vendredi 4 février 2011

Pourquoi la campagne BDS est un devoir moral

jeudi 3 février 2011
En réponse à un article partisan de BHL, et déformant comme à son habitude les faits, Omar Barghouti, l’un des fondateurs palestinien du mouvement BDS, remet quelques pendules à l’heure.
POURQUOI LA CAMPAGNE BDS EST AUJOURD’HUI UN DEVOIR MORAL ?
Dans sa furieuse attaque du mouvement de boycott, de désinvestissement et de sanctions (BDS) contre Israël, M. Bernard Henri-Lévy s’efforce désespérément de salir le mouvement en présentant de nombreuses prémisses qui sont manifestement fausses, régurgitées et trompeuses, aboutissant, en conséquence à des constats erronés, voire illogiques. Ce que M. Lévy essaye en particulier de cacher ou de masquer, ce sont les vrais objectifs du mouvement, qui en est l’initiateur, et les raisons de son récent développement spectaculaire, spécialement en France et dans les autres pays de l’Ouest.
En fait, l’appel au BDS a été lancé par la vaste majorité de la société civile palestinienne le 9 juillet 2005, phase qualitativement nouvelle dans la lutte pour la liberté, la justice et l’auto-détermination des Palestiniens. Plus de 170 grands partis politiques palestiniens, fédérations syndicales, organisations féminines, groupes des droits des réfugiés, ONGs et organisations populaires appellent à un boycott d’Israël tant qu’il ne respectera pas ses obligations envers la loi internationale. Enraciné dans une résistance non violente contre le colonialisme et les colons, l’occupation et le nettoyage ethnique, cet effort nous rappelle comment les gens doués de conscience dans la communauté internationale ont endossé la responsabilité morale de combattre l’injustice, comme dans la lutte pour l’abolissement de l’apartheid en Afrique du Sud, en demandant aux organisations internationales de la société civile et aux gens doués de conscience partout dans le monde d’ imposer divers boycotts et de mettre en œuvre des initiatives de désinvestissements contre Israël, semblables à ceux qui ont été appliqués à l’Afrique du Sud au temps de l’apartheid.
Depuis 2008, le mouvement BDS est mené par la plus grande coalition d’organisations de la société civile palestinienne à l’intérieur de la Palestine historique et en exil, le Comité National BDS (BNC). Ancré dans le profond respect de la loi internationale et des droits universels de l’être humain, le mouvement s’est étendu partout dans le monde, renforçant et mobilisant l’énergie créative et mettant l’accent sur la sensibilité envers les particularités de chaque contexte… Partout les militants BDS sélectionnent leurs propres objectifs et établissent les tactiques qui conviennent le mieux à leur environnement politique et culturel. Le fait que le BDS rejette catégoriquement tous les racismes, y compris l’antisémitisme, a encore augmenté son attrait parmi les mouvements libéraux et progressifs.
Tandis que les principaux militants BDS appuient la solution d’un état unitaire, la plupart des membres de la coalition qui conduit le mouvement, sont partisans de la solution des deux états. C’est, cependant, une question hors de propos, puisque le mouvement BDS se base rigoureusement sur les droits et a régulièrement évité de prendre position dans le débat « un état/deux états », insistant plutôt sur les trois droits fondamentaux qui doivent être réalisés dans toute solution politique : Mettre fin à l’occupation israélienne des territoires palestiniens, qui a débuté en 1967, mettre fin au système de discrimination légalisée et institutionnalisée d’Israël contre ses propres citoyens et reconnaître les droits des réfugiés palestiniens, sanctionnés par l’ONU, de retourner dans leurs foyers d’origine sont les trois principes de base du mouvement. Le reste est secondaire et stratégique.
M. Lévy déforme complètement ma position sur ce sujet. Citant un de mes articles de 2003, il prétend de façon ridicule que j’appuie une solution « deux Palestine ». Voici mes mots exacts : « … on ne doit pas nier que le droit au retour des réfugiés palestiniens contredit les conditions d’une solution négociée « deux Palestine ». Israël ne l’acceptera tout simplement jamais, ayant décidé qu’il serait le talon d’Achille de toute solution négociée en faveur de deux états, comme l’ont bien montré les faits ». Je voulais dire qu’une solution négociée en faveur de deux états exclut le droit des deux tiers des Palestiniens, des réfugiés, de retourner chez eux, tous les réfugiés ayant ce droit, selon la loi internationale.
Depuis plus de 27 ans, j’ai toujours recommandé ouvertement un état laïque et démocratique dans toute la région de la Palestine historique, où chacun jouit des mêmes droits, sans distinction ethnique, religieuse ou de quelque identité… Ceci, à mon avis, est la formule la plus conforme à l’éthique qui puisse englober le droit inaliénable des Palestiniens à l’autodétermination, y compris le retour des réfugiés, avec les droits de tous les habitants du pays à la justice, à la paix, à la dignité et aux droits démocratiques. Quoi qu’il en soit, même si ma position réelle sur cette question était présentée par M. Lévy, extrapoler à partir de ma prétendue position, afin d’impliquer tout le mouvement BDS, manque non seulement d’honnêteté intellectuelle ; cela reviendrait à prétendre que le mouvement anti-guerre en France, par exemple, complote pour remplacer le système capitaliste par un socialisme basé sur le fait d’avoir un communiste (ou un qui prétend être communiste) parmi ses dirigeants.
