vendredi 1 octobre 2010

« Un enfant est mort » : Charles Enderlin défend son honneur

publié le jeudi 30 septembre 2010
Pierre Haski

 
Le correspondant de France 2 à Jérusalem revient sur « l’affaire Mohamed al-Dura » et fait le récit de dix ans de harcèlement.
Dix ans que ça dure. Dix ans que Charles Enderlin endure une cabale l’accusant d’avoir commis le pire crime pour un journaliste : avoir commis un faux, la mort en direct d’un enfant palestinien, Mohamed Al-Dura, dans la bande de Gaza. Il publie un livre sur cette pénible affaire : « Un enfant est mort ».
Disons le tout net : j’ai connu Charles Enderlin lorsque j’étais correspondant de Libération à Jérusalem dans les années 90, et je le considère comme un excellent journaliste, auteur de plusieurs livres extrêmement pertinents sur les « occasions manquées » de la paix, ou sur les erreurs d’Israël vis-à-vis du Hamas dont nous avions rendu compte sur Rue89.
Ironiquement, à l’époque, certains confrères l’accusaient plutôt de trop pencher pour Israël où il a fait sa vie depuis près de trente ans, notamment parce qu’il enfilait chaque année l’uniforme de l’armée israélienne pour accomplir sa période de réserve obligatoire. De ce point de vue, Enderlin a sans doute plus fait concrètement pour la sécurité d’Israël que ses détracteurs de Paris ou Washington… 30 septembre 2000, carrefour de Netzarim
Tout a basculé dans sa vie le 30 septembre 2000, au début de la deuxième intafada palestinienne contre l’occupation israélienne, deux jours après la visite d’Ariel Sharon sur l’esplanade des Mosquées, à Jérusalem.
Ce jour-là, Charles Enderlin n’est pas à Gaza, car les territoires explosent un peu partout. Mais il dispose sur place d’un caméraman palestinien, Talal Abou Rahmeh, collaborateur habituel de France 2 et d’autres grandes chaînes internationales dont CNN, que tous les journalistes étrangers connaissent bien.
Talal est au carrefour de Netzarim, au centre de la bande de Gaza, et filme des escarmouches entre soldats israéliens et policiers palestiniens. Pris entre deux feux, Mohamed Al-Dura et son père. L’enfant est tué. Le soir, au journal de 20 heures, Charles Enderlin montre les images de Talal, et affirme que les tirs sont « venus de la position israélienne ». (Voir la vidéo du reportage du 30 septembre 2000)
Mohamed Al-Dura devient le symbole de la violence israélienne contre les Palestiniens. Sa photo fera le tour du monde, et figure même sur la vidéo de l’exécution du journaliste américain Daniel Pearl par des Islamistes au Pakistan, quinze mois plus tard.
Depuis dix ans, cette affaire fait l’objet d’une intense polémique, dont Charles Enderlin est la principale cible, avec une violence et une persévérance sans beaucoup d’équivalents. Ses détracteurs l’accusent d’avoir couvert une mise en scène, et affirment même que l’enfant serait vivant, sans toutefois en apporter la moindre preuve factuelle. Le seul enfant mort du Proche-Orient ?
Ce déchaînement pourrait être risible, vu le nombre de morts que cette région a connu au cours de la décennie écoulée, y compris d’enfants, notamment lors de la guerre de Gaza l’an dernier, au cours de laquelle, selon le rapport rédigé pour l’ONU par le juge sud-africain Richard Goldstone, aussi bien Israël que le Hamas palestinien ont commis des « crimes de guerre ».
Mais cela n’a en rien atténué la campagne. Dans le dernier numéro de la revue Médias de Robert Ménard, l’ancien patron de Reporters sans frontières (RSF) qui lui ouvre complaisamment ses colonnes, Philippe Karsenty, un élu local de Neuilly, principal détracteur français d’Enderlin, accuse :
« Ils [le père et l’enfant, ndlr] sont vivants à la fin du reportage. C’est la seule chose qui m’intéresse car c’est un faux de la première à la dernière image. »
Karsenty, qui est soutenu par tout l’establishment pro-israélien en France, dont Richard Prasquier, le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), tente depuis des années de mobiliser politiques et intellectuels, pour faire plier France 2 qui tient bon. Il a remporté quelques succès avec le soutien à sa cause d’Alain Finkielkraut, du producteur Daniel Leconte, ou de l’ancien patron de L’Express Denis Jeambar.
Cette campagne prend régulièrement des tours haineux. Charles Enderlin reçoit des menaces de mort, et même des courriers électroniques de vieilles connaissances journalistiques qui se sont ralliées à la campagne, et qui lui assurent que « l’odeur du sapin » se rapproche de lui… Ambiance.
Aucune preuve
Le paradoxe, dans cette affaire, est que les détracteurs de Charles Enderlin n’ont jamais apporté la preuve de leurs affirmations, et, surtout, que l’Etat d’Israël ne leur a jamais emboîté le pas. Enderlin a toujours une carte de presse israélienne et fait son travail de correspondant de France 2 dans les conditions difficiles que l’on sait, et Talal Abou Rahmeh est même autorisé par les autorités israéliennes à transiter par l’Etat hébreu pour voyager.
Pour les auteurs du « plus gros faux depuis le Protocole des Sages de Sion » au XIXe siècle, c’est étrange !
Le récit que fait Charles Enderlin de ces dix ans de harcèlement sur lui, sur sa famille, sur France Télévisions, et sur tous ceux qui refusent d’emboîter le pas à cette campagne, est proprement surréaliste. Jusqu’à l’épreuve du bac que passe sa fille en Israël, et à qui une enseignante israélienne dit lors d’un oral : « Ah, tu es la fille du journaliste Charles Enderlin ? », le reste de l’examen se déroulant « dans un climat d’extrême sévérité ».
Racontant cette anecdote, Charles Enderlin ajoute :
« Ce jour-là, j’ai décidé d’écrire ce livre, pour ma famille et mes amis. »
Mais quel est l’enjeu ? Pourquoi cet acharnement, pour un épisode qui, même s’il a compté à l’époque, a été balayé par le flot d’horreurs et d’atrocités accumulées depuis ?
Bataille au sein des communautés juives La bataille semble plus concerner les communautés juives à l’étranger que les Israéliens eux-mêmes, ou le reste du monde. Comme s’il fallait laver symboliquement l’armée israélienne du soupçon d’avoir délibérément tué un enfant, pour conserver à cette armée son image de pureté immortalisée un jour par Claude Lanzmann dans son film « Tsahal ».
Circonstance aggravante, Charles Enderlin est lui-même juif, avec une partie de ses ancêtres ayant fui le nazisme, mais un « mauvais juif » ? Car, comme le demande le journaliste dans son livre :
« Pour être un bon juif, faut-il accepter la thèse de la mise en scène de l’affaire Al-Dura ? »
Les journalistes qui défendent Charles Enderlin -une pétition en sa faveur a circulé en 2008 parmi les reporters français- sont généralement accusés de « corporatisme ».
Mais peut-être, comme bon nombre de signataires, ont-ils vécu des situations similaires à ce 30 septembre au carrefour de Netzarim, qui les empêche d’être réellement surpris par les images de Talal Abou Rahman, et qui leur font douter des motivations de ceux qui refusent d’admettre que c’est une « sale guerre » qui se mène dans les territoires palestiniens.