dimanche 9 janvier 2011

Richard Falk : assez de "processus" de paix !

Publié le 8-01-2011

Obama et Israël : "c’est comme si on demandait à un voleur à main armée multirécidiviste d’arrêter de cambrioler quelques banques pendant trois mois contre une énorme récompense financière", écrivait Richard Falk le 18 décembre dernier. Et même cela, Obama y a renoncé. Place à la solidarité active "par le bas", conseille le rapporteur des Nations-Unies.
"Les illusions du processus de paix
Il est étonnant que, malgré l’énorme écart entre le maximum qu’Israël veut bien concéder et le minimum que l’Autorité Palestinienne pourrait accepter comme base d’un règlement final du conflit, les dirigeants gouvernementaux, spécialement à Washington, continuent à exercer toute leur influence pour recommencer les négociations intergouvernementales. N’est-ce pas un signal assez fort, ce fait qu’Israël n’a ni la capacité, ni la volonté d’accepter l’extension d’un gel partiel des colonies de seulement 90 jours, malgré les pots-de-vin scandaleux de la part de l’administration Obama (20 chasseurs à réaction utiles pour attaquer l’Iran ; et l’assurance qu’on ne demanderait plus à Israël d’accepter un moratoire pour les colonies) qui ont été offerts en échange de la suspension partielle de leur activité illégale de colonisation.
En réalité, on demandait à un voleur à main armée multirécidiviste d’arrêter de cambrioler quelques banques pendant trois mois contre une énorme récompense financière. Un tel arrangement se traduit comme une approbation éhontée du non-respect des lois de la part d’Israël, dans un processus de paix qui n’a aucune chance d’apporter la paix, encore moins la justice.
On conçoit ici la justice relativement aux droits des Palestiniens, spécialement le droit à l’autodétermination, qui s’est réduit aux cours des années.
La division permanente de la Palestine Historique
C’est tout d’abord l’acceptation par les Palestiniens des frontières de 1967 (décision ratifiée par l’OLP en 1988) comme base de revendication territoriale, réduite unilatéralement, associée à l’autodétermination palestinienne, ce qui est seulement 22% de la Palestine historique, c’est-à-dire moins de la moitié de ce que les Nations-Unies avaient proposé dans le plan de partage qui, à ce moment-là avait été tout naturellement rejeté par les Palestiniens et leurs voisins Arabes, en tant que stratagème colonialiste par lequel la population autochtone était perdante et n’avait pas été consultée.
Rétrospectivement. L’empressement des Palestiniens à accepter les frontières de 1967 était une concession extraordinaire avant le début des négociations, qui n’a jamais été reconnue ni par Israël, ni par les États-Unis, ce qui nous fait douter qu’il y ait jamais eu d’engagement crédible à mettre fin au conflit par la diplomatie.
L’impudence continue. Au lieu de fustiger Israël pour son refus de faire la moindre preuve d’une semblance de flexibilité pragmatique, qui ferait paraître la démarche d’Obama un peu moins stupide, moins lâche et régressive, le gouvernement des États-Unis a tout simplement annoncé qu’il abandonnait ses efforts de persuader Israël de prolonger le moratoire et qu’il s’engageait maintenant dans la reprise des négociations entre les parties sans conditions préalables, c’est-à-dire que l’expansion des colonies et le nettoyage ethnique pourraient dès lors continuer sans opposition.
UE : Du bruit sur les colonies, le silence sur la création d’un Etat
C’en était trop même pour l’Union Européenne généralement passive. Il y a quelques jours, une réunion des Ministres des Affaires Étrangères à Bruxelles, a fait une déclaration réclamant la cessation de toute activité de la part d’Israël dans ce qu’on appelle les « colonies illégales », et la fin « immédiate » du blocus de Gaza : l’ouverture de tous les points de passage aux produits humanitaires et commerciaux, et aussi pour l’entrée et la sortie des personnes. La déclaration de l’UE était pour une fois remarquablement sans détour : « Notre opinion sur les colonies, y-compris à Jérusalem-Est sont claires : elles sont illégales selon le droit international et un obstacle à la paix. »
