dimanche 21 mars 2010

Israël/Etats-Unis : "Obama a saisi l’occasion d’exprimer un mécontentement plus profond"

publié le samedi 20 mars 2010

entretien avec Robert Malley

 
Pour Robert Malley, ancien conseiller du président Clinton pour les affaires israélo-arabes, la crise actuelle que traversent les relations entre les deux pays "a étalé au grand jour la crise de confiance qui couvait depuis un an". Pas sûr, cependant, qu’elle débouchera sur quelque chose.
Les relations entre Israël et les Etats-Unis sont extrêmement tendues depuis l’annonce, par l’Etat hébreu, d’un plan de construction à Jérusalem-Est. Peut-on pour autant parler de grave crise diplomatique ?
-  Oui, en ce sens que cette annonce a étalé au grand jour la crise de confiance entre le gouvernement de Benjamin Netanyahou et l’administration américaine, laquelle couvait depuis un an. Non, dans la mesure où le prétexte immédiat de cette querelle n’a pas de signification stratégique et que pour l’instant les contours de la dispute restent flous.
On pourrait à la rigueur dire que l’administration Obama a hérité d’une occasion pour manifester un mécontentement beaucoup plus profond, qu’elle s’en est saisie, mais qu’elle ne sait toujours pas ni comment s’en servir ni si elle pourra réellement être exploitée. D’où cette impression de flottement, un discours extrêmement fort et menaçant faisant place à des déclarations plus mesurées et modérées.
Les Etats-Unis se sont donc servis de cette provocation comme d’un prétexte...
-  Dans un sens, oui, et c’est en tout cas comme cela que beaucoup d’Israéliens l’ont vécu. Soyons clairs : si les relations entre Washington et Jérusalem avaient été au beau fixe, l’annonce aurait provoqué une petite dispute mais sans plus et sans lendemain.
La question, désormais, est de savoir si le débat va en rester là, cantonné à cet incident, ou bien si l’administration Obama va chercher – et réussir – à l’élargir à la question de la vision israélienne sur la résolution du conflit israélo-palestinien. C’est en somme une partie d’échecs qui se déroule dans laquelle chacun des deux adversaires cherche à définir les termes du débat – Jérusalem-Est ou le processus de paix – et les contours de la fin de partie.
Mais, de l’autre côté, comment interpréter cette décision d’Israël d’annoncer la construction de 1.600 nouveaux logements à Jérusalem-Est pendant la visite du vice-président américain Joe Biden ?
-  Tout d’abord, je ne crois pas personnellement à un coup prémédité de la part du Premier ministre israélien. Il dit ne pas avoir été au courant de l’annonce, et cela me paraît juste. C’est là, d’ailleurs, un des problèmes : la construction à Jérusalem-Est est une chose tellement naturelle pour Israël – qui considère Jérusalem comme territoire souverain – qu’une décision de ce type est quasiment routinière.
C’est une dimension capitale pour comprendre la dynamique de la querelle et les obstacles auxquels font face les Etats-Unis. Netanyahou a présenté ses excuses concernant le moment choisi pour faire une telle annonce ; il a réitéré qu’Israël ne s’était jamais engagé à geler la construction à Jérusalem-Est ; et il a dit que la construction continuerait tout en promettant de ne plus embarrasser Washington. Pour la vaste majorité des Israéliens, cela devrait suffire à clore le débat. En d’autres termes, l’administration Obama a hérité d’un conflit dont les termes ne lui profitent guère, car ce n’est pas sur ce sujet-là qu’elle peut espérer provoquer un débat de fond en Israël.
L’administration américaine avait déjà perdu en crédibilité, lorsqu’au début du mandat d’Obama Israël avait opposé une fin de non recevoir à son exigence de gel de la colonisation. Peut-elle se permettre de capituler une seconde fois ?
-  Non, en tout cas pas s’il elle veut conserver la crédibilité requise pour mener à bien les négociations. Une fois le conflit lancé, les Etats-Unis doivent trouver un moyen d’obtenir des concessions de la part de Netanyahou qui lui permettront de sortir la tête haute et de montrer que leur colère n’était pas pour rien. Tout l’enjeu est désormais de savoir comment les deux parties négocieront leur sortie de crise – chacun cherchant à sauver la face et à ne pas céder sur le fond. Le risque étant que si Netanyahou montre une nouvelle fois qu’il peut tenir tête aux Américains, cela ne va faire qu’exacerber le scepticisme des Palestiniens et des pays arabes envers le processus de paix, et les conforter dans l’idée qu’alors qu’eux jouent franc jeu, Israël continue à faire obstacle.
Jusqu’à présent, l’administration Obama s’est cassée le nez sur le dossier du conflit israélo-palestinien, alors qu’elle en avait fait une priorité. Sa stratégie est-elle à revoir ?
-  C’est en effet l’un des dossiers que l’administration Obama a le plus de mal à gérer. Mais il faut souligner qu’elle a hérité, de l’administration précédente, d’une situation extrêmement complexe et périlleuse. Cela dit, ses échecs sont fonction et de quelques errements tactiques et, plus important, du fait que sa politique se soit avérée ne pas être en adéquation avec la réalité régionale. Cette administration est la descendante de celle de Bill Clinton, mais, entre-temps, la région a énormément changé. Pour que ses tentatives aient prise sur les acteurs, il lui faut remettre à jour son logiciel : intégrer la fragmentation politique côté palestinien, le mouvement vers la droite de la société israélienne, l’apparition ou le renforcement de nouveaux acteurs (islamistes, Hamas, colons et droite religieuse) et la polarisation du monde arabe, ainsi que sa propre perte de crédibilité, laquelle a commencé bien avant l’arrivée d’Obama au pouvoir.
Dans ce contexte, la réunion du Quartette sur le Proche-Orient, qui se tient vendredi à Moscou, peut-elle faire avancer les choses ?
-  Il est difficile d’en attendre quelque chose vu les précédents, mais sait-on jamais ! Le plus probable est que le Quartette réitère la condamnation de la décision israélienne ainsi que son soutien pour les pourparlers indirects israélo-palestiniens.
Peut-on s’attendre à une troisième intifada ?
-  Vous savez, ce type d’événement est toujours improbable avant qu’il ne surgisse et toujours inévitable après qu’il se soit produit. Les éléments dangereux sont certainement présents : côté palestinien, on perd espoir, et la poudrière de Jérusalem-Est est plus menaçante que jamais. On voit également la violence qui pointe. Cela dit, les événements demeurent pour l’instant localisés et maîtrisés, les organisations militantes palestiniennes ont été largement démantelées, la coopération entre services de sécurité palestiniens et israéliens est à son plus haut niveau historique, et le peuple palestinien est épuisé. Pour toutes ces raisons, difficile de croire qu’on soit à la veille d’un embrasement généralisé. Mais l’heure n’est pas non plus à la complaisance : avec le recul, l’impossible a tendance à devenir, tôt au tard, inévitable.
Ancien conseiller du président Clinton pour les affaires israélo-arabes, Robert Malley est aujourd’hui directeur du programme Moyen-Orient de l’International Crisis Group.
Interview de Robert Malley par Sarah Halifa-Legrand, mercredi 17 mars
publié dans le NouvelObs