mardi 15 février 2011

Palestine, Israel, ce que j’ai vu (1ère partie)

Témoigner des conditions de vie des Palestiniens dans les Territoires occupés, sonder les sociétés et les modes de vie palestinien et israélien, tels étaient les objectifs de ce voyage dans une région, le Proche-Orient, théâtre d’un des plus vieux conflits de colonisation du monde. Compte-rendu de voyage.
Palestine, Israel, ce que j’ai vu (1ère partie)
Tel Aviv le 15 avril 2010. A l’aéroport international David Ben Gourion, l’accueil est tout sauf avenant et les questions de la police des frontières israéliennes s’apparentent à un interrogatoire : «Que venez-vous faire en Israël? D’où venez-vous ? Qui allez-vous rencontrer ? Avez-vous de la famille ici ? Où allez-vous résider ?» Les regards sont inquisiteurs, les visages sévères, le ton sec. Je réponds que je suis marocain. «Vous êtes juif alors ?...»,  «Non, musulman, je viens pour tourisme et en pèlerinage à la Mosquée Al Qods». J’apprends plus tard, par la presse locale, que cet accueil à vous donner envie de repartir dare-dare est réservé à la plupart des étrangers ; que je m’en tire plutôt pas trop mal, n’ayant pas été amené à me dénuder, ne m’étant pas fait palper et, aussi, ne m’étant pas fait refouler. Selon le Jérusalem Post, l’accueil fait aux étrangers est «humiliant» et «dégradant» : «300 étrangers sont retenus à l’aéroport Ben Gourion chaque jour, soit environ 110 000 sur une moyenne annuelle de 2,2 millions de visiteurs (…) 1 600 personnes sont renvoyées chaque année dans leur pays d’origine».
Bien sûr, je n’ai pas dévoilé que j’effectuais un reportage sur les conditions de vie des Palestiniens en Israël et en Territoires occupés et pour participer à la 5è Conférence de Bil’in sur la Résistance non violente qui s’est tenue du 21 au 23 avril 2010.
En septembre 2007, la Cour suprême isréalienne donnait déjà raison aux 1 800 habitants de Bil’in
Bil’in est un petit village d’à peine 1 800 âmes, situé à quelques encablures à l’Ouest de Ramallah. Ce petit village si dérisoire est un véritable casse-tête pour les autorités israéliennes, ses formes de combat fort inventives et ininterrompues causent un grand souci politique et d’image à Israël, et la notoriété de Bil’in ne cesse de grandir au plan international. Tout commence en 2005 lorsque l’armée israélienne vient ériger en plein cœur des terres du village son mur de barbelés et une ceinture électronique privant le village de près de 60% de ses terres cultivables au profit de nouvelles colonies. La réaction ne se fait pas attendre, les habitants entrent en résistance… permanente ! Ainsi, tous les vendredis depuis cette date (et pas un de raté à ce jour), une manifestation sera organisée devant le mur de barbelés, face à l’armée. Pas de jets de pierres, pas d’armes, pas d’insultes, pas de violence, seulement des slogans pour la liberté et l’indépendance de la Palestine et des appels aux militaires -en hébreu- à ne pas réprimer une manifestation qui se veut pacifique et non violente. Mais les militaires ne l’entendent pas de cette oreille. Dès que les manifestants parviennent à portée de tir les bombes commencent à pleuvoir. Elles sont soit assourdissantes, soit lacrymogènes, soit asphyxiantes. Mais il y a également des tirs de balles en caoutchouc et, parfois, des armes inconnues testées directement sur la population. Cela a été le cas des chars en forme d’orgues de Staline capables de tirer 30 à 60 bombes d’un coup, en zigzag, afin de ratisser en largeur et en profondeur et ne rater ainsi aucun pan de la manifestation ! Il y a donc souvent des blessés et, en 2009, la mort de Bassam Abu Rahma, frappé par une bombe lacrymogène tirée en plein cœur et en flux tendu au mépris des règles internationales. Bassam était connu pour sa joie de vivre et pour être toujours le premier à empêcher les enfants palestiniens de jeter des pierres contre les militaires, en expliquant sans cesse qu’il s’agissait là d’une lutte non violente et qu’il ne fallait pas donner aux militaires un prétexte pour réprimer. La famille Abu Rahmah, parmi celles des notables de Bil’in, paye cher son engagement : nombre de ses membres sont en prison et, après la mort de Bassam un an plus tôt, ce fut au tour de sa sœur Jawaher de succomber sous les bombes asphyxiantes ce dernier vendredi de l’année 2010.
