vendredi 29 octobre 2010

Réfugiés palestiniens… en Palestine

publié le jeudi 28 octobre 2010
Jean-Pierre Lepri
 
Les Palestiniens constituent la plus grande communauté de réfugiés au monde
Le père de Saif est arrivé dans le camp d’Al-Arroub en 1949, à l’âge de six ans, chassé, avec sa famille, de son village natal : Iraq Al-Manshiyyah. Son village a été rasé et n’existe plus maintenant ; c’est devenu une ville juive : Kiriat Gat. Trente-six autres villages ont subi le même sort. Leurs habitants – et leurs descendants – forment la population de ce camp. Saif n’a pas connu et ne connaîtra donc pas le village de son père mort maintenant.
Ils sont deux millions à vivre ainsi dans une vingtaine de camps, réfugiés dans leur propre patrie – soit 46% des Palestiniens de Palestine. Près de deux autres millions de Palestiniens vivent dans l’État d’Israël, comme citoyens de seconde classe, subissant une sorte de discrimination. Quatre millions et demi encore vivent hors de Palestine, dont l’essentiel, près de quatre millions, dans les camps de réfugiés de Jordanie (la moitié environ), de Syrie et du Liban 1. Les Palestiniens constituent ainsi la plus grande communauté de réfugiés au monde. Sur dix millions de Palestiniens dans le monde, seuls moins de deux millions ne sont pas des réfugiés ou des exilés.
Saif est né dans ce camp, il y a vingt-cinq ans. Il y a grandi. Plus de huit mille personnes y vivent actuellement, dans un kilomètre carré. En 2025, au rythme annuel d’accroissement de 3,8%, sa population devrait avoir doublé. 42% ont moins de 15 ans – et 3,5% plus de 65 ans 2. Un médecin et deux infirmières. Mille cinq cent familles. Tous se connaissent. Al-Arroub signifie, en arabe, « eau fraîche » et tire son nom de la zone sur laquelle le camp a été construit, riche précisément en sources d’eau fraiche. Mais, ironie du sort, l’eau y est maintenant rationnée : administrée par les Israéliens, elle est utilisée en priorité pour leurs « colonies » voisines.
Saif a suivi l’une des trois écoles primaires du camp d’Al-Arroub. Cest l’UNRWA (Agence des Nations-Unies pour les réfugiés palestiniens) qui supervise ces écoles, ainsi que les soins de santé et l’aide humanitaire [1]. Après des études secondaires à Beit Ommar, village palestinien voisin, il a suivi, de 2004 à 2009, des études d’informatique à l’Université Polytechnique Palestinienne d’Hébron, à 11 km, grâce à une « bourse » de l’UNRWA (30 € tous les quatre mois). Diplômé, en 2009, avec un B.A. (diplôme délivré après quatre années d’études), il attend depuis un emploi – comme 18% de la population active du camp. Benjamin d’une famille de quatre garçons, il vit dans l’appartement de sa mère. La maison familiale originelle s’est agrandie au fil du temps : l’un de ses frères vit dans l’appartement au-dessous, les deux autres au-dessus, avec leur famille. Ce sont les revenus de ses frères qui permettent à sa mère et à lui de vivre. L’un est mécanicien auto dans un village palestinien proche. Les deux autres travaillent dans le bâtiment, dans la construction et l’extension des colonies juives. 20% des travailleurs du camp sont ainsi employés par des Israéliens. L’un des frères a un permis pour cela, en règle. Il se lève vers trois heures et part au travail vers quatre heures, pour un trajet de vingt minutes à une heure, selon le lieu du chantier. Il repart du chantier à 17h. Le dernier frère n’a pas de permis et dort donc sur le chantier, pour échapper aux contrôles.
Ces contrôles (checkpoints) israéliens, fixes et volants, sont plutôt fréquents, aléatoires (arbitraires ?) et « rudes » (militaires). Souvent, même les ambulances y sont retardées et beaucoup de malades sont refoulés. Dans le camp d’Al-Arroub, l’armée israélienne patrouille chaque nuit. Il est arrivé que les soldats entrent dans quelques maisons, sans frapper mais en brisant la fenêtre ou la porte. Ils cherchent (quoi ?), fouillent. Dans la rue, ils arrêtent, chaque nuit, un ou deux jeunes gens qu’ils emmènent en détention à Gush Etzion, la colonie juive voisine 3, pour les interroger, les ficher, les intimider. Il n’existe pas officiellement de couvre-feu, mais il vaut mieux ne pas sortir de chez soi la nuit. Et même chez soi… Saif a été ainsi « détenu » deux jours ; il avait dix-huit ans. Dans toutes les familles du camp, il ya au moins un de ses membres qui a été ainsi arrêté arbitrairement. La famille achète ses aliments, à crédit, dans l’une des vingt épiceries du camp. Elle y laisse entre 60 et 70 € à la fin du mois.
La vie et l’avenir de Saif ? Il a connu une jeune fille, il y a huit mois, lors d’une rencontre inter-universitaire. Elle aussi a un B.A. (Arts et humanités). Elle habite près d’Hébron, dans un village palestinien « libre-occupé » (comme toute la Palestine). Depuis, ils se parlent toutes les nuits, par Internet ou par téléphone. Ils se retrouvent, en fin de semaine, à Bethlehem, dans la rue ou au café. Il va trouver un emploi ( ?), gagner ainsi l’argent pour faire construire et ajouter son appartement, à son tour, comme ses frères, dans la maison familiale : une salle de réception, une cuisine et une ou deux chambres. Alors seulement il pourra se marier. Son épouse viendra vivre dans le camp et ils y auront plusieurs enfants. [2]
[1]

