lundi 28 juin 2010

‘Qu’ils mangent de la coriandre !’

publié le dimanche 27 juin 2010
Jonathan Cook

 
Le blocus " sécuritaire " d’Israël est, dans ses versions ancienne et nouvelle, en tous points un blocus " civil ". Conçu pour être une “ punition collective ”des gens de Gaza pour avoir élu les mauvais dirigeants...c’est un crime contre l’humanité.
Alors qu’Israël annonçait cette semaine l’ "allègement " du blocus de Gaza qui dure depuis 4 ans, un responsable en expliquait le nouveau principe directeur : "des biens civils pour des civils".
Les restrictions sévères et apparemment arbitraires sur les aliments qui entrent dans l’ enclave – la coriandre, non, la cannelle, oui– vont enfin se terminer, nous dit-on. Les 1.5 million habitants de Gaza vont avoir toute la coriandre qu’ils veulent.
Cet "ajustement," comme le nomme le premier ministre Benjamin Netanyahou, a pour seul objectif de limiter les dégâts.
Israël est responsable de la mort de 9 civils à bord d’une flottille d’aide pour Gaza il y a trois semaines, aussi le monde a-t-il finalement commencé à s’interroger sur les objectifs du blocus. Ces neufs personnes devaient- elles mourir afin que la coriandre, le chocolat et les jouets ne puissent pas arriver à Gaza ? Et puis, comme il va y avoir d’autres flottilles, Israël devra-t-il exécuter d’autres personnes pour appliquer cette politique ?
Confronté à cet examen dont il ne veut pas, Israël - tout comme les Etats-Unis et les membres de l’UE qui sont complices du blocus- a mis tous ses efforts à détourner l’attention des exigences de levée totale du blocus. Il a mis en avant, à la place, qu’un blocus plus souple de Gaza fera la différence entre les mesures de "sécurité " nécessaires et un blocus injuste des "civils". Israël se pose en chirurgien qui, face à des jumeaux siamois, maîtrise la technique miraculeuse qui permettra de les séparer.
Le résultat, a dit Netanyahu à son cabinet, serait de “renforcer le blocus sécuritaire parce que nous avons enlevé au Hamas la capacité de nous accuser de porter atteinte à la population civile.” Ecoutez les responsables israéliens et vous croirez que des milliers de produits "civils" vont se déverser dans Gaza. Pas de Qassam pour le Hamas mais bientôt, si on les en croit, les magasins de Gaza seront aussi bien achalandés que n’importe lequel de nos supermarchés.
Vous pouvez être sûr que ça ne va pas arriver.
Même si de nombreux produits ne sont plus interdits, il faudra encore qu’ils arrivent à entrer dans l’ enclave. Israël contrôle les points de passage et détermine combien de camions peuvent entrer chaque jour.
Après une semaine d’ allègement du blocus, seulement un quart de ceux qui avaient autrefois le droit d’entrer sont autorisés à décharger leur cargaison, et cela ne devrait pas changer de façon significative. De plus, blocus "sécuritaire " oblige, on s’attend à ce que demeure l’interdiction du ciment et de l ’acier qui sont indispensables pour reconstruire et réparer les milliers de maisons dévastées par l’attaque israélienne d’il y a 18 mois.
En tout cas, tant que Gaza n’est pas maîtresse de son espace aérien, portuaire et de ses frontières, tant que ses usines ne sont pas reconstruites et les exportations à nouveau possibles, son économie chancelante n’a aucune chance de se rétablir. Pour l’immense majorité des Palestiniens de Gaza, englués dans la pauvreté, la nouvelle liste de produits autorisés -dont la coriandre- restera un simple espoir.
Mais plus important pour Israël, en focalisant l’attention du monde sur la fin supposée du blocus "civil", le pays espère que nous oublierons de poser une question plus pertinente : quel est l’objectif de ce blocus "sécuritaire " relooké ?
Au fil du temps, les Israéliens ont dit au choix que le blocus était imposé pour isoler les dirigeants "terroristes" de Gaza, le Hamas ; ou pour servir de levier afin d’arrêter les tirs de roquettes sur les communautés israéliennes voisines ; ou pour empêcher la contrebande d’armes vers Gaza ; ou encore d’imposer le retour de leur soldat capturé, Gilad Shalit.
Aucune de ces raisons ne résiste à un examen même superficiel. Le Hamas est plus fort que jamais, les attaques de roquettes ont cessé il y a bien longtemps, les contrebandiers utilisent les tunnels sous la frontière avec l’Egypte, pas les points de passage d’Erez ou Kerem Shalom ; et le sergent Shalit serait déjà chez lui si Israël avait vraiment voulu l’échanger contre la fin du blocus.
Le but réel du blocus a été établi de façon brutale dès sa conception au début 2006, peu après que le Hamas eut gagné les élections palestiniennes.
Dov Weisglass, alors principal conseiller du gouvernement, déclarait qu’il mettrait les Palestiniens de Gaza “ au régime mais sans les faire mourir de faim.” Des associations humanitaires peuvent témoigner de la malnutrition rampante qui a suivi. Le but ultime, admettait Weisglass, était de punir les Gazaouis ordinaires dans l’espoir qu’ils renverseraient le Hamas.
Weisglass est-il une relique de la période pré-Netanyahu, son blocus-régime depuis longtemps dépassé ? Pas du tout. Le mois dernier, lors de l’audition d’une plainte contre le blocus, le gouvernement de Netanyahu justifait sa politique non pas comme mesure de sécurité mais en tant que “guerre économique” contre Gaza. Un document spécifiait même le minimum de calories – ou “lignes rouges”, comme on les appelle aussi – qu’il fallait aux Gazaouis selon l’âge et le sexe.
En vérité, le blocus "sécuritaire" d’Israël est, dans ses versions ancienne et nouvelle, en tous points un blocus "civil". Conçu pour être une “ punition collective ”des gens de Gaza pour avoir élu les mauvais dirigeants, il continue à l’être. Heureusement, le droit international définit le statut de la politique israélienne : c’est un crime contre l’humanité.
Alléger le siège afin que Gaza meure à petit feu est peut-être mieux que rien.Mais le véritable devoir de la communauté internationale est de libérer 1.5 million de Palestiniens de la prison qu’Israël a construite pour eux.
Jonathan Cook écrivain et journaliste basé à Nazareth. Une version originale de cet article a été d’abord publié par The National, à Abu Dhabi, et publié ensuite par Ma’an news
traduction : C. Léostic, Afps