Mais revenons au début de la résistance non violente, en 2005. Les manifestations de protestation ont été, pendant longtemps, quotidiennes avant de devenir hebdomadaires afin de ne pas épuiser les capacités de résistance. Le combat des villageois se structure donc progressivement. Ils créent un Comité populaire et établissent la résistance non violente comme forme de lutte stratégique. Ils engagent en parallèle un combat juridique en allant porter plainte auprès de la Cour suprême israélienne qui, en septembre 2007, leur donne raison en exigeant une modification du tracé de la barrière de séparation. Lequel tracé, précise son arrêt, ne devra inclure ni les terres cultivables de Bil’in ni la colonie de peuplement de Modi’in Illit, jugée illégale.
Décidés à suivre le chemin tracé par Gandhi et Martin Luther King, les habitants de Bil’in décident d’organiser une conférence anniversaire annuelle, agaçant colons et militaires, mais forçant l’admiration de par le monde. Ainsi des personnalités internationales viendront en nombre leur octroyer leur soutien. De l’ancien président américain Jimmy Carter, initiateur des accords de paix entre Israël et l’Egypte, au révérend Sud-africain Desmond Tutu, en passant par le petit-fils de Martin Luther King, la nièce de Gandhi, l’ambassadeur Stéphane Hessel, juif français, 93 ans, rescapé du camp de Buchenwald, rédacteur de la Déclaration universelle des droits de l’homme... et tant d’autres. On comptera parmi les soutiens prestigieux celui de Mme Corrigan Maguire, lauréate irlandaise du Prix Nobel de la Paix en 1976 (blessée à la jambe par une balle en caoutchouc à Bil’in en 2007) ; celui de Mme Luisa Morgantini, vice-présidente du Parlement européen ou encore d’intellectuels israéliens connus et reconnus tels Uri Avneri, Ilan Pappe, Michel Warshawski…
Israël se sent piégé : les vidéos de la répression circulent sur You Tube visionnées par des millions de personnes ; les conférences attirent des personnalités du monde entier venues soutenir le combat de Bil’in. Même des israéliens, jeunes et moins jeunes, abondent par centaines pour participer aux manifestations du vendredi… Impossible d’arrêter la contagion.
De plus en plus de villages dans le sillage de la protestation non violente initiée à Bil’in
Alors Israël réprime à tout- va. Les exactions et les mesures d’intimidation à Bil’in se multiplient, de même que les arrestations. Entre juin et décembre 2009, 34 personnes ont été arrêtées. Dans la nuit du 7 au 8 février 2010, les locaux de «Stop the wall» à Ramallah ont été mis à sac. Quelques semaines avant la tenue de la conférence, les têtes du Comité populaire de Bil’in chargés de l’organisation sont arrêtées, les descentes nocturnes des militaires  se multiplient et les maisons sont parfois saccagées, malgré la présence en nombre de militants internationaux et israéliens venant s’installer chez les villageois pour empêcher les arrestations et les destructions et témoigner de la répression. Surtout, de plus en plus de villages s’inscrivent dans la stratégie de «Résistance non violente de Bil’in» : ainsi de Ni’lin, Nabiy Salih, Al Ma’asara, Beit Douku, Derkadis, Cheikh Jarrah à Jérusalem, Beit Jalah à Bethléem… 45 villes à ce jour participent à la manifestation non violente rituelle du vendredi, les manifestations des villes et villages chrétiens ont lieu le samedi. Et les plaintes affluent par dizaines auprès de la Cour suprême israélienne. Le 19 février 2010, un millier de personnes démontent 40m du mur de séparation. La 5e Conférence semble promise à un triomphe. Il est prévu l’afflux de plus d’un millier d’internationaux. Les autorités israéliennes paniquent, politiques et militaires en tête…
Mais c’était sans compter avec le volcan islandais. Son entrée en éruption, le 20 mars 2010, provoque la fermeture de plusieurs dizaines d’aéroports en Europe, cloue au sol des centaines d’avions, et par là même le millier d’internationaux prévu : sur les 120 français ayant acheté leurs billets Paris/Tel-Aviv, seuls 25 parviendront à destination. Idem à peu de choses près pour les Anglais, les Italiens, les Espagnols, les Allemands… Quant aux centaines de sympathisants israéliens, avec la multiplication des villages manifestant le vendredi, ils doivent, n’ayant pas le don d’ubiquité, s’éparpiller sur les différents sites ; ils seront près de 500 à manifester leur soutien aux Palestiniens dépossédés de leurs maisons à Cheikh Jarrah, quartier de Jérusalem.
