samedi 31 juillet 2010

Territoires occupés : assez des serments d’hypocrites !

publié le vendredi 30 juillet 2010
Rony Brauman

 
S’il existe un consensus de fait en Israël, il concerne le statu quo sur l’occupation
La plupart des commentateurs du conflit israélo-palestinien, qu’ils soient diplomates, journalistes ou militants, aiment à rappeler que la "solution "deux Etats pour deux peuples"" a depuis longtemps trouvé sa place dans les esprits. D’où l’évocation habituelle d’un "processus de paix", soumis à des aléas certes, mais existant en tant que processus. C’est-à-dire comme mouvement conduisant vers un partage dont les limites sont connues de tous, à quelques détails près. En témoignent l’accord manqué de peu à Taba en 2001, le plan de paix de la Ligue arabe de 2002, la "feuille de route" en 2003… Un temps moribond sous les coups des attentats-suicides palestiniens et des représailles israéliennes, le "processus" n’attendrait que d’être relancé. Les sondages ne montrent-ils pas que l’on a majoritairement renoncé, des deux côtés, au maximalisme territorial ? Israël n’est-il pas présidé par un Prix Nobel de la paix ?
Et pourtant si processus il y a, il n’est pas de négociations mais de conquête, un mouvement qui n’a connu de cesse depuis des décennies et auquel seul le gouvernement Rabin a tenté de mettre un terme. Le "désengagement" de Gaza en 2005 n’a pas mis un terme à l’occupation, mais ne fut que le début d’une nouvelle forme d’emprisonnement et la réorientation de la colonisation vers la Cisjordanie. Cet incessant mouvement ne se produit naturellement pas à l’insu des autorités mais avec leur concours actif et jamais démenti, sous la protection d’une armée de conscription et grâce aux financements publics. Il est d’usage de déplorer l’instabilité des gouvernements israéliens, issus d’élections tenues à la proportionnelle intégrale et toujours à la merci d’alliances volatiles. Ce système interdirait l’adoption d’une politique cohérente et suivie vis-à-vis de la question palestinienne. C’est oublier que 90% des députés appartiennent à des partis soutenant la colonisation, que ce soit pour des raisons idéologiques, sécuritaires ou de commodité. Il y a donc bien une politique cohérente et suivie, d’expansion par grignotage. Le taux de croissance des colonies juives en Cisjordanie est de 5,5% par an, soit trois fois la croissance naturelle de la population israélienne. Près de la moitié du territoire cisjordanien est ou bien inaccessible aux Palestiniens, ou bien soumise à un régime de permis. Certes, des voix critiques se font entendre en Israël, y compris à la Knesset, mais elles sont marginales et n’ont aucune prise sur les événements.
Autrement dit, s’il existe un consensus de fait dans l’Etat hébreu, il concerne le statu quo sur l’occupation. Comme le note le journaliste de Haaretz Gideon Levy : "A l’exception de groupes modestes, il n’y a en Israël ni protestation, ni véritable mobilisation (1)". Rien d’étonnant, en fait, si l’on considère les bénéfices de la situation : les quelques remontrances subies de temps à autre sont en effet plus que largement compensées par un soutien diplomatique et économique constant des Etats-Unis et de l’Europe. Ainsi de la toute récente admission d’Israël à l’OCDE, décision qualifiée d’"importance stratégique" par Benyamin Netanyahou. De fait, il s’agit bien d’une victoire historique, puisque la candidature israélienne était fondée sur des données économiques intégrant, contre toute légalité, l’ensemble des territoires occupés. Comme pour enfoncer le clou, le Quai d’Orsay a jugé utile de préciser que Paris avait "veillé à ce que le processus se déroule de façon objective et porte sur les critères techniques". Objectivement, donc, les territoires occupés font partie d’Israël. On ne saurait mieux dire, en effet. Les Israéliens ne sont pas les seuls à penser que les Palestiniens sont les premiers responsables de leur situation : les principaux pays industrialisés de la planète soutiennent ce point de vue en le récompensant. Pourquoi renoncer à une stratégie gagnante, qui plus est, au prix d’un possible soulèvement des colons radicaux ? Tant que le statu quo sera moins coûteux que le partage de la Palestine, on ne voit pas pourquoi ils changeraient d’avis.
(1) On recommande la lecture de son recueil Gaza, articles pour Haaretz, 2006-2009, éd. La Fabrique (2009). Rony Brauman, ancien président de Médecins sans frontières, est professeur associé à l’Institut d’études politiques (Paris) et membre du Crash, Centre de réflexion sur l’action et les savoirs humanitaires de Médecins sans frontières : www.msf-crash.org Alternatives Internationales n° 047 - juin 2010
Rony Brauman, ancien président de Médecins sans frontières, est professeur associé à l’Institut d’études politiques (Paris) et membre du Crash, Centre de réflexion sur l’action et les savoirs humanitaires de Médecins sans frontières
publié par Alternatives internationales
Alternatives Internationales n° 047 - juin 2010
intro modifiée (Etat hébreu->Israël) : C. Léostic, Afps