mardi 15 juin 2010

Pour (quoi) la Résistance

Palestine - 14-06-2010
Par Robin Yassin-Kassab

Nous traduisons ci-dessous un article de Robin Yassin-Kassab, auteur du roman The Road from Damascus (Hamish Hamilton, 2008) - avec l'aimable autorisation des éditeurs du site PULSE sur lequel il a été initialement publié le 6 juin 2010. Titre original : When Did Resistance Become a Dirty Word?
(Quand la résistance est-elle devenue un gros mot ?" 
Ce que la classe politique occidentale et ses médias exigent des Arabes et des Musulmans, c’est qu’ils consentent à l’inacceptable statu quo en Israël-Palestine. Résister au statu quo, c’est être un agitateur, une menace à la stabilité, l’expression d’une violence irrationnelle. La résistance provient de l’inadéquation d’une culture et d’une religion qui cèdent à l’antisémitisme et à l’hystérie. S'ils veulent évoluer, ces types rétrogrades doivent abandonner la résistance.
















Al-Quds, 16 mars 2010 (photo AP Oded Bality)

Ce qui signifie, pour les Libanais, qu’ils doivent oublier 22 années d’occupation de leur pays, le siège de Beyrouth en 1982 ainsi que l’agression de 2006 qui a touché leurs infrastructures et leurs populations civiles. Ils doivent oublier la liste sans fin des massacres perpétrés par les sionistes et leurs alliés sur le territoire. Il doivent sourire quand Israël viole leur espace aérien jour après jour et les menace chaque semaine de les “renvoyer à l’âge de pierre”. [NdT : allusion à la promesse publique lancée par le secrétaire d’Etat américain James Baker à Tarek Aziz et Barzan, à Genève, le 9 janvier 1991, lors de la conférence qui précéda la Première guerre du Golfe. Même menace publique d'Israël à l'endroit de la Syrie, en avril dernier]. Ils doivent donc désarmer et qualifier de terroriste le Hezbollah, principal défenseur de leur pays.
La Syrie aussi doit sourire face à l’occupation illégale, l’annexion des plateaux du Golan et le vol de ses ressources vitales en eau. Elle doit contenir les réfugiés du Golan et près du demi-million de réfugiés palestiniens avec leurs organisations politiques. Elle ne doit pas acheter, ni fabriquer d’armement qui puisse la protéger un minimum du terrorisme sioniste. Elle doit sourire stupidement quand Israël décide de bombarder son territoire.
Les Palestiniens doivent être modernes et démocrates. Ils doivent le prouver en combattant celui qui a emporté les élections et en soutenant une clique de corrompus non élus et collabos.
Quant aux sympathisants occidentaux de la cause palestinienne, ils doivent précéder toute critique d’Israël par ces affirmations : “Bien sûr, Israël a le droit d’exister en sécurité”, ou “Bien sûr, nous ne soutenons pas le Hamas”, ou encore, comme dans le cas des passagers du Rachel Corrie (dont je salue le courage et l’engagement) : “Nous ne résisterons pas.”
Il est temps que cesse cette mascarade. Reconnaître à Israël le “droit” d’exister en sécurité, c’est dénier aux Palestiniens celui d’exister en sécurité. Nul Etat qui en occupe un autre n’a le droit de jouir de sa sécurité. Hitler avait-il le droit de jouir de sa sécurité lorsqu’il envahissait la Tchécoslovaquie et la Pologne? Et les Etats d’apartheid n’ont pas le droit d’exister du tout. Il n’y a rien d’antisémite dans tout cela, comme il n’y a rien d’anti-blanc ou d’anti-afrikaaner à dire que l’apartheid en Afrique du Sud n’avait pas le droit d’exister. Un Etat fondé sur un nettoyage ethnique massif et des massacres répétés n’est pas un Etat normal, un Etat comme tous les autres. Israël doit gagner son droit à l’existence, seulement lorsqu’il aura autorisé les réfugiés à rentrer chez eux et que les Juifs, les Musulmans et les Chrétiens jouiront des mêmes droits.
Quels sont les arguments utilisés pour diaboliser - au lieu d’engager un dialogue critique - avec le Hamas ?
Premièrement, le Hamas ne reconnait pas Israël. C’est vrai, le Hamas pense que Yasser Arafat a commis une erreur stratégique majeure en reconnaissant Israël avant qu’Israël ne reconnaisse aux Palestiniens un minimum de droits. En cela, l’attitude du Hamas est parfaitement logique. Le Hamas sait évidemment qu’Israël existe, et même si le Hamas buvait assez de whisky pour oublier qu’Israël existe (ce qui est assez improbable), Israël serait encore là, avec ses tanks Merkava, ses checkpoints et son armement nucléaire. Le Hamas a répété à plusieurs reprises qu’il cesserait de combattre quand Israël aura quitté les territoires de 67. Il ne reconnaîtra toujours pas Israël comme un Etat juif sur 78 % de la Palestine historique, parce que cela impliquerait de tenir pour juste le vol de la Palestine afin d’y fonder un Etat basé sur l’ethnie. Israël ne reconnait donc pas la Palestine. Son incapacité à la reconnaître se traduit très concrètement par l’occupation et le nettoyage ethnique.
Deuxièmement, le Hamas n’accepte la solution de deux Etats. Mais une fois de plus, et quoiqu’en dise sa propagande, Israël non plus. Si Israël soutenait vraiment cette solution, il n’aurait pas passé les dix dernières années, sous les travaillistes et le Likoud, à construire des colonies en Cisjordanie et à Jérusalem. Et c’est Israël l’occupant.