Les représentants diplomatiques de 20  nations... mais pas ceux des pays arabes
La présence à la Conférence est donc moins nombreuse que prévu, mais elle compte pour la première fois les responsables diplomatiques de plus de 20 pays, dont les Etats-Unis, l’ONU, le Mexique… et la France, en la personne de son consul général à Jérusalem Frédéric Desagneaux. Comble de l’ironie, aucun pays arabe n’est représenté ! Et, côté médias, aucune télévision occidentale, malgré les nombreux efforts entrepris auprès d’eux en ce sens.
La conférence est présidée par Luisa Morgantini, vice-présidente du Parlement européen, et inaugurée par un long discours du Premier ministre palestinien Salam Fayyad qui affirme que la résistance palestinienne a fait le choix stratégique, grâce à Bil’in, de la résistance non violente. Il rappelle que 10 000 Palestiniens, dont des enfants de 16 ans, sont détenus dans les prisons israéliennes et qu’ils méritent une campagne de protestation digne de celle accordée au prisonnier de guerre franco-israélien Guilat Shalit. Il souligne qu’un plan de 1 000 projets de développement a été clôturé début 2010 et que la réalisation d’un 2e plan de
1 000 autres projets d’infrastructure doit à son tour être achevée d’ici la fin de l’année. Il prévient : «Nous avons résisté depuis plus de 40 ans à l’occupation, Israël doit réaliser que nous ne céderons jamais».
Suivent les témoignages de nombreuses associations étrangères venues témoigner leur soutien au combat de Bil’in. Puis les représentants des principales forces constituant l’OLP(*), ainsi que, pour la première fois, un représentant du Hamas, dialoguent à cœur ouvert face au public. La qualité et la franchise du débat sont un démenti à l’absence de démocratie au sein de la résistance palestinienne. Bien que la plupart des intervenants tiennent à réaffirmer le droit des Palestiniens à la lutte armée, inscrite dans le droit international, tous affirment le choix de la résistance non violente comme choix de lutte stratégique. Gaza, la prison à ciel ouvert, présente en duplex, témoigne de ses blessures : plus de 1,5 million de personnes isolées dans la faim et le dénuement, 503 morts par cause du blocus, pas d’électricité, ni d’eau, famine et maladie…
La prestation de l’archevêque orthodoxe Mgr Theodosios Atallah Hanna est imposante. Il s’emporte contre les militaires israéliens qui souillent églises et mosquées -j’ai été moi-même interpellé à l’intérieur de la Mosquée Al Aqsa par 2 militaires israéliens, qui n’ont même pas pris le soin de se déchausser, venus me demander les motifs de ma présence. Témoignant contre «les groupes juifs qui développent en hébreu un discours raciste contre les Arabes et les Musulmans, soi-disant justifié par la Bible et leurs livres sacrés», dénonçant «les mensonges des prospectus touristiques israéliens qui nient l’histoire et l’identité chrétienne, musulmane, arabe et palestinienne d’Al Qods», l’archevêque tonne : «Al Qods est la ville des 3 religions monothéistes unifiées dans le respect réciproque, elle sera la capitale de l’Etat palestinien».
