mercredi 5 janvier 2011

Al-Qassam et l'expérience qassamite


Palestine - 04-01-2011
Par Mohsen Mohammed Saleh
Le Docteur Mohsen Mohammed Saleh, directeur général du Centre Al-Zaytouna, est professeur agrégé d'histoire arabe moderne et contemporaine, avec une spécialisation sur la question de la Palestine. Il a été directeur de la faculté d'histoire et de civilisation à l'Université islamique internationale, en Malaisie. 
Dans l'histoire moderne et contemporaine, aucun personnage n'a autant fait l'unanimité parmi les Palestiniens que le Sheikh Ezzedine 'Abdel Qader Mustafa Al-Qassam, dont le 75ème anniversaire du martyre a été commémoré le 20 novembre dernier. Al-Qassam n'était pas un Palestinien selon les définitions de la carte géographique qui a résulté de l'Accord Sykes-Picot et des occupations française et britannique puisqu'il était originaire de Jablah, près de Lattaquié, en Syrie. Cependant, il fit l'objet d'un consensus national parmi les factions palestiniennes islamiques, nationalistes et même de gauche, à tel point qu'il fut appelé "le père du nationalisme". De plus, le Hamas a donné son nom à sa branche militaire.
Al-Qassam, qui est considéré comme l'un des dirigeants du mouvement islamique Réforme et Renaissance et le pionnier de l'activisme islamique en Palestine, a été l'objet de nombreuses études concernant sa révolution et son martyre. Toutefois, la plupart de ces études n'aborde pas sa dimension intellectuelle ou l'organisation jihadiste qu'il a créée, ni le rôle vital que ses camarades qassamites ont joué dans la Révolte palestinienne de 1936 à 1939. D'un autre côté, les écoles islamiques de ses contemporains, tels que Mohammad Rashid Reda, Hassan al-Banna, Ibn Badis et al-Maududi ont reçu l'attention qu'elles méritent.
Parmi les études limitées qui ont essayé de combler le vide, on trouve celles de Samih Hammoudeh, Abdallah Schleifer et Rudolph Peters, en plus de l'étude menée par l'auteur de cet article, dans son livre [en arabe] “La tendance islamique en Palestine, 1917-1948”.
Ce bref article, dédié à la mémoire de cet éminent personnage, ne peut couvrir tous les aspects de la vie et de la pensée d'al-Qassam, mais tente d'aborder quelques points clés.
Le premier de ces points concerne son caractère personnel. Al-Qassam avait, en plus d'une foi profonde, une compréhension globale de l'Islam, une grande intelligence et des compétences organisationnelles élevées, du courage et une capacité à saisir les faits, une personnalité sociable et populaire, en plus de son travail jihadiste et de défense. Peut-être que la personnalité au caractère le plus proche fut Sheikh Hassan al-Banna, même si le cœur du projet d'al-Qassam était fondé sur la résistance militaire, en raison de sa confrontation directe avec le projet sioniste en Palestine.
Al-Qassam est né en 1882 et a étudié à Al-Azhar sous Sheikh Mohammad Abduh ; il a adopté une compréhension islamique salafiste et a combattu les hérésies et l'imitation aveugle. Néanmoins, il a profité de l'environnement soufi où il vivait et de sa relation avec l'algérien Sheikh Mohammad bin Abed al-Malik al-'Alami, qui eut un rôle éminent dans l'ordre soufi Tijaniyya, pour renforcer sa foi et la mettre en vigueur parmi ses camarades.
De plus, al-Qassam avait appréhendé l'Islam comme une religion de la dignité, de la fierté, du Jihad, de la justice et de l'égalité. Il partageait les préoccupations et les joies des gens, et se mêlaient à eux dans les mosquées, les cafés, les mariages et les funérailles. Il était humble dans sa façon de manger, de s'habiller et de vivre, tout en restant une personnalité active, influente et puissante. Il a également mis en place une école du soir pour personnes âgées pendant que les gens, même ceux des villages voisins, venaient en masse écouter ses sermons et ses discours.