Troisièmement, le Hamas a attaqué des civils. C’est sûrement la plus hypocrite des raisons pour isoler ce mouvement. Depuis septembre 2000, les Palestiniens ont tué 1072 Israéliens. Dans la même période, les Israéliens ont tué 6348 Palestiniens (sans compter ceux qui sont morts indirectement, des causes de l’occupation, par exemple des personnes dans un état critique et qui périssaient dans l’ambulance parce qu’elles étaient retenues pendant des heures aux checkpoints). Aussi, Israël est-il bien coupable d’attaques contre les civils. Et je dirais même que la violence des occupés qui luttent pour leur libération est plus justifiable que celle de la violence oppressive de l’occupant.
Les gens qui versent des larmes de crocodiles sur le sort de Sderot devrait avoir à l’esprit la situation bien pire de Gaza et de la Cisjordanie, mais aussi le fait que les habitants affamés et bombardés dans les camps de Gaza sont ceux qui proviennent des villages détruits pour construire Sderot. Si on vole votre maison, et que ni la loi ni la conscience des voleurs ne vous la restitue, alors vous avez le droit de combattre les voleurs vous-mêmes. Le Hamas ne détient qu’un seul prisonnier de guerre. Il est grotesque de voir que le monde entier connait le nom de ce terroriste capturé mais pas les noms des 10 000 Palestiniens prisonniers dans le goulag sioniste, dont beaucoup d’enfants.
Même si on pouvait établir que le côté palestinien a été plus violent que le côté israélien - ce qui est faux - le Hamas, contrairement à Israël, s’est montré capable de respecter les cessez-le-feu. Et de toute façon, beaucoup de victimes israéliennes ont été tuées par la Brigade des Martyrs d’al Aqsa, qui est liée au Fatah.
Quatrièmement, le Hamas essaie d’établir un Etat islamique. C’est vrai, en théorie. Mais il sait qu’il a été élu pour son programme de résistance et pour son programme de lutte contre la corruption, et non pour des raisons liées à l’Islam. Il y a des signes qui montrent que le Hamas a essayé d’imposer aux gens de Gaza certains codes de conduite - ce à quoi je m’oppose - mais étant donné les circonstances, c’est de l’islamisme soft. C’est même une soupape de sécurité contre le nihilisme de groupes salafis plus dangereux qui ont commencé à apparaître au milieu du désespoir des Palestiniens. Et bien sûr, Israël n’est pas un Etat pour ses citoyens et encore moins un Etat pour les gens sous son contrôle mais un Etat juif. Le fait que certaines personnes définissent la judéité selon des critères ethniques au lieu qu'ils soient religieux ne change pas ce fait.
Mon principal point de divergence avec le Hamas, c’est la mention du Protocole des sages de Sion, un texte antisémite russe qui a été discrédité par des antisionistes tels que Abdelwahhab el-Messiri.(Je ne suis pas aussi scandalisé par cet antisémitisme que par l’antisémitisme européen car si quelqu’un peut à la limite être excusé de généraliser à propos des Juifs, c'est bien la victime d’un Etat qui s’autoproclame juif). Les dirigeants du Hamas expliquent souvent qu’ils ne s’opposent pas aux Juifs parce qu’ils sont Juifs, mais aux sionistes parce qu’ils sont sionistes. Dans ce cas, j’aimerais qu’ils retirent la référence au Protocole des sages de Sion. Evidemment, le Hamas n’est pas parfait. Mais le Parti Communiste qui dirigeait la résistance antifasciste en Europe, non plus. Si j’avais vécu à cette époque, j’aurais soutenu la résistance antifasciste exactement comme je soutiens le Hamas - avec des critiques, mais de manière inconditionnelle.
Concernant les courageux passagers du MV Rachel Corrie, j’aimerais qu’ils n’eussent pas dit : “Nous ne résisterons pas”. J’aimerais qu’ils aient dit : “Nous sommes désarmés, nous n’avons nulle envie d’entrer en confrontation avec les soldats israéliens. Cependant, si nous sommes agressés par des hommes armés dans les eaux internationales ou près de la côte de Gaza - laquelle n’est pas soumise à la juridiction israélienne - nous résisterons autant que nous pourrons”.
Ils ont maladroitement apporté de l’eau au moulin de la propagande israélienne - “quand des activistes civilisés et pacifistes arrivent, nous agissons avec eux pacifiquement. Quand des islamistes turcs fous nous attaquent avec des bâtons quand nous arrivons dans leur bâteau, nous n’avons pas d’autre choix que de leur tirer plusieurs balles de dos et dans la tête.”
Les passagers à bord du Mavi Marmara devraient être félicités pour avoir résisté contre cet acte de piraterie et contre le siège illégal et barbare. Nous ne devrions jamais avoir honte de la résistance - qu’elle soit en Europe occupée par les nazis, en Afrique du Sud, en Irak, au Vietnam, en Palestine, au Liban ou sur la mer Méditerrannée. La Résistance est belle. La Résistance prouve la persistance d’une once d’humanité dans un vaste océan d’inhumanité.