Mais pendant la conférence même, les bulldozers israéliens envahissent Beit Jalah, près de Bethléem, pour y arracher les oliviers palestiniens et annexer de nouvelles terres de 78 Palestiniens expulsés. Une dizaine d’israéliens et d’internationaux italiens et français partiront donc de Bil’in en urgence pour essayer de faire obstruction… Mais la dispersion y sera musclée.
Le Consul français «déplore» mais ne condamne pas !
Vers 13h, vendredi, à la sortie de la mosquée, quelques centaines de manifestants de toutes nationalités prennent le départ pour le mur de barbelés marquant la frontière établie par l’armée. La manifestation est bon enfant. Les soldats pourraient la regarder avec sourire, voire condescendance… mais les voies de la répression sont impénétrables. A peine les premiers rangs sont-ils parvenus aux abords de la barrière de sécurité que les militaires israéliens balaient la foule de bombes assourdissantes, de gaz asphyxiants et de bombes lacrymogènes, dont plusieurs sont tirées à flux tendu, ce qui est interdit par les lois internationales, avec pour but évident de blesser. S’ajoutent les tirs de balles en caoutchouc. La foule se disperse. Puis une clameur, un homme est blessé. L’ambulance déboule toutes sirènes hurlantes. Je vois un jeune Palestinien le front fendu par une bombe lacrymogène soulevé par les ambulanciers pour être transporté vers l’hôpital le plus proche. Un peu plus loin un autre blessé, italien, le bras droit gravement brûlé par les éclats d’une bombe lacrymogène. Puis un autre sur le dos. Les ambulanciers font de leur mieux, d’autant que les cas de suffocation se multiplient. Ainsi de Luisa Morgantini, ancienne vice-présidente du Parlement européen et Mustapha Barghouti, membre du Conseil législatif palestinien. J’ai un sentiment de honte lorsque je me surprends à crier au secours, paniqué par l’oppression respiratoire due aux gaz. Mes yeux pleurent et brûlent, ma peau pique comme si elle avait été passée aux orties, j’ai chaud et je transpire mon corps est en feu... Un ambulancier me remet une petite serviette à inhaler et me met en garde de ne pas essuyer le front et les parties du corps qui me brûlent. C’est là le lot hebdomadaire et parfois quotidien des habitants de Bil’in et de Cisjordanie et de leurs soutiens israéliens et internationaux. La confrontation à distance durera près de 2 heures, puis une dizaine de militaires franchiront les barbelés et envahiront la partie non occupée de Bil’in afin d’y déloger les plus obstinés. Le lendemain, le quotidien Al Qods fera état de 7 blessés à Bil’in, hors cas de suffocation, et 5 personnes arrêtées dont 3 Israéliens et un Américain. Le journal rend également compte des autres manifestations de la veille : 7 blessés à Ni’lin… dont 5 par balles en caoutchouc ; arrestations à Beit Amr ; à Nabiy Saleh l’armée a fait usage de gaz bleus non connus provoquant des brûlures graves de la peau ; incursions à Al Maasara et Al Oualja…
Je suis reçu le soir même au sein d’une délégation de l’Association France Palestine Solidarité par le consul général de France à Jérusalem, Desagneaux. L’un de ses fonctionnaires a assisté à la répression israélienne, que le consul affirmera déplorer. Mais entre déplorer et condamner il y a tout un univers de nuances diplomatiques… sur lesquelles un consul doit savoir surfer.
(*) Notamment Nabyl Shaath pour le Fatah, Qays Abu Leyla pour le FDLP et Khalida Jarrar pour le FPLP
Younès BenKirane. La Vie éco
www.lavieeco.com
2011-02-15