samedi 23 octobre 2010

Etouffés par les colonies

publié le vendredi 22 octobre 2010
Mustafa Barghouthi

 
"Nous avons atteint, et probablement dépassé, le seuil critique où toute colonie supplémentaire signe l’arrêt de mort de la solution à deux Etats. La seule manière de sauver la solution à deux Etats est que les Palestiniens déclarent leur Etat indépendant sur les territoires occupés par Israël en 1967, y compris Jérusalem-Est".
Des négociations entre deux parties de force inégale ne peuvent aboutir, Le succès des négociations palestino-israéliennes requière un équilibre de forces raisonnable, des termes de référence clairs et que les deux parties s’abstiennent d’imposer unilatéralement des faits sur le terrain, Rien de cela n’existait dans les discussions relancées en septembre.
Ne différant guère de précédents rounds de pourparlers, ces négociations furent dominées, d’un côté, par un gouvernement israélien qui contrôle la terre, les routes, l’espace aérien, les frontières, l’eau et l’électricité et aussi le commerce et l’économie de la partie palestinienne, tout en disposant de forces militaires puissantes (c’est maintenant le troisième exportateur militaire au monde) et un solide produit intérieur brut qui a triplé en 10 ans.
Ce même « partenaire » israélien se targue aussi maintenant d’une opinion publique qui a glissé à droite de façon spectaculaire et pour qui un système d’apartheid à l’encontre des Palestiniens est devenu une règle acceptable .
De l’autre côté, l’Autorité palestinienne -qui paradoxalement détient bien peu d’autorité réelle,- existe comme une sorte de chefferie à l’intérieur de la matrice de contrôle israélienne.
Ajoutent encore à l’affaiblissement de l’Autorité palestinienne la division interne prolongée des Palestiniens, la dépendance absolue de l’aide internationale et un déclin de la démocratie et des droits humains.
Finalement, l’Autorité palestinienne est constamment sous pression afin qu’elle assure la sécurité de l’occupant tandis qu’elle n’arrive pas à procurer à son propre peuple la moindre protection contre cet occupant.
Comment en sommes nous arrivés là ?
La réponse tient, en grande partie, à la construction continue, sans le moindre relâchement, de colonies en Cisjordanie et Jérusalem-Est lors des 17 années qui ont suivi les Accords d’Oslo.
Pendant cette période, le nombre de colons a augmenté de 300 % et le nombre de colonies a doublé. Les colonies sont en fait la ligne de front d’un système complexe et avantageux qui comporte les points de contrôle, la ségrégation routière, les zones de sécurité, le « mur d’apartheid » et les « réserves naturelles ».
Pendant des années, cette matrice a dévoré la terre, les ressources en eau et l’espace économique de l’ Etat palestinien indépendant qui était théoriquement l’objet de négociations dans la même période. Environ 60 % de la Cisjordanie et 80 % des ressources en eau ont ainsi été avalées de cette façon.
Nous avons atteint, et probablement dépassé, le seuil critique où toute colonie supplémentaire signe l’arrêt de mort de la solution à deux Etats. Les autorités israéliennes le savent mieux que quiconque.
Elles savent aussi que leurs positions intransigeantes sur des questions comme Jérusalem ou les frontières impliquent de réduire l’idée d’un Etat palestinien à des îlots de terre dans un système de ségrégation.
La Cour internationale de Justice et nombre de résolutions des Nations unies ont jugé que les colonies sont illégales et doivent être démantelées. Même la Feuille de route émise en 2003 par le « Quartette » (les Etats-Unis, l’Union européenne, les Nations unies et la Russie) affirmait que les activités de colonisation devaient cesser. Pourtant, ni les Nations unies, ni le Quartette dans son ensemble n’ont eu le courage d’exercer des pressions sérieuses sur Israël afin qu’il cesse de coloniser.
Alors, qu’est-ce qui reste ?
La seule manière de sauver la solution à deux Etats est que les Palestiniens déclarent leur Etat indépendant sur les territoires occupés par Israël en 1967, y compris Jérusalem-Est, et exigent de la communauté internationale qu’elle le reconnaisse, avec ses frontières -comme elle l’a fait pour le Kosovo.
Cela impliquerait aussi de soutenir le droit des Palestiniens à lutter de façon non violente pour mettre fin à l’occupation de leur Etat. Ainsi, toute négociation future ne porterait pas sur le droit des Palestiniens à avoir leur Etat souverain et indépendant mais sur la façon d’appliquer et de mettre en pratique ce droit.
Ce serait le véritable test de la stratégie de construction de l’Etat des Etats-Unis et de la communauté des donateurs.
Ce serait l’instrument adéquat pour faire la différence entre le soutien à des institutions palestiniennes libres dans un Etat souverain et indépendant ou assumer la note de l’occupation, en utilisant les dollars du trésor US et de l’UE pour maintenir sous divers déguisements ce qui ne reviendra à rien d’autre qu’un système d’apartheid qui refuse aux Palestiniens leurs droits humains et nationaux.
Si la communauté internationale tourne le dos à cette déclaration d’indépendance en utilisant l’argument éculé et insultant que chaque étape doit être d’abord étudiée avec le gouvernement israélien, alors le message sera clair : la paix basée sur deux Etats ne sera plus une option.
Mustafa Barghouthi, député palestinien, est le fondateur de l’Initiative nationale palestinienne
Publié par le NewYork Times
Intro et traduction : C. Léostic, Afps