lundi 24 janvier 2011

Valérie Pécresse ou le mensonge ministériel

publié le dimanche 23 janvier 2011
JC Lefort

 
Paris, le 21 janvier 2011
Madame Valérie Pécresse
Ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche
1, rue Descartes
75231 Paris cedex 05
Madame la Ministre,
Si je vous écris, c’est que j’ai été stupéfait d’entendre une ministre de la République française proférer une contre-vérité aisément décelable dans une émission de grande écoute, "Face aux Français", en l’occurrence celle du 18 janvier dernier.
« Daily Motion » a mis en ligne un extrait de votre intervention en raison d’un lapsus que vous commettez. Vous le trouverez sur : http://www.dailymotion.com/video/xg.... Mais ce qui a retenu mon attention, c’est votre affirmation selon laquelle le collectif organisateur de la conférence-débat à laquelle Monsieur Stéphane Hessel devait participer, le 18 janvier, à l’Ecole normale supérieure - collectif dont l’Association France Palestine Solidarité (AFPS) est membre - aurait prôné le boycott d’Israël.
Madame la Ministre, ni ce collectif, ni l’invitation à cette conférence-débat, ni l’immense majorité des personnalités qui devaient s’y exprimer ni Stéphane Hessel lui-même - et j’ajoute ni l’AFPS et moi personnellement - ne se prononce pour le boycott d’Israël.
Certains, en revanche, exigent que le gouvernement dont vous êtes membres respecte l’arrêt, dit "Brita", de la Cour de justice de l’Union européenne : celui-ci rappelle à tous les Etats membres que l’accord d’association UE-Israël, en vigueur depuis l’an 2000, ne s’applique pas aux produits des colonies israéliennes de Cisjordanie et que l’importation de tels produits avec « fraude à l’origine » et « tromperie du consommateur » constitue un délit grave, n’en déplaise à vos collègues Eric Woerth et François Baroin en charge successivement des douanes.
D’autres également s’opposent à tout boycott - comme une partie des personnalités signataires de « l’Appel de Solidarité avec Stéphane Hessel et toutes les victimes de la répression » (cf. texte intégral et liste des 13 000 signataires sur le site www.collectifpaixjustepalestine.org/).
Pour reprendre le verbatim dudit Appel : « Certains d’entre nous appellent au boycott de tous les produits israéliens ; d’autres « ciblent » les seuls produits des colonies israéliennes ; d’autres encore choisissent des formes d’action différentes. Mais nous sommes tous unis pour refuser catégoriquement que les militant-e-s de la campagne internationale Boycott-Désinvestissement-Sanctions (BDS) soient accusés et jugés pour « provocation publique à la discrimination » alors qu’au contraire ils combattent contre toute forme de discrimination, pour le droit de tous les peuples à l’autodétermination, pour l’application à tous les États du droit international et des sanctions prévues lorsqu’ils le bafouent. »
Cet Appel poursuit ; « Tous ensemble, nous exigeons, à la fois au nom du droit international et des libertés : le retrait immédiat des directives envoyées par la ministre de la Justice et son administration aux Parquets et la relaxe immédiate de ces innocents. Honneur à celles et ceux qui font leur le combat pour la justice et la paix que les autorités françaises ont trahi. »
Tout ceci est parfaitement clair et vérifiable, comme était vérifiable le fait que personne n’a jamais prôné en France le « boycott des produits casher », dont votre collègue Michèle Alliot-Marie a dénoncé l’existence le 18 janvier 2010 au dîner du CRIF d’Aquitaine... après l’avoir niée à l’Assemblée nationale le 20 avril 2009 en réponse au député UMP, Monsieur Eric Raoult.
En tant que député honoraire ayant exercé 19 ans ce mandat et en tant que président d’une association désireuse d’amener le gouvernement israélien à négocier enfin sérieusement avec ses voisins palestiniens et arabes un accord de paix fondé sur le droit international et les résolutions de l’ONU, je ne comprends pas comment une ministre de la République peut tout à la fois :
-  donner au grand public une information aussi manifestement erronée ;
-  « justifier » ainsi une atteinte grave aux libertés universitaires et publiques ;
-  criminaliser un débat de caractère politique de manière unilatérale, l’appel au boycott de l’Afrique du Sud de l’apartheid, et plus près de nous de la Chine de Tien Anmen ou du Tibet ou bien de la Russie en guerre en Tchétchénie ou bien encore de la Birmanie n’ayant pas, à ma connaissance, fait l’objet de poursuites ;
-  s’aligner sur le président d’un conseil communautaire que même des personnalités proches de lui désavouent, comme Alain Finkielkraut et Bernard Henri Lévy (présentés par Richard Prasquier comme ayant pris l’initiative, avec vous, de cette censure, mais aussi votre collègue Pierre Lellouche, sans oublier Jean Daniel et d’autres encore) ;
-  et, s’affichant comme « gaulliste », tourner aussi ouvertement le dos à la pensée et à l’action du général de Gaulle, dont la prise de position, en 1967, a inspiré la politique de la France, au service de la paix, pendant 40 ans – jusqu’à l’élection de Nicolas Sarkozy...
Madame la Ministre,
J’aimerais savoir :
-  comment vous comptez rectifier l’information erronée que vous avez diffusée ;
-  quelles leçons politiques vous tirez de ce nouveau dérapage d’un gouvernement dont on ne sait plus quel intérêt exact il défend - celui de la France ou celui d’Israël ? Un intérêt fort mal compris d’ailleurs tant il est vrai que la création effective et la reconnaissance rapide de l’Etat palestinien dans les frontières de 1967 et avec Jérusalem-Est pour capitale représente la meilleure garantie de l’avenir de l’Etat d’Israël.
Avec l’assurance, Madame la Ministre, de ma haute considération pour des fonctions éminentes que vous malmenez.
Jean-Claude Lefort.
Président de l’AFPS
PS : Pour information : http://bibliobs.nouvelobs.com/actua...