mardi 29 mars 2011

Comment et pourquoi le boycott progresse à l’intérieur même d’Israël

lundi 28 mars 2011
"Il y a des mères qui ne veulent pas envoyer leurs enfants à l’armée ; des soldats qui s’indignent d’avoir à protéger les colons. J’ai, il y a peu, parlé avec un homme de 44 ans, un type normal, père de deux enfants, qui m’a dit qu’il a envie de d’allumer un incendie, tellement il est frustré par le gouvernement, et tellement il est inquiet pour le futur." Lire l’article de Mya Guarnieri, journaliste israélienne.
Un militant palestinien montrant des pains israéliens en vente dans une boutique de Ramallah en Cisjordanie - EPA)
"Israël : le boycott de l’intérieur
Des israéliens expliquent pourquoi ils ont rejoint la campagne Boycott Désinvestissement et Sanctions
C’est en Egypte que je me suis mise à réfléchir sérieusement à la campagne Boycott Désinvestissement et Sanctions (BDS). Je boycottais déjà, assez tranquillement, les produits des colonies, lisant silencieusement les étiquettes de l’épicerie pour m’assurer que je n’achetais rien en provenance de l’autre côté de la Ligne Verte.
Je le faisais depuis longtemps. Mais, à un certain moment, j’ai réalisé que mon boycott personnel et ciblé était quelque peu naïf. J’ai compris que ce n’était pas suffisant. Ce n’est pas seulement les colonies et l’occupation, les deux faces d’une même pièce, qui pose un sérieux obstacle à la paix et viole les droits de l’homme palestinien. C’est tout ce qui soutient ça - le gouvernement et ses institutions. C’est cette bulle dans laquelle vivent beaucoup d’israéliens, illusion de normalité. C’est le sentiment israélien que le statu quo est tenable.
Et les colonies ne sont qu’une petite partie de ce qui fait diversion, une cible pratique pour détourner la colère. Mais les israéliens doivent aussi affronter l’une des injustices les plus criantes, celle qui résulte de leur situation - la Nakba, la dépossession de centaines de milliers de palestiniens. Alors que la campagne BDS dit que, parmi d’autres préoccupations, les trois principes du mouvement sont le respect du droit au retour des palestiniens, tel que défini par la résolution 194 des Nations Unies, la fin de l’occupation et des droits égaux pour les citoyens palestiniens d’Israël, j’étais réticente à m’y rallier.
Je dois bien admettre que j ce mouvement m’effrayait. Je ne pensais pas qu’il était utile. J’étais persuadés que la campagne BDS ne ferait que pousser Israël à se braquer encore plus. Ca ne ferait qu’empirer les choses, pour tout le monde, me disais-je.
L’Egypte a été pour moi le tournant. J’étais euphorique en voyant les gens descendre dans la rue pour réclamer le changement. Et alors que le Palestine Papers démontrait que le gouvernement a l’air de vouloir maintenir le statu quo, je connais plein d’Israéliens qui en ont ras le bol.
Il y a des mères qui ne veulent pas envoyer leurs enfants à l’armée ; des soldats qui s’indignent d’avoir à protéger les colons. J’ai, il y a peu, parlé avec un homme de 44 ans, un type normal, père de deux enfants, qui m’a dit qu’il a envie de d’allumer un incendie, tellement il est frustré par le gouvernement, et tellement il est inquiet pour le futur.
Et actuellement, l’Egypte est sur les lèvres de beaucoup d’Israéliens. Alors, que peut-on faire pour remettre les Israéliens debout ? Que peut-on faire pour encourager les Israéliens à se battre pour le changement, à se battre pour la paix, pour se libérer d’un conflit qui ruine leur auto détermination, leur liberté ?
La campagne BDS a engrangé un certain nombre de succès, raison pour laquelle la Knesset cherche à faire passer une loi, intitulée Loi de Boycott, qui criminalisera les Israéliens qui se joignent à ce mouvement, et les frappera de lourdes amendes.
Et certains de ceux qui sont engagés dans la campagne BDS subissent déjà l’ énorme pression de l’état.
« Le masque démocratique d’Israël »
Leehee Rothschild, 26 ans, fait partie des nombreux Israéliens qui ont répondu, en 2005, à l’appel palestinien en faveur de BDS. Récemment la police a fait une descente dans son appartement de Tel Aviv. Tandis que la police s’y activait sous prétexte de chercher de la drogue, on l’a embarquée au poste pour un bref interrogatoire qui n’a porté que sur la politique. « La personne qui est venue me délivrer (de l’interrogatoire) était un officier de l’espionnage qui a dit que sa tâche était de surveiller l’activité politique de la région de Tel Aviv » dit Rothschild. C’est cet officier qui avait requis un mandat de perquisition.
Depuis l’opération Plomb Durci, les militants israéliens rapportent que la police exerçait une pression croissante tout comme les services de Sécurité Générale, connus sous l’acronyme hébreu de Shabak.
Leur dernier mandat a pour objectif, entre autres, de conforter Israël comme état juif, et de cibler ceux qui en appellent à la démocratie. Les descentes dans les maisons, comme celle à laquelle a été soumise la maison de Rothschild, ne sont pas rares, ni les appels téléphoniques de la Shabak.
« Evidemment (cette pression) n’est rien comparée à ce que vivent les Palestiniens » dit Rothschild, mais je pense que nous mettons le doigt sur un point névralgique ».
Quand on lui demande ce qu’elle pense de la proposition de Loi de Boycott, Rothschild commente : « Si la loi passe, ce sera un lambeau de plus arraché au masque démocratique d’Israël ».