Malheureusement, la déclaration de l’UE ne dit mot sur la question de la reconnaissance d’un État Palestinien, manquant ainsi l’occasion de soutenir l’importante décision diplomatique prise par le Brésil, l’Argentine et l’Uruguay de reconnaître la Palestine à l’intérieur de ses frontières de 1967. Néanmoins, l’UE s’est distancée de Washington, laissant les États-Unis gênés et seuls dans leur solidarité avec Israël. En refusant un compromis diplomatique avec la Turquie à la suite de l’attaque manifestement criminelle en mai dernier contre la Flottille de la Liberté qui transportait de l’aide humanitaire à la population de Gaza assiégée, Israël confirme l’image qu’on a d’un paria.
Sous ces noirs nuages de tromperie et d’illusion, la population de la Palestine occupée ainsi que les millions de réfugiés, supportent leur dure vie quotidienne, tandis que le monde regarde et attend, apparemment incapable de rien faire.
L’éternel émissaire américain pour le conflit. George Mitchell, continue à dire que le but des pourparlers est « un état palestinien indépendant et viable…vivant côte à côte avec Israël ». L’incohérence d’un tel but devrait être manifeste. Comment peut-on honnêtement parler d’un état palestinien ainsi envisagé comme s’il était « viable », quand le gouvernement américain est d’accord avec Israël pour dire que « les développements à venir » (le nom de code pour colonies, saisies de terres, mur, nettoyage ethnique, annexion de Jérusalem) doivent être inclus à l’issue des négociations ?
Et quelle sorte d’ « indépendance » envisage-t-on si les frontières de la Palestine doivent être toujours contrôlées par les forces de sécurité israéliennes et si une Palestine démilitarisée est censée vivre côte à côte avec Israël, militarisé jusqu’aux dents ? L’attitude américaine joue avec les vies comme elle joue avec la langue, et pourtant les principaux média avalent ce « détour du fleuve » sans sourciller.
La valeur de l’examen rétrospectif
Ces considérations ne tiennent aucun compte des autres aspects problématiques de la structure actuelle. Le gouvernement Netanyahou exige la reconnaissance par l’Autorité Palestinienne, d’Israël comme « état juif », négligeant ainsi le droit de la minorité palestinienne dans l’Israël d’avant 1967 (qui s’élève à environ un million et demi, c’est-à-dire 20% de la population totale) à vivre comme des citoyens sous des conditions de dignité et sans discrimination.
Parfois l’histoire est utile. Même la fameuse Déclaration de Balfour, véritable assertion de la prérogative coloniale britannique, ne promettait qu’une « patrie », non un état souverain. Les rouages de la guerre, de la géopolitique et de la propagande astucieuse ont peu à peu changé les paramètres de compréhension, ce qui a permis à une patrie de se transformer en état souverain, avec une désastreuse série de conséquences pour la population indigène.
A cet égard, la position la plus récente du Hamas, celle de refuser de reconnaître Israël, tout en approuvant l’établissement d’un état palestinien à l’intérieur des frontières de 1967, est un effort raisonnable, afin de tracer une ligne entre l’affirmation d’illégitimité et la réconciliation avec les circonstances politiques. S’attendre à plus, c’est pousser les Palestiniens dans un coin, humiliés, situation inacceptable : effectivement approuver la naqba et tout ce qui a suivi, dépossession et abus.
Tandis que ce ridicule tournoiement diplomatique va de l’avant (...) n’est-il pas mieux en ce moment, de se reposer sur le Mouvement grandissant de Solidarité avec la Palestine, paix par le bas, et sur le succès du même ordre rencontré dans la Guerre de Légitimité contre Israël, ce qu’Israël appelle nerveusement « le projet de délégitimité » qui est considéré par ses dirigeants et ses cellules de réflexion comme une menace bien plus sérieuse contre ses ambitions illicites que la résistance armée ?"
Par Richard Falk
Rapporteur Spécial sur les droits de l’homme en Palestine pour les Nations-Unies.
Publié par Aljazeera, le 18 décembre 2010
(Traduit par C. Cameron)
CAPJPO-EuroPalestine