De plus, al-Qassam était considéré comme un modèle de courage et d'audace. Il a fréquemment abordé la question du Jihad et a ouvertement demandé aux gens d'acheter des armes et d'apprendre à s'en servir. Dans un de ses discours, il a dit, "J'ai vu des hommes portant des balais pour nettoyer les rues ; ils doivent prendre les armes. Et j'ai vu des hommes portant des brosses pour nettoyer les chaussures des étrangers ; ils doivent porter des fusils et tirer sur ces étrangers." [les forces de l'occupation britannique]
Al-Qassam était aussi considéré comme un modèle pour ce qu'il plaidait. Par exemple, lorsqu'il a déclaré la révolution contre les Français au nord-ouest de la Syrie en 1918, il a vendu sa maison (qui était tout ce qu'il possédait) et a utilisé l'argent pour acheter 24 fusils. De même, lorsqu'il a déclaré la révolution contre les Britanniques en 1935, il a vendu la seule maison qu'il possédait à Haifa, tandis que ses camarades vendaient les bijoux de leurs épouses et les meubles de leurs maisons pour acheter des fusils et des balles.
Le deuxième point est lié à sa vision et à son approche de l'action. Dans ce contexte, al-Qassam a adopté l'Islam dans son entièreté comme cadre de l'éducation, du recrutement et du Jihad. Il a considéré l'occupation britannique et le projet sioniste comme une infiltration de Dar al-Islam, et ainsi le Jihad est devenu le devoir de tout Musulman. De plus, il a clairement dit que dans le cas où son mouvement réussirait à expulser l'occupation, "la loi de notre pays sera fondée sur le Coran."
Dans l'organisation qu'il a créée, al-Qassam a adopté une méthode d'éducation et de culture islamique centrée sur le Jihad et ses différents sens. Le combattant, selon lui, devait recevoir une éducation intégrée parce qu'Allah (swt) l'avait choisi, selon le verset "Et lutter pour Allah avec les efforts qui lui sont dû. Il vous a choisi." Le véritable Jihad exige la charité et la perfection, et le véritable combattant aide les personnes démunies, nourrit les affamés, assiste les malades, visite sa famille, prie et maintient une bonne relation avec Allah.
Selon al-Qassam, l'énergie de la foi est plus importante que la force physique, alors que la mort d'un martyr est le combustible qui enflamme le Jihad et protège l'Islam. Les camarades d'al-Qassam ont appris à regarder le Coran comme un mode de vie, et ils avaient coutume d'en garder un exemplaire sur eux partout où ils allaient.
Al-Qassam croyait que les potentiels de la Ummah (nation) devaient être mobilisés pour le Jihad et la résistance contre l'occupation. Il estimait de plus que préparer les gens au Jihad était prioritaire à la construction d'immeubles et de mosquées et à leur décoration, même la mosquée al-Aqsa. Il disait, "Les ornements des mosquées doivent être remplacés par des fusils. Si vous perdez votre terre, que vous apportera le fait d'avoir des décorations sur les murs ?" Il avait même appelé à reporter le pèlerinage à La Mecque (hajj) et à utiliser les fonds pour acheter des armes, puisque le Jihad est une priorité sur l'accomplissement du hajj dans ces circonstances.
Al-Qassam pensait aussi que le Jihad devait se concentrer sur l'occupation britannique, qu'il considérait comme la véritable cause du problème dans la mesure où elle protégeait et finançait le projet sioniste. En conséquence, sa révolte a participé à la réorientation des efforts nationaux et à la focalisation de la Révolte de 1936 contre les Britanniques, après avoir ciblé principalement les juifs sionistes.
Le troisième point est lié à l'organisation d'al-Qassam, puisqu'il a créé un mouvement jihadiste qui tirait sa compréhension de l'Islam et adopté son approche, tout en embrassant le Jihad comme la seule voie pour libérer la Palestine. Al-Qassam fut un pionnier dans la création d'une organisation secrète, jihadiste, à tel point qu'Emile al-Ghouri (un des dirigeants du Mouvement national palestinien) considérait l'organisation d'al-Qassam comme "l'organisation clandestine la plus importante, et le plus grand mouvement de guérilla dans l'histoire du mouvement national palestinien, et même dans l'histoire moderne du Jihad arabe."