Amour exigeant
En ce qui concerne son engament dans la campagne BDS, Rothschild remarque qu’elle n’était pas consciente du mouvement jusqu’à ce qu’il devienne un sérieux sujet de discussion à l’intérieur de la gauche radicale en Israël, mouvement dans lequel elle militait déjà. Et même après qu’elle en eut entendu parler, elle ne s’est pas précipitée sur son ordinateur.
« J’avais des réserves sur BDS, se rappelle Rothschild. « J’y pensais depuis un bout de temps et j’en débattais en moi-même et avec mes amis. Ma principale réserve c’était que les effets économiques du boycott frapperaient en premier les gens les plus vulnérables de la société - les pauvres - les gens qui ont le moins de prise sur les évènements. Mais je pense que l’occupation fait du mal à ces personnes bien plus que ne le fera jamais le désinvestissement ». Rothschild souligne que ce que l’état finance pour « la sécurité, la défense et l’oppression du peuple palestinien » serait mieux utilisé en Israël pour aider ceux qui appartiennent aux couches socio-économiques les plus défavorisées.
« Une autre de mes réserves était que cela pourrait rendre l’opinion publique israélienne encore plus extrémiste, encore plus fondamentaliste » dit encore Rothschild, mais je dois dire que la route qui mène vers encore plus d’extrémisme est très courte, maintenant ».
En tant qu’israélienne, Rothschild considère que rejoindre la campagne BDS doit être un acte de solidarité. C’est un acte d’amour fort pour le pays où elle est née et où elle a grandi.
« J’espère que, pour certains, ce sera une claque en pleine figure qu’ils se réveilleront et verront ce qui se passe » dit Rothschild, en ajoutant que l’oppresseur est lui-même oppressé. « Le peuple israélien est aussi oppressé par l’occupation - ils vivent à l’intérieur d’une société violente et raciste."
« Renoncer à mes privilèges »
Ronnie Barkan, 34 ans, explique qu’il a fait un premier pas vers le boycott il y a 15 ans, quand il a refusé de remplir son devoir militaire. « Il y avait un tas de pressions sociales (en Israël) » dit Barkan. « Depuis le jardin d’enfants, on nous éduque pour que nous devenions soldats. On nous enseigne que c’est notre devoir (de servir dans l’armée) et qu’on est un parasite ou un traître si on refuse ».
« Et pire encore on éduque les gens pour qu’ils deviennent profondément racistes » ajoute-t-il. « Tout est fait pour qu’on soutienne les privilégiés juifs, maîtres de la terre. Soutenir la campagne BDS signifie que je renonce à mes privilèges sur cette terre et que j’insiste sur l’égalité pour tous ». Barkan lie son ralliement à la campagne de boycott à ces « blancs qui dénonçaient leurs privilèges sous l’Apartheid et rejoignaient la lutte des noirs en Afrique du Sud »
Comme je tique sur le mot « apartheid », Barkan réplique : « Israël répond clairement à la définition légale de « Crime d’apartheid » tel que défini dans les Statut de Rome (NdT : « Statut » définissant les règles de fonctionnement élémentaires de la Cour pénale internationale (CPI)
« Plus jamais ça pour tout le monde »
Certains s’opposent à la campagne BDS parce que ça implique la reconnaissance du droit au retour des Palestiniens. Ces critiques disent que la poussée démographique s’opposerait au droit à l’auto détermination des Juifs. Mais Barkan répond que « ce qui est sous-jacent (à ce mouvement) c’est les droits de l’homme universellement reconnus et le droit international ».
Il souligne que BDS respecte les droits de l’homme tant pour les Palestiniens que pour les Juifs et s’adresse aux adeptes d’un état bi-national et démocratique comme à ceux qui pensent que la solution à deux états est la meilleure réponse au conflit. Il souligne aussi que la campagne BDS n’est ni antisémite ni anti-israélienne. « La campagne de boycott ne vise pas les israéliens ; elle vise la politique criminelle d’Israël et de ses institutions complices, mais pas les individus » dit-il.
- « Bon, disons qu’un universitaire ou un musicien israélien part à l’étranger et il est refoulé d’une conférence, ou d’un concert uniquement parce qu’il est israélien... », commençais-je à demander.
- « Non, non, ça n’est pas dans les directives du boycott » dit Barkan.
- « Parce que le boycott ce n’est pas le racisme » dis-je.
- « Exactement » répond Barkan qui ajoute que l’appel palestinien pour BDS est « un appel très responsable » qui « fait la différence entre les institutions et les individus, et c’est clairement un boycott des institutions criminelles et de leurs représentants ».
« Toutes les fois qu’il y a une zone d’ombre » ajoute-t-il, « nous adoptons une approche plus souple ».
Pourtant, Barkan a rencontré des critiques sur son rôle dans le mouvement de boycott.
- « Ma grand-mère qui était à Auschwitz, me dit : tu peux penser ce que tu veux mais ne parle pas de ta politique parce que ce n’est pas gentil », je lui dis « Tu sais bien qui n’a pas parlé, il y a 70 ans ». Barkan ajoute : « Je pense que la principale leçon que nous enseigne l’Holocauste c’est « plus jamais ça pour tout le monde » et non « plus jamais ça pour les Juifs ».
Mya Guarnieri est jounaliste installée à Tel Aviv et écrivain
(Traduit par Carole SANDREL pour CAPJPO-EuroPalestine)
CAPJPO-EuroPalestine
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