vendredi 18 mars 2011

En Cisjordanie, meurtre, colonie, occupation et... récupération

Naplouse - 17 mars 2011
Par Emmanuel Riondé
L’assassinat, vendredi 11 mars, d’une famille de colons juifs en Cisjordanie a permis à Benyamin Netanyahou d’annoncer le lancement de la construction de nouvelles colonies. Dans le même temps, l’armée israélienne s’est fendue d’une intervention musclée dans la région de Naplouse, instaurant notamment un couvre-feu de quatre jours dans un village proche de la colonie d’Itamar. Récit.
En Cisjordanie, meurtre, colonie, occupation et... récupération
Naplouse, ses taxis, ses colonies en haut des crêtes... E.R. (2008)
Après quatre jours et demi d’occupation, de bouclage et de couvre-feu, les troupes israéliennes se sont retirées, mercredi, du village d’Awarta, en Cisjordanie . Elles avaient investi cette bourgade de 6000 habitants samedi matin après que, dans la colonie voisine d’Itamar, cinq membres d’une même famille (les Fogel : le père, la mère et trois de leurs enfants) aient été trouvé morts, assassinés à l’arme blanche dans leur maison.
Suite à la découverte de leurs corps, un état d’alerte a été déclenché par les autorités israéliennes afin de retrouver les coupables. Situé dans le district de Naplouse au nord de la Cisjordanie , Awarta, le village palestinien le plus proche de la colonie, a subit à cette occasion un traitement un peu "spécial".
Palestinien résidant à Naplouse mais originaire du village où vit encore toute sa famille, Hakim, joint par téléphone, en a fait le récit à Regards. "Les soldats israéliens sont arrivés dans Awarta dès le samedi matin et y ont aussitôt décrété le couvre-feu. C’est le seul village qui a connu ce sort. Le dimanche matin, ils sont entrés dans la maison de mes parents et l’ont occupé : ils ont contraint l’ensemble de ma famille à se cantonner au rez-de chaussée tandis qu’eux investissaient l’étage afin d’en faire un poste d’observation. Mes parents, mes frères, ont dû tout négocier avec les soldats : se rendre aux toilettes, cuisiner, se restaurer, etc. Les soldats ont fouillé partout, renversé les meubles... Ils ont mangé et pris tout l’argent qu’ils ont pu trouvé." Un comportement évoquant plus les mauvaises manies d’une armée d’occupation que les nobles desseins de la "force de défense" que serait "Tsahal" selon la terminologie israélienne...
Détentions arbitraires
"Le lundi matin, poursuit Hakim, ils ont arrêtés mes deux jeunes frères (âgés de 21 et 29 ans, ndlr) et les ont retenus toute la journée dans une des maisons du village réquisitionnées comme centre de détention provisoire. Ils ont été libérés le soir même, après avoir passé une journée détenus mais sans que rien ne leur soit signifié et sans subir d’interrogatoire. En tout, une cinquantaine d’hommes du village ont ainsi été arrêtés. Les soldats israéliens s’étaient mis dans la cour de l’école du village d’où, avec un haut-parleur, ils ont ordonné à tous les hommes âgés entre 15 et 40 ans de sortir et de se présenter à eux. Ils ont ensuite relevé les empreintes digitales, des échantillons de salive, etc. Le couvre-feu a rendu le quotidien pénible. Difficile de se ravitailler, de trouver du gaz... Plus rien ne pouvait entrer dans Awarta et les soldats n’ont laissé sortir du village que les personnes gravement malades. Tous les autres ont dû rester chez eux. Je n’ai pu avoir des nouvelles des miens que par téléphone car il était impossible de s’y rendre."
Un couvre-feu qui a été levé pendant deux heures le lundi soir. "Des colons en ont profité pour s’attaquer à des maisons !" raconte Hakim. "C’est le paradoxe : les gens ne souhaitent évidemment pas être occupés par l’armée mais en même temps ils craignaient que son départ n’ouvre la voie aux attaques des colons. Car si il n’y a pas eu de problème dans Naplouse même, ces attaques ont été nombreuses sur les routes alentours, notamment l’axe qui relie Naplouse à Ramallah avec des cocktails molotovs, des pierre jetées sur les voitures, etc."
Les tensions entre colons et villages palestiniens ne sont pas une nouveauté dans la région de Naplouse. Et elles sont le plus souvent dûes aux provocations des colons israéliens, armés, qui n’hésitent pas à "descendre" (les colonies de Cisjordanie sont toujours installées sur les crêtes des collines) dans les villages avoisinants pour y agresser les habitants ou dégrader les cultures (lire un reportage réalisé en 2008 à Burin, dans la région de Naplouse)
Récupération politique
En l’occurrence, c’est bien l’assassinat survenu dans la colonie d’Itamar dans la nuit de vendredi à samedi qui a cette fois mis le feu aux poudres et conduit les colons de la région à multiplier les attaques à l’encontre des palestiniens. Pourtant, mercredi soir, les "suspected terrorists" ayant commis le crime n’avaient toujours pas été identifiés. Le président de l’Autorité nationale palestinienne a très fermement condamné cet acte qu’aucune organisation n’a par ailleurs revendiqué. Et si des dizaines de palestiniens ont été arrêtés et interrogés, les forces israéliennes ont également procédé à des interpellations dans la communauté d’ouvriers thaïlandais qui travaillent dans ces colonies.
Aucune hypothèse ne semble donc à ce jour pouvoir être écartée ou favorisée dans cette affaire de meurtre. Pourtant, le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, a, lui, très vite décidé qui devait en payer les conséquences. A peine 24 heures après la découverte des corps, il annonçait la mise en construction de 500 nouveaux logements de colonies en Cisjordanie .
Une initiative annoncée à l’allié américain - qui, forcément, n’a pas trop élevé la voix - et présentée comme une "réponse à l’attaque d’Itamar". Délai d’indécence compris.
Source : Regards