L'organisation d'Al-Qassam, al-Jihadiyyah, a débuté en 1925 et a poursuivi son travail secret jusqu'à ce qu'al-Qassam déclare la révolution en 1935. Sa devise était, "C'est un Jihad, la victoire ou le martyre." Al-Qassam a enrôlé environ 200 membres réguliers en plus de 800 partisans. Les nouvelles recrues devaient jurer allégeance sur une épée ou un pistolet placés à côté d'un exemplaire du Coran. Il a formé des unités secrètes dont chacune était dirigée par un naqib (commandant). Son mouvement s'est répandu en particulier dans le nord de la Palestine.
La caractéristique la plus frappante de l'organisation al-Qassam était son haut degré de confidentialité et l'esprit de recherche de récompense d'Allah qui étaient la norme parmi ses membres. Les Britanniques ont échoué de nombreuses fois à localiser les auteurs des opérations militaires qassamites. De plus, une partie de l'injustice historique qui a frappé les Qassamites dans l'histoire de la Palestine moderne incombe au fait qu'ils ont refusé de parler de leurs activités de résistance, même 30 ou 40 ans après la guerre de 1948 et le démantèlement de leur organisation. Ils les considéraient comme faisant partie de leur allégeance et de leur serment à Allah.
C'est seulement après que certains d'entre eux, comme Sobhi Yassin, Abu Ibrahim al-Kabir et Ibrahim Sheikh Khalil, aient décidé de parler à la fin des années 1960 que nous avons pu avoir connaissance de cet aspect de l'histoire de la résistance militaire islamique en Palestine. L'auteur de ces lignes a eu l'occasion d'examiner des documents aux Archives nationales britanniques qui montrent que les services secrets britanniques n'ont pas réussi à identifier les auteurs de plusieurs opérations qassamites, même des années après qu'elles aient eu lieu.
D'un autre côté, cette organisation, qui est née à Haïfa, était caractérisée par un recrutement de ses membres dans des couches sociales diverses, en particulier parmi les paysans, les ouvriers et les nomades. Il est intéressant de noter que sa première direction, créée en 1928, comprenait, outre al-Qassam, quatre personnes : Al-Abed Qasim, Mahmud Za’rourah, Muhammad al-Saleh et Abu Ibrahim al-Kabir, qui étaient tous paysans. Plus tard, elle a été élargie pour comprendre 12 membres et elle a continué à opérer jusqu'en 1948.
De plus, chaque membre de l'organisation devait payer une cotisation (10 pennies). S'il assumait des responsabilités plus élevées, il devait payer davantage. Nombre de camarades al-Qassam allaient jusqu'à donner tous leurs revenus une fois que leurs besoins quotidiens essentiels étaient satisfaits. Le mouvement al-Qassam n'acceptait que de l'argent "halal" et ne s'est soumis à aucun parti étranger.
Selon un Qassamite (Sobhi Yassin), al-Qassam a créé cinq unités spécialisées qui comprenaient : l'achat d'armes, l'entraînement, l'espionnage, la propagande et les communications politiques. Au moment de la déclaration de l'organisation, elle possédait 1.000 armes.
Le quatrième point est que la déclaration du Jihad contre l'occupation britannique et le martyr d'al-Qassam avec deux de ses camarades (Yusuf Zibawi et Muhammad Hanafi) à la bataille de Ya'bad le 20 novembre 1935 a marqué l'histoire de la Palestine moderne.
Le martyr d'al-Qassam a bouleversé la Palestine et ses funérailles gigantesques furent un jour marquant dans son histoire. Les commentaires sur son martyre par des historiens contemporains tels que Muhammad ‘Izzat Darwaza, Akram Zu‘aiter et ‘Omar Abu al-Nasr, furent en effet étonnants. A cette occasion, 'Ajad Nwayhid a dit qu'avec le martyre d'al-Qassam, la Palestine avait "connu une seconde naissance spirituelle où l'image d'al-Qassam et de ses disciples devint une icône ; des étoiles célestes éclairant non seulement la Palestine mais toute la région arabe. Les femmes portaient l'esprit qassamite plus que les hommes." !!
Al-Qassam a fourni un modèle unique aux Palestiniens lorsqu'il a déclaré la révolution et fut parmi ses premiers martyrs. Al-Qassam avait raison lorsqu'il a dit, avant le début de la bataille, qu'avec ses camarades, il serait l'étincelle qui embraserait la révolution dans tout le pays. En effet, son martyre fut le début plutôt que la fin de son mouvement. On peut dire que les trois martyrs (al-Qassam "le Syrien", Zibawi "le Palestinien" et Hanafi "l'Egyptien") ont adressé au monde le message que le Jihad en Palestine et la confrontation du projet sioniste est une question islamique et arabe (en dehors de sa dimension universelle), qui n'est pas circonscrite aux Palestiniens.
Le cinquième et dernier point est que beaucoup d'historiens s'arrêtent au martyre d'al-Qassam et ne mentionnent pas l'impact de son organisation et l'important rôle qu'elle a joué dans la Révolte palestinienne de 1936, et même dans la guerre de 1948. En fait, ce fut l'organisation d'al-Qassam al-Jihadiyyah qui a attisé la Révolte en Palestine, après l'opération qu'elle a exécuté le 15 avril 1936 sous le commandement de Farhan al-Sa‘di, le successeur d'al-Qassam. De plus, ce fut l'organisation d'Al-Qassam elle-même qui a enflammé la deuxième phase de la Révolte, le 29 septembre 1937, lorsque deux de ses membres, Muhammad Abu Ja‘b et Sheikh Mahmud Dirawi, ont assassiné Louis Andrews – le gouverneur britannique de Galilée (Palestine du Nord).
Pendant la Révolte, les Qassamites ont dirigé les secteurs de la Palestine du Nord ainsi que des parties de la province de Naplouse. Ce furent les régions les plus actives et celles qui ont été témoins des opérations les plus puissantes.
Parmi les dirigeants éminents de la Révolte en Palestine du Nord, il y eut Abu Ibrahim al-Kabir, secondé par des commandants de terrain qassamites parmi lesquels Muhammad al-Safuri, Sulaiman ‘Abd al-Jabbar, ‘Abdullah al-Asbah, ‘Abdullah al-Sha‘er, Tawfiq Ibrahim et Mahmud Salem.
Dans la province de Naplouse, Sheikh ‘Atiyyah Ahmad ‘Awad a dirigé la Révolte à l'ouest de Jénine jusqu'à son martyre ; Sheikh Yusuf Abu Durrah lui a succédé. A l'est de Jénine, Sheikh Muhammad Saleh al-Hamad a mené la Révolte, puis ‘Abd al-Fattah Muhammad lui a succédé après son martyre, tous deux Qassamites. Dans une étude réalisée par l'auteur suite à l'examen des documents de la Révolte en Palestine dans sa seconde phase (1937-1939), il est clair qu'environ deux tiers des opérations militaires furent exécutées dans les zones d'influence qassamites.
De plus, les Qassamites ont participé à la guerre de 1948 au sein de l'Armée du Jihad al-Muqaddas (litt. Le Saint Jihad) ou avec l'Armée du Salut, selon l'endroit où ils vivaient, lorsqu'ils n'étaient pas en mesure d'assumer la direction. Toutefois, des dirigeants comme Abu Ibrahim al-Kabir, Abu Ibrahim al-Saghir, Muhammad al-Safuri et Surur Borhom ont fait de leur mieux dans les zones où ils opéraient.
Cet article a brièvement souligné l'expérience d'al-Qassam et de ses camarades, pourtant il y a d'autres positions et thèmes qui vont au-delà de ce cadre limité. Il reste important de réitérer que la tendance islamique dominante, qui est toujours active en Palestine, était présente depuis le début, qu'elle ne fut ni accidentelle ni tardive ; elle est profonde et large dans le mouvement et la lutte nationale palestinienne.
L'article original en arabe est paru sur Al-Jazeera.net le 16.12.2010. Il a été traduit de l'arabe par Al-Zaytouna Centre for Studies and Consultations.
Lire également : "Histoire d’une icone de la Résistance : Sheikh Ezzedin Al-Qassam", par Khalid Amayreh, ISM-France, 27.11.2009.