lundi 24 janvier 2011

Fumées noires sur Tulkarem (1)

publié le dimanche 23 janvier 2011
AFPS 34

 
« Les impacts sur l’environnement et la santé de la zone industrielle israélienne à Tulkarem »
Lors de sa mission en Palestine, du 15 au 25 octobre 2010, l’AFPS34 s’est rendue à Tulkarem – Cisjordanie.
Elle a rencontré, outre le Gouverneur de la région, la Municipalité, les représentants des Universités, le Docteur Hanoun du Ministère de la Santé - Directeur Régional, Tulkarem.
Tous nos interlocuteurs ont mis l’accent sur les ravages produits par la pollution des usines israéliennes, particulièrement l’usine GESHURI, implantées à Tulkarem.
Ces usines se trouvaient auparavant en Israël. Des plaintes ont été déposées par les voisins israéliens de l’usine Geshuri, laquelle s’est « délocalisée » en Palestine, et plus précisément à Tulkarem où elle est présente depuis 1987. Ce fut la première à venir dans cette « zone industrielle » que les israéliens appellent, cyniquement, « Nitzanei Shalom » ce qui signifie les graines de la paix !
Voici donc un article d’Odile Kadoura (AFPS 34) suivi d’une série de rapports que nos interlocuteurs nous ont remis. Le premier est celui du docteur R. Hanoun, les autres des rapports présentés lors du colloque organisé en décembre 2009 par l’Université Kadoorie de Tulkarem sur le thème « Les impacts sur l’environnement et la santé de la zone industrielle israélienne à Tulkarem ». Ils se passent de commentaires [1].

"IMPACTS DES USINES CHIMIQUES ISRAELIENNES SUR LA POPULATION DE TULKAREM (Cisjordanie)"