Un peu d’histoire

Le 29 novembre 1947, après et malgré deux premiers votes négatifs, l’ONU vote le partage de la Palestine en deux états et deux territoires, l’un arabe, l’autre juif, Jérusalem ayant un statut international. 55 % du territoire total, 80 % des terres céréalières et 40 % de l’industrie de Palestine sont récupérés par la communauté juive. L’état juif est autoproclamé, en 1948 : des centaines de milliers de Palestiniens sont forcés de quitter leur maison. Plus de soixante ans plus tard, l’état arabe n’est toujours pas créé. Et les réfugiés sont toujours en exil et ils ont eu des enfants qui ont eu des enfants qui… L’UNRWA est créé, en 1949, pour une durée de dix-huit mois, l’État Israélien ayant accepté la résolution 194 du 11 décembre 1948 qui prônait le retour des réfugiés ou leur indemnisation. Soixante-trois ans après, l’UNRWA existe encore, avec chaque fois moins de moyens.
[2] 1 Cf. « Réfugiés palestiniens au Liban », Lyon : Silence n° 382, septembre 2010, p.34.
2 En d’autres termes, 97% de la population ne connaît de la « Palestine » que ce camp qui devait n’être qu’une étape provisoire vers un retour à la terre originelle. Que peut signifier « la Palestine » et le « retour dans leur foyer » pour eux ?
3 Il s’agit, en, fait d’un ensemble de 17 « colonies » juives, en développement, dont la fonction à terme est, d’une part, d’empêcher toute continuité géographique entre Bethlehem et Hébron (villes palestiniennes) et, d’autre part, d’être rattaché à la future entité territoriale du « Grand Jérusalem », garantissant ainsi, avec l’apport de ces 11 000 colons supplémentaires, le « caractère juif » de la nouvelle « Jérusalem ».
Pour en savoir plus
Palestine et palestiniens Guide de voyage, Groupe de tourisme alternatif, 20 €, www.atg.ps. Des contacts alternatifs introuvables ailleurs.
Ilan Pappé, Le nettoyage ethnique de la Palestine, Fayard. Écrit par un historien Israélien.
Pour aider
CCIPPP : Des citoyens avec le peuple palestinien - agir, témoigner, rompre l’isolement. Des missions de volontaires : http://www.protection-palestine.org...
AFPS : co-parrainage d’un enfant d’un camp à partir de 19€/mois, http://www.france-palestine.org/rub...