Comme toute grande coalition démocratique de groupes qui est bâtie sur des principes communs tout en embrassant et respectant profondément le pluralisme, le mouvement BDS, comme chacun peut conclure en examinant tout ce qui est écrit dans les communiqués et documents officiels publiés dans les cinq dernières années, n’appuie pas une solution particulière à ce conflit colonial. Le dénominateur commun du mouvement est de faire respecter les droits des palestiniens en accord avec le droit international.
L’autre sérieuse erreur dans l’article de m. Lévy, c’est la caractérisation purement rhétorique d’Israël : une « démocratie ». L’Afrique du Sud était aussi une « démocratie » en Afrique pendant l’apartheid. Les USA étaient aussi une « démocratie », quand, dans le Sud, des millions d’Afro-Américains étaient totalement ségrégés et opprimés racialement. Un état ethnocentrique, comme Israël, qui discrimine selon la loi, contre ceux qui ne sont pas juifs et qui occupe, déplace par la force, colonise et commet ce que les principaux spécialistes du droit international et les organisations des droits de l’être humain décrivent comme des crimes de guerre, ne peut en aucun cas s’appeler une démocratie.. Si la France adoptait des lois discriminant ses citoyens juifs en faveur de ses citoyens catholiques, l’appellerait-on une démocratie ?
L’ancien ministre Sud-Africain, Ronnie Kasrils et l’écrivain Victoria Brittain ont très bien abordé ce problème. Ils ont écrit : "Le désir d’avoir une majorité ethno-religieuse de Juifs israéliens a filtré et est sorti des territoires occupés pour imprégner le programme « national » israélien… On refuse depuis des dizaines d’années à la minorité palestinienne en Israël, la moindre égalité en matière de santé, d’éducation, de logement et de possession de terres, pour la simple raison qu’elle n’est pas juive. Le fait que cette minorité a le droit de vote ne répare pas vraiment l’injustice endémique en ce qui concerne les autres droits fondamentaux de l’être humain. Ils sont exclus de la définition même de « l’État Juif », ont n’ont pratiquement aucune influence sur les lois, ou sur les politiques sociales et économiques. D’où leur ressemblance avec les Noirs d’Afrique du Sud.
De plus, au moment où un vent de soulèvements populaires souffle sur le Monde Arabe et demande des libertés, la justice sociale et la démocratie, il est révélateur, même si on s’y attendait bien, de voir Israël – et le gouvernement des USA – dans une telle panique et un tel tumulte, se trouvant du mauvais côté de l’histoire, avec des despotes et des régimes autoritaires contre le peuple. Perturbé par le déchaînement de critiques, pourtant polies, de la dictature égyptienne par les Européens jusqu’ici ses alliés et même certains éléments de l’administration des USA, Israël a lancé une campagne diplomatique destinée à convaincre les principales capitales de soutenir Hosni Mubarak de peur que la stabilité soit perdue et que les autres amis despotiques d’Israël de la région se sentent abandonnés.
En Tunisie également, l’équipement de surveillance électronique tant vanté de l’ancien dictateur Ben-Ali fonctionnait en coopération étroite avec Israël, comme nous en a informé la société civile tunisienne. D’autres amis d’Israël de cette région étant détrônés, on voit de plus en plus clairement combien Israël et ses partenaires occidentaux ont investi en protégeant et en défendant les régimes autocratiques non-élus du Monde Arabe, en partie pour faire une prédiction qui se réalise, celle d’Israël, « villa au milieu de la jungle » - mythe souvent répété par les groupes de pression d’Israël.
Le fait qu’Israël ait été pendant des dizaines d’années le meilleur ami de l’Afrique du Sud au temps de l’apartheid, l’ayant aidée à développer des armes nucléaires, à écraser la résistance populaire de la majorité noire et à échapper au boycott contre elle, n’a pas non plus aidé Israël à présenter l’image de la démocratie et des lumières.
Finalement, si on considère l’affirmation manifestement trompeuse et sans fondement selon laquelle un boycott des produits israéliens équivaut à boycotter des « marchandises juives », on peut alors se demander si un boycott du Soudan ou de l’Arabie Saoudite serait considéré comme islamophobe ? Le boycott de l’Afrique du Sud était-il anti-chrétien ? Pourquoi deux poids deux mesures en ce qui concerne Israël ? Le mouvement BDS contre Israël ne se soucie nullement qu’il soit un état juif, musulman, catholique ou hindou ; l’important est qu’il soit un oppresseur colonial qui refuse aux Palestiniens leurs droits fondamentaux. Est-ce trop difficile à comprendre ? Un boycott d’Israël aujourd’hui est un devoir moral pour tous ceux qui se soucient de la primauté du droit et des droits universels pour tous les êtres humains, à part égale.
Par Omar Barghouti
Omar Barghouti est membre fondateur du mouvement BDS et l’auteur de « Boycott, Désinvestissement, Sanctions : La Lutte mondiale pour les droits des Palestiniens », (Haymarket, 2011).
Source : Huffinton Post : 1er février 2011
(Traduit par C. Cameron pour CAPJPO-EuroPalestine)
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