La population de Tulkarem n’est pas seulement affectée par l’érection du mur de l’apartheid, elle subi une autre forme d’agression tout aussi scandaleuse et pourtant ignorée : l’implantation illégale d’usines chimiques israéliennes sur son territoire.
Saisie de ce dossier lors d’une visite officielle à Tulkarem, la mission AFPS34 a estimé qu’au regard de la gravité des faits, il lui incombait de les porter à la connaissance de l’opinion française, en se basant sur les différentes sources d’informations fournies par les institutions rencontrées sur place : sources académiques (Université Kadoorie, Université Al Qods Open) et sources relevant de l’Autorité Palestiniennes (Gouvernorat, Direction de la Santé, Direction de l’Agriculture).
Ces données ont été complétées par des informations de nature économique, obtenues auprès (de la Coalition des Femmes ) d’une association israélienne qui alimente le site « who profits.com » [2] . La délocalisation d’entreprises israéliennes polluantes sur un territoire palestinien : la ville de Tulkarem
A partir de 1987, la société GESHURI (production de pesticides et désherbants), voulant se soustraire aux règlementations relatives à la préservation de l’environnement et à la protection de la santé des travailleurs, a installé ses unités de production en territoire palestinien, au-delà de la ligne verte. Elle a été rejointe par plusieurs entreprises chimiques israéliennes. Une zone industrielle s’est ainsi constituée et se situe aujourd’hui de l’autre coté du mur et à proximité immédiate des habitations palestiniennes.
« Une usine de pesticide : cette usine [Geshuri], qui était installée à Kfar Saba (ville israélienne) et produit de dangereux polluants, a été déménagée dans une zone proche de Tulkarem. Les eaux usées émanant de cette usine ont endommagé les citronniers et pollué les sols de la zone et menace les nappes phréatiques.
L’usine DIXON GAS : cette usine, qui était située à Netanya (ville israélienne) a été également déménagée dans la zone de Tulkarem. Les déchets générés par cette usine sont brûlés à l’air libre. Autres usines : production d’aluminium, teinture du cuir, teinture textiles, batteries, fibres de verre, plastics et autres produits de synthèse.
Les déchets générés par ces industries contiennent des éléments toxiques comme l’aluminium, le chrome, le plomb, le zinc et le nickel. Par exemple, l’industrie d’aluminium, qui est également présente dans nombreuses colonies, produit des déchets aluminium et acides. La galvanoplastie produit du nickel, du chrome et des déchets acides. L’industrie de batteries rejette du plomb dans ses eaux usées. Toutes ces substances inertes sont considérées comme dangereuses pour la santé lorsqu’elles sont accumulées dans le corps humain, ainsi que pour l’environnement.
Les plus nombreux polluant produits par les industries citées ci-dessus sont des polluants gazeux qui contiennent les éléments suivants : Dioxyde (SO2), Monoxyde de carbone (CO), Oxydes de nitrogène (NO, NO2), Hydrocarbone ».
L’entreprise GESHURI avait été condamnée par la justice israélienne à la suite d’une plainte des riverains. Le jugement constatait explicitement les effets dangereux de son activité. C’est donc en toute connaissance de cause que cette société est partie polluer en territoire palestinien. Le nuage de pollution émanant de cette usine est entrainé par les vents dominants en direction de la ville de Tulkarem. Un engagement a été pris par l’entreprise Geshuri pour interrompre son activité lorsque le vent dominant change de sens et pousse les particules polluantes en direction d’Israël !
Toutes ces entreprises déversent des déchets solides et liquides et gazeux sans traitement ni conditionnement préalable. Elles négligent les règles de sécurité et de surveillance, ce qui occasionne de fréquents incendies et accidents. Elles ignorent enfin les règles les plus élémentaires de protection des travailleurs, palestiniens.
Mobilisation des institutions palestiniennes.
Bien que l’apparition de certaines pathologies soit en relation directe avec la présence des industries polluantes, les institutions responsables de la santé publique et les enseignants chercheurs ont mobilisé leurs moyens pour établir scientifiquement une corrélation qui mette en accusation des entreprises israéliennes, et pour assurer la protection des populations.
Etudes et recherches académiques conduites par les universités L’Université Palestine Technical University Kadoorie (PTUK) a mobilisé les enseignants de différentes disciplines (chimie, environnement, agronomie) pour analyser la nature des pollutions et mesurer leur impact sur l’environnement (nappes phréatiques, air, sols) et sur la santé. Elle a organisé un colloque international en décembre 2009 et a présenté les résultats de ses recherches à l’Autorité Palestinienne. Son Centre de recherches techniques et appliquées (Département d’ingénierie environnementale) a prévu la création d’un laboratoire d’analyse. Le local est déjà prêt, le personnel qualifié également. Reste à trouver urgemment le financement de l’équipement et matériels nécessaires.
L’Université Al Qods Open a analysé l’impact économique, social et environnemental des industries chimique sur la population. Son étude sur les conditions de travail des ouvriers palestiniens salariés de ces entreprises met en évidence l’absence totale de respect de normes de sécurité et le niveau d’exploitation de cette main d’œuvre sur le plan de la rémunération et du respect de la personne humaine.
Le soutien attendu : dénoncer l’impunité de ces industries, aider à la création d’emplois comme alternative pour les salariés palestiniens employés dans ces usines.
Etudes épidémiologiques conduites par la Direction de la Santé Cette direction responsable de l’hygiène publique (équivalent d’une DDASS) n’a aucun pouvoir pour contrôler ces usines qui sont des « installations classées ».
La Direction de la Santé a cependant engagé des études épidémiologiques dont les résultats font apparaître la corrélation entre les rejets des usines et les pathologies sur-représentées chez les populations proches de ces installations : affections respiratoires, affections de la peau, allergies, cancer du sang.
Actions juridiques
Tulkarm est victime d’entreprises privées qui, comme beaucoup d’autres dans le monde, s’installent et se délocalisent au gré de leurs intérêts, faisant montre du cynisme qui prévaut dans le système économique libéral. Mais Tulkarem est également une ville palestinienne, et l’on ne peut imaginer que ces entreprises ont pu s’installer illégalement sans l’aval – sinon l’incitation- de l’état israélien.
En effet, ces industries polluantes portent directement atteinte à l’activité vitale de la région - agriculture maraîchère et arboricole - et participent insidieusement à la tentative d’éviction des populations palestiniennes de leurs territoires.
Elles sont une preuve supplémentaire de l’impunité dont bénéficie Israël, qui ne respecte aucune de ses obligations en tant que puissance occupante.
Enfin, le cas de Tulkarem incite à faire la lumière sur les conséquences des activités industrielles des colonies sur l’environnement et sur la santé des populations palestiniennes en Cisjordanie.
Il serait temps que la communauté internationale s’insurge et condamne."
Odile Kadoura
[1] Ils feront l’objet d’une prochaine publication
[2]
Annexe
Résumé du document de « whoprofits » / Coalition des Femmes pour la Paix (ONG israélienne)
Zone industrielle de Nitzanei Shalom
Liste des entreprises présentes sur le site :
1. Geshuri Industries : Keshet Prima. C’est la première usine à s’être installée sur le site. Produits chimiques.
2. Solor Group : Solor Gas Industries, Solmoran, Dixxon Gas Industries, Solopaz, Solor Hasharon Metal, Solmoran and Hatehof. Métallurgie, production de citernes pour pétrole et gaz.
3. Tal El Collection and Recycling. Collecte, transport et stockage de déchets papier, cartons, plastiques … ET Nizanei Shalom Paper Industries (inactive ?). Papiers et plastiques pour agroalimentaire et restauration.
4. Lotar. Textiles
5. Yamit E.L.I. Filtration and Water Treatment. Equipements de filtration et traitement de l’eau et des eaux uses.
6. Rational Systems : de Dakrim et Yizrael-Tamuz group. Production de polyuréthane et composants en plastique (moulages et revêtements) principalement pour les équipements électroniques et médicaux. Et Dakrim : métallurgie de précision pour les équipements médicaux et hi tech.
7. Shai Key Metal Trade. Collecte, tri et vente de métaux.
8. Atzei Shitim. Bois, fabrication et recyclage.