans une lettre adressée aux députés israéliens avant le vote, Adalah, centre juridique pour les droits de la minorité en Israël, les a mis en garde, disant que « la loi allait porter gravement atteinte au principe d’égalité et aux droits des citoyens arabes de préserver leur histoire et leur culture », et il demandait le rejet de la loi (communiqué de presse de Centre du 27 mars : « Adalah, la loi viole les droits de la minorité arabe de préserver son histoire et sa culture »).
Un aspect moins discuté de la loi HB2281 interdit aux programmes d’études ethniques en Arizona de « promouvoir la solidarité ethnique ».
Quant à nous, nous sommes fiers de ne pas respecter cet aspect de la loi dans notre solidarité avec les peuples indigènes et palestinien.
C’est quand les forces dominantes se rendent compte que les minorités ethniques veulent l’égalité des droits dans une société, que nous pouvons vivre tous ensemble dans un respect et une dignité mutuels.
C’est à travers ces liens, et en unissant les luttes des uns et des autres, que nous pourrons franchir une étape dans la construction d’un monde meilleur, pour nous-mêmes et pour les futures générations.
[1] Si le programme d’études des écoles destinées aux Américains d’origine mexicaine est conforme ou pas à la nouvelle loi de nettoyage ethnique contre les études ethniques en Arizona - voir : http://blogues.cyberpresse.ca/hetu/... (ndt)
* Yusi El Boujami, étudiant en deuxième année, est un Américain arabe-juif au lycée de Tucson.
Gabriel Schivone est un Américain chicanos-juif, il étudie à l’université de l’Arizona. Il est aussi coordinateur de "Une Voix juive pour la paix" (Arizona), de "Etudiants pour la justice en Palestine". Il sera à bord de la Flottille pour la Liberté II, qui va prendre la mer fin juin 2011.
Ryan Velasquez est un Américain chicanos, il est diplômé 2011 du lycée de Tucson. Il a attiré l’attention au niveau national fin avril dernier quand, lui et huit autres jeunes de Tucson se sont enchaînés aux chaises et à l’estrade du conseil d’administration du TUSD de Tucson (district des écoles unifiées) pour empêcher le vote d’une résolution visant à se conformer à la l’interdiction de la HB2281 relative aux Études ethniques.
publié par The Electronic Infitada, 11 juin 2011
traduction : JPP pour l’AFPS