mardi 27 juillet 2010

Projet Lieberman : un double problème

publié le lundi 26 juillet 2010
Saleh Al-Naami

 
La droite israélienne a pris deux initiatives politiques : les deux visent à anéantir la cause palestinienne et les perspectives d’un Etat palestinien, écrit Saleh Al-Naami
« Vous allez toucher plusieurs oiseaux d’une seule pierre, » proclamait Tzachi Hanegbi, président de la Commission des Affaires étrangères et de la Sécurité de la Knesset, lors du débat sur le projet présenté par le ministre des Affaires étrangères Avigdor Lieberman, dont l’objectif est de détacher Israël de la bande de Gaza. En dépit des affrontements politiques et des divergences entre le parti Kadima et Lieberman, le chef de file de Israël Beiténu, les avantages du projet du ministre des Affaires étrangères ont convaincu son adversaire.
Selon le projet, élaboré au Conseil pour la Recherche politique au ministère des Affaires étrangères israélien, Israël se séparera totalement de la bande de Gaza, tant économiquement que politiquement. Cette séparation devra être reconnue internationalement, et selon le journal Yediot Aharonot, le projet inclut les points suivants :
-  une séparation économique se traduisant par un financement international de la construction d’une centrale électrique, d’une usine de dessalement et d’installations pour le traitement des eaux usées, afin de permettre à Israël de ne plus fournir la bande de Gaza en énergie ;
-  les ports maritimes israéliens cesseront d’accueillir les navires qui se dirigent vers Gaza, les contrôles sécurité de ces navires étant assurés dans le port chypriote de Limassol, sous surveillance de l’Union européenne ;
-  l’envoi de forces européennes aux passages frontaliers entre l’Egypte et la bande de Gaza, de même qu’entre la bande de Gaza et Israël ;
-  la reconnaissance internationale – dont celle les Nations-Unies – de la fin de l’occupation israélienne de la bande de Gaza ;
-  un effort diplomatique à fournir par Israël pour convaincre l’Administration US et d’autres pays à adopter ce projet et à le transformer en un plan de travail.
Lieberman va présenter son projet à ses homologues européens, dont certains se méfient des intentions du ministre israélien. Des spécialistes sur les questions israéliennes et palestiniennes estiment que le projet vise à atteindre les objectifs suivants :
-  mettre fin aux questions posées par la relation d’Israël avec la bande de Gaza et Israël, lesquelles ont placé Tel-Aviv sous forte pression internationale pour qu’il soit mis fin au siège de Gaza ;
- étouffer toute possibilité de créer un Etat palestinien en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, ceci surtout du fait que le projet institutionnalisera une séparation définitive entre la Cisjordanie et la bande de Gaza ;
-  créer un climat politique favorable à Israël, en lui laissant la main libre en Cisjordanie et à Jérusalem sous occupation, particulièrement en termes de projets de colonisation ;
-  relier définitivement la bande de Gaza à l’Egypte, en transférant à celle-ci les responsabilités politiques, sécuritaires et économiques d’Israël.
Sans aucun doute, l’initiative de Lieberman porte un coup sévère à l’Autorité palestinienne car elle reconnaît en elle-même le contrôle du Hamas sur la bande de Gaza, et ce à un moment où les conditions sont remplies pour saper la crédibilité de l’AP et du gouvernement de Salam Fayyad. En conséquence, l’AP a brièvement rejeté le projet.
Nabil Abu Rudeina, porte-parole du président palestinien, affirme que l’initiative relancerait ce « projet déjà ourdi pour un Etat provisoire ». « Le projet de Lieberman vise à diviser la terre de Palestine, » soutient Abu Rudeina. « Il implique pour nous l’abandon de Jérusalem, par conséquent nous le rejetons avec vigueur et aussi parce qu’il va à l’encontre des accords signés et de la légitimité internationale. Lieberman a présenté un plan réchauffé qui relance l’idée d’un Etat provisoire que nous avons déjà rejetée dans le passé et que nous continuerons à rejeter au nom du peuple palestinien ».
Abu Rudeina estime en outre que le projet met fin à toute chance de création d’un Etat palestinien indépendant avec Jérusalem pour capitale. Il met en garde toute partie palestinienne ou internationale contre la prise en compte de ce projet, car celui-cil contrevient aux ambitions du peuple palestinien pour son unité, sa liberté et son indépendance, et il répond uniquement aux objectifs de l’extrême droite israélienne.
Le Hamas rejette lui aussi le projet de Lieberman, disant refuser toute idée de séparation de la bande de Gaza d’avec la Cisjordanie. « Nous nous opposons à toute tentative de détacher la bande de Gaza de tout territoire de la Palestine occupée, » affirme Sami Abu Zahra, porte-parole du parti, disant que l’occupant doit être tenu responsable aussi longtemps que durera l’occupation de la terre palestinienne. « Bien que la bande de Gaza ait été libérée sur son sol de la présence de l’armée et des colonies, elle est restée juridiquement et dans les faits sous occupation, » déclare Abu Zahra.
Abu Zahra insiste bien pour qu’il ne soit fait aucun lien entre le projet israélien et la levée du siège de Gaza, y compris avec la fin des fermetures de la frontière, des routes et des ports et l’amélioration du ravitaillement de Gaza en électricité et carburants.
Le projet Lieberman sur l’avenir de Gaza « est dangereux et vise à institutionnaliser (la séparation de) Gaza de la Cisjordanie, et à permettre (à Israël) de se consacrer à Jérusalem et à la Cisjordanie, », selon le parlementaire et ancien ministre de l’Information palestinien, Mustafa Al-Barghouti. Al-Barghouti, qui est aussi membre du Comité central du Front populaire pour la libération de la Palestine, a déclaré à Al-Ahram Weekly, qu’il s’agit-là d’une tentative de se débarrasser du poids démographique palestinien en séparant la bande de Gaza du reste des territoires palestiniens.
Gaza ne représente pas plus de 1,3% du territoire de la Palestine historique, mais en s’en séparant, Israël se débarrasse en même temps de 30% de la population palestinienne, surtout maintenant que, d’après Al-Barghouti, le nombre de Palestiniens à vivre dans la Palestine historique est égal à celui des Israéliens. Il estime que le processus vise encore à transformer l’occupation israélienne en une « occupation financée par les fonds internationaux », pendant qu’Israël continuera à dominer les territoires palestiniens.
« Le projet Lieberman met en lumière les véritables intentions de la politique israélienne qui cherche à dissiper toute idée d’indépendance et du droit du peuple palestinien à décidere de son avenir. Il transfert aussi la responsabilité de Gaza à l’Egypte, et transforme le problème de la Cisjordanie au seul problème de citoyens vivant dans des bantoustans tout en en transférant également la responsabilité à la Jordanie. Le but ultime est d’anéantir toute possibilité de création d’un Etat palestinien indépendant », affirme Al-Barghouti.
Al-Barghouti met en garde encore, car l’initiative de Lieberman dégagerait Israël de toute responsabilité envers la bande de Gaza, et « ferait de celle-ci une entité indépendante et complètement séparée, ce qui s’inscrit dans la tentative de Tel-Aviv de supprimer le droit du peuple palestinien à un Etat indépendant et souverain. » Et il ajoute, « Lieberman veut disperser les Palestiniens et les séparer les uns des autres, bloquant ainsi toute solution politique possible pour un Etat ou pour le retour des réfugiés. »
Le ministre des Affaires étrangères allemand, Guido Westerwelle, a exprimé ses préoccupations alors qu’il participait à une rencontre informelle des ministres des Affaires étrangères de l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) à Almaty, Kazakhistan. « Nous ne voulons pas que l’idée d’un Etat palestinien soit compromise par la création de plusieurs régions de l’Etat, et en les séparant dans une certaine mesure les unes des autres et peut-être en les opposant en un conflit politique, » a-t-il déclaré. « Nous pensons que ceci ne conduira pas, politiquement, à une paix permanente. »
Le dirigeant allemand réitère son soutien à une solution à deux Etats, notant, « Nous voulons qu’Israël vive dans des frontières sûres, mais aussi que les Palestiniens aient un Etat sûr et indépendant. »
Dès que Lieberman a eu lâché sa bombe, l’ancien ministre de la Défense et personnalité éminente du Likoud, Moshe Arens, qui fut aussi autrefois ministre des Affaires étrangères, dévoila à son tour son idée explosive. Arens suggère qu’on donne aux Palestiniens qui vivent en Cisjordanie la citoyenneté israélienne et qu’on leur garantisse l’égalité de droits dans le cadre d’un Etat unique. Dans un article publié dans plusieurs journaux israéliens, Arens déclare que, « négocier avec Abbas ne sert à rien », « Abbas représente à peine la moitié des Palestiniens – s’il représente quelqu’un. » Et d’ajouter, « Si la Jordanie était prête à accepter d’assumer son autorité sur un territoire et une population élargis, en Cisjordanie, cela serait simple et se passerait sans heurts. Mais la Jordanie ne veut pas. Par conséquent, je pense qu’il faut envisager une autre option, à savoir qu’Israël prenne en charge l’application de la loi (la gouvernance) en Cisjordanie, et garantisse la citoyenneté israélienne à son un million et demi de Palestiniens. »
Arens, un faucon du Likoud, pousse pour que des alternatives politiques au statu quo actuel soient envisagées et que les « tabous » en politique israélienne soient bousculés, comme transformer les Palestiniens de Cisjordanie en Israéliens. Il est resté imperturbable devant ceux qui l’accusent de promouvoir l’idée d’un Etat binational incorporant Palestiniens et juifs. « Le binationalisme existe déjà en Israël, il est également multiculturel et il a plusieurs origines ethniques, » répond-il.
Ce qui est étonnant, c’est que l’idée soit acceptée par le président de la Knesset, Reuben Rivlin, qui dit « préférer donner la citoyenneté israélienne aux Palestiniens que de disperser le pays. » Tzipi Hotovely, députée Likoud à la Knesset, avait mené campagne à la Knesset en 2009 sous la bannière « L’alternative à une solution à deux Etats », où elle appelait à l’octroi petit à petit de la citoyenneté israélienne aux Palestiniens.
Il semble que certains dirigeants colons aient aussi approuvé l’idée. Uri Elitzur, président du Conseil de Yesha des colonies, qui était directeur du cabinet de Netanyahu lors de son mandat précédent comme Premier ministre, a publié un article appelant à donner aux Palestiniens une carte d’identité israélienne et le droit de voter aux élections législatives.
De son côté, Emily Amrusi, ancienne porte-parole du Conseil de Yesha des colonies, qui participe à des réunions entre colons et Palestiniens, parle ouvertement d’ « un pays où les fils de colons iraient à l’école avec les enfants palestiniens dans le même bus ».
Ces deux initiatives visent principalement à échapper au coût de l’élaboration d’une solution politique au combat israélo-palestinien.
publié par al-Ahram
Publication hebdo du 22 au 28 juillet 2010 n° 1008
traduction : JPP pour